LES ACTIOnnAIRES FAMILIAUX RESTEnT OUVERTS A Un CHAnGEMEnT DE COnTROLE
Alors que le Groupe Lucien Barrière et Accor Casinos viennent d'officialiser leur union, Groupe Partouche pourrait bien faire l'objet d'une proposition de mariage au cours des cinq prochains mois. Permira et Cinven, deux fonds d'investissement, disposent en effet d'un droit de préemption expirant le 17 mai 2005 pour soumettre une nouvelle offre de rachat à Isidore Partouche, le fondateur et président du conseil de surveillance de l'exploitant de casinos. La Financière Partouche, qui détient 70,6 % du capital du groupe, avait refusé une première fois, début juin, les avances des deux prétendants qui avaient proposé 18 euros par action. Avec un peu de recul, ce rejet pouvait paraître ambitieux de la part de la direction, sachant que l'action Groupe Partouche cote aujourd'hui autour de 14 euros. Isidore Partouche n'en reste pas moins ouvert à la perspective de céder son groupe. Toute la question est maintenant de savoir quel pourrait être le prix d'équilibre entre, d'un côté, les prétentions d'Isidore Partouche et, de l'autre, les contraintes de retour sur investissement pour un repreneur potentiel. « Les négociations de ce type sont généralement de longue haleine », note Alain Cens, le directeur financier. Or les 417 millions d'euros de dette nette qui figuraient dans le bilan de la société au 30 avril 2004 (arrêté des comptes semestriels) et représentent 67 % de sa capitalisation boursière, pèsent défavorablement dans la balance.
Reste que les perspectives d'un changement de contrôle du groupe avaient porté la valeur jusqu'à un record historique de 20,5 euros, le 17 mai 2004. Depuis, la dimension spéculative a disparu, comme le montre le décrochage de 33 % du cours de Bourse. Il faut dire que le contexte est devenu moins favorable pour le casinotier qui doit faire face à une activité touristique atone et à un alourdissement de la fiscalité sur le produit brut des jeux. Sans parler d'une tension possible sur les charges salariales mise en édivence par les grèves de fin d'année.
Même si le nouvel ensemble issu du rapprochement entre Lucien Barrière et Accor Casinos rafle la première place du secteur français en totalisant un produit brut des jeux proche de 800 millions d'euros, Groupe Partouche s'impose également, avec 27,2 % de parts de marché, comme un acteur de poids dans la profession. Il se distingue avantageusement de ses homologues cotés à la Bourse de Paris par son statut de pure player qui se traduit par un niveau de marge opérationnelle confortable, supérieur à 20 %.
Une fréquentation touristique encore fragile
Certains obstacles pourraient, néanmoins, encore peser sur l'action et retarder son rebond avant l'éventuel lancement d'une offre d'achat. D'abord, les incertitudes sur l'orientation de l'activité touristique dans un avenir proche. « La saison estivale a été particulièrement mauvaise dans le sud de la France, notamment durant les mois d'août et septembre », constate Alain Cens. Dans ce contexte, le casinotier a connu un tassement de ses revenus au quatrième trimestre de l'exercice clos le 31 octobre 2004. Au total, le chiffre d'affaires annuel de Groupe Partouche (452,1 millions d'euros) a limité sa progression à 3,8 %. Autre élément pénalisant : dès le 1er janvier 2005, la CSG, appliquée au taux de 7,5 % sur le produit brut des jeux après abattement de 15 %, a été majorée de 2 %. Selon Alain Cens, ce surcoût peut être évalué à « environ 8 millions d'euros ». D'une manière générale, le secteur des casinos est confronté à une baisse de régime depuis deux ans sous l'effet de la chute des marchés boursiers qui n'a pas permis aux inconditionnels de jouer, comme à l'accoutumée, d'éventuelles plus-values, mais aussi du tassement de la consommation des ménages et du recul de la clientèle étrangère refroidie par un euro fort. Ainsi, cette année, le produit national brut des jeux a affiché un taux de progression de 2,6 % après une décennie de croissance à deux chiffres.
Après le rachat d'Européenne de Casinos en 2002 qui avait été financée par un recours à l'emprunt, Groupe Partouche, qui compte 4.505 machines à sous en France à la suite de l'obtention de 224 nouvelles autorisations au titre de l'exercice clos le 31 octobre 2004, a consacré sa trésorerie au désendettement et au développement interne. La publication des comptes semestriels en témoigne. Au cours des six premiers mois de l'exercice qui clos le 31 octobre 2004, la marge d'exploitation est passée de 22,1 % à 24,1 % du chiffre d'affaires, qui atteint 373,8 millions d'euros, en croissance de 9,1 %. Cette performance tient principalement à l'ouverture, en juillet 2003, du casino de Meyrin en Suisse et à la forte contribution aux bénéfices des « Pasinos » (complexes regroupant un casino, des restaurants et des salles de séminaire). Les sites de St-Amand-les-Eaux et d'Aix-en-Provence ont, à cet égard, dégagé des rentabilités d'exploitation respectives de 27,9 % et 41,2 %.
