C'est un après-midi tranquille au casino du Val-André (groupe Partouche), non loin de Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor). Le froid, qui sévit dans la baie, a fait reculer les plus téméraires, habitués des promenades le long de la plage. Ils sont nombreux, par contre, à braver l'inclémence du ciel pour venir jouer aux bandits manchots et aux tables des black jacks du casino.
L'ambiance est concentrée. Pas question de rater le jackpot du siècle, pour ces papys flambeurs. "En semaine, les casinos de province sont des lieux de rencontre pour bon nombre de seniors. Il y a le jeu, bien sûr, qui les attire, mais pas seulement. Ils viennent aussi pour assister aux cours de l'Université du temps libre que nous accueillons, pour les expositions ou simplement pour prendre une collation sur la terrasse en front de mer", avance Fabrice Lebrun, directeur du casino du Val-André.
Tous ces clients ne sont pas des "accros". Les seniors perçoivent d'abord les jeux de hasard comme un passe-temps inoffensif. Ils trouvent dans les casinos un espace de socialisation. Un lieu sécurisant, affirment-ils également, où ils n'ont pas à craindre de "mauvaise surprise".
Ce discours, Laurence Aufrère, thérapeute spécialisée au Centre du jeu excessif de Lausanne (Suisse), l'a entendu maintes fois de la part de ses patients. Sans douter de leur sincérité, elle note tout de même que le joueur n'est pas le plus apte à juger de ses réelles motivations. "Ces justifications ne sont pas forcément celles qui le poussent réellement à jouer."
Rien ne prédisposait Colette Allain, 74 ans, à devenir une joueuse invétérée. Pas de goût prononcé pour le Loto ; pas même de passion pour le bridge ou le Scrabble. Pourtant, il y a un peu moins de vingt ans, cette ancienne commerçante de Rennes s'est éprise de roulette et des autres jeux de tapis. Au point de ne plus envisager sa vie sans cette dose d'adrénaline. "Je ne vais pas au casino seulement pour jouer. Je peux simplement y prendre un thé. Cela peut être le but de ma promenade du jour. A force, je connais tout le personnel. J'y ai de vrais amis."
Avec son compagnon, elle s'accorde des escapades en amoureux dans les casinos de la région. Le temps d'un week-end ou d'une semaine, ils rejoignent des amis pour jouer tous ensemble. Etre raisonnable ? Colette Allain n'aime pas parler de ses pertes. Elle avoue plus facilement ses jours de martingales. "La dernière fois ? J'ai tout de même gagné 45 000 euros !"
Claire Prégoit, quant à elle, n'est pas une régulière. Son goût du jeu, elle le vit en solitaire, retrouvant là des sensations similaires à celles que lui procurait la pratique intensive du sport. "Cela me vide la tête. Je suis seulement concentrée sur le jeu. L'environnement, les relations sociales potentielles ne m'intéressent pas."
C'est, en fait, une joueuse atypique. L'excitation du gain ne la motive pas. "Je pars perdante, ainsi je n'ai aucune mauvaise surprise. Si je décide que je ne dépenserai pas plus de 300 euros durant ma semaine de vacances au jeu, je m'y tiens." Tout au plus Claire Prégoit s'autorise-t-elle à miser à nouveau l'argent gagné.
RÉDUIRE LE STRESS
Les études épidémiologiques sont rares et toutes concentrées sur la population nord-américaine. "En l'état, nous ne pouvons faire que des hypothèses", déplore Olivier Simon, médecin psychiatre du Centre du jeu excessif de Lausanne."Ces enquêtes montrent toutefois que le pourcentage de joueurs âgés dits récréatifs tend à augmenter. Selon une enquête réalisée aux Etats-Unis, en 1975, 23 % des personnes âgées disaient s'adonner aux jeux. En 1999, cette proportion était de 50 %."
Chez l'enfant, le jeu est reconnu comme un moyen de réduire le stress. On ignore si, chez l'adulte et a fortiori la personne âgée , cette régulation opère également. Souvent loué, l'accroissement des facultés mnémotechniques et des capacités de concentration reste aussi, pour l'heure, de l'ordre des hypothèses.
Mais la magie du jeu ne doit pas faire oublier que pèse sur cette activité un risque de santé publique. Outre une surconsommation d'alcool, les médecins attirent l'attention sur les troubles cardio-vasculaires liés à de trop longues stations assises. Quant à l'addiction pure et simple, si elle se soigne, elle exige des traitements spécifiques. "Il existe des similitudes dans les addictions, mais toutes ne se traitent pas de la même manière. La thérapie cognitive du jeu pathologique est très spécifique et diffère des prises en charge prodiguées aux alcooliques ou aux toxicomanes", précise Laurence Aufrère du Centre du jeu excessif.
Reste encore pour le joueur à admettre sa dépendance. "Dans notre centre, les patients qui ont demandé de l'aide ont attendu en moyenne quatre ans pour consulter, depuis leurs premiers signes de dépendance constatés."
Ce phénomène pourrait être le même pour les seniors, sous-représentés dans les consultations médicales. Un phénomène d'autant plus inquiétant que, ainsi que le remarque Olivier Simon : "Un travailleur dispose de temps pour reconstituer son capital financier. Une personne âgée, si elle perd le bénéfice de sa retraite, peut n'avoir plus aucun moyen de subsistance. Le danger est ici plus important."
(source : lemo
nde.fr/Muriel Rozelier)