A terme, les casinotiers s'exposent à une législation préventive du type loi Evin.
Un épineux dossier secoue le secteur casinotier depuis plusieurs mois. Il concerne la question des interdits de jeu, des joueurs «compulsifs» et celle de la paupérisation, du surendettement, conséquences d'une pratique ludique excessive. Comme en matière d'alcool ou de tabac (loi Evin), les exploitants de casinos peuvent craindre à terme un durcissement de la législation, des plaintes individuelles ou collectives de joueurs (ou de leur famille) qui se seraient ruinés en jouant aux machines à sous (MAS), ou suicidés à la suite de déboires ludico-financiers. Démarches susceptibles d'entraîner de coûteuses indemnisations, des procès médiatisés qui peuvent détruire une image que les casinos ont mis des années à reconstruire.
Cette problématique concerne l'ensemble des opérateurs ludiques et notamment la Française des jeux (FDJ) et le PMU. Mais pour l'instant par ignorance, facilité et intérêt les pouvoirs publics ont décidé que seuls les casinos seraient dans leur collimateur. Face à l'impressionnant taux de progression des interdits de casino pour l'année 2002 (+ 74,35 %) mais en l'absence d'une base de données statistiques actualisée la sous-direction des courses & jeux (SDCJ) a menacé les casinotiers d'imposer un contrôle d'identité à l'entrée des salles de machines à sous, comme cela existe pour les «grands» jeux.
Les services de la SDCJ s'inquiètent d'ailleurs autant de l'augmentation des interdits de jeu «volontaires» que du fait que certains continueraient à fréquenter les casinos malgré cette interdiction. Sous l'égide du cabinet du ministre de l'Intérieur de l'époque (nicolas Sarkozy) un groupe de travail s'est réuni à plusieurs reprises. Il a abouti après de nombreuses tractations