A cela s'ajoute une diminution de 4,4 millions d'euros des frais financiers sur la même période, liée au désendettement du groupe, qui a permis au résultat courant de bondir de 43 %, pour s'établir à 41,6 millions d'euros. Même si elle demeure à un niveau élevé (1,6 fois les fonds propres), la dette financière nette a été diminuée de 24 millions d'euros, pour s'élever à 425 millions d'euros au 31 mars 2004. Cet assainissement du bilan est aujourd'hui essentiel à l'équilibre du modèle économique de Groupe Partouche.
L'obtention de nouvelles machines à sous, qui représentent, en moyenne, près de 93 % du produit brut des jeux d'un casino et contribuent davantage aux résultats que les métiers d'hôtellerie et de restauration, constitue, en effet, le nerf de la guerre pour les professionnels. Or, devant la rigidité législative du ministère de l'Intérieur pour autoriser l'exploitation des fameux « bandits manchots » - seulement 470 permissions ont, en moyenne, été accordées chaque année depuis 2000 -, les groupes préfèrent procéder à des opérations de croissance externe pour accroître leurs parcs.
Un désendettement nécessaire
Face à ce dilemme, Groupe Partouche doit donc continuer d'apurer son bilan quitte à froisser ses actionnaires en ne distribuant plus de dividendes, comme c'est le cas depuis 2002. Il devrait en être de même cette année. Heureusement, grâce à une rentabilité d'exploitation élevée, le casinotier bénéficie d'une capacité de remboursement importante : l'endettement net représente moins de six années de marge brute d'autofinancement. D'éventuelles cessions de murs d'hôtels, comme celles, en début d'année, du Méridien Part-Dieu à Lyon et de l'hôtel du Golf de la Tour de Savagny qui avaient permis de dégager une plus-value de 15 millions d'euros, sont envisageables. La vente de casinos peu profitables constitue également une possibilité. « Les casinos de San Roque en Espagne et d'Agadir au Maroc ne répondent pas à nos objectifs de rentabilité », avait déclaré Hubert Benhamou lors d'une interview accordée, le 17 janvier 2004, au Journal des Finances. Parmi les derniers dossiers à l'étude figure le projet de reprise, déjà envisagé cet été, mais non abouti, de cinq établissements de jeux, répartis entre la Haute-Savoie et la Suisse, auprès du groupe Didot-Bottin. En plus de la diminution attendue des frais financiers et des gains potentiels de part de marché en France, Groupe Partouche pourrait profiter d'un autre levier sur ses résultats futurs : l'ouverture de nouveaux établissements dans des zones où le taux de prélèvement sur le produit brut des jeux est nettement inférieur à celui imposé par l'administration fiscale française (56 %). Sur un total de 52 casinos, Groupe Partouche en possède 7 hors des frontières, dont trois en Belgique où le taux de prélèvement atteint seulement 40 %. Il s'agit donc d'un pays d'implantation particulièrement intéressant pour le groupe.
Au total, nous tablons sur un maintien de la marge d'exploitation au-dessus de 20 % au titre de l'exercice clos le 31 octobre 2004, contre 21,6 % l'an dernier et sur une hausse de 20 % du bénéfice net annuel (21,2 millions d'euros). Si les tensions sociales persistent au sein du groupe et sont susceptibles de pénaliser l'action à court terme, les spéculations autour d'un rachat du groupe pourraient reprendre assez rapidement. En cas d'OPA, le montant du ticket de sortie proposé aux actionnaires minoritaires devrait être nettement supérieur aux cours de Bourse. Les dernières ventes de casinos ont été réalisées sur la base d'un prix équivalent à environ 1,8 fois le produit brut des jeux. Or la valeur d'entreprise (dette nette + capitalisation boursière) de Groupe Partouche ne représente que 1,4 fois le produit brut des jeux 2004. L'action devrait donc valoir au moins 18 euros en cas de cession, prime de contrôle incluse. Selon la méthode d'actualisation des flux de trésorerie et sur la base d'une capacité d'autofinancement de 80 millions au titre de l'exercice clos le 31 octobre 2005, la valorisation de Groupe Partouche ressort à 19 euros par action.
(source : jdf.com/FABIO MARQUETTY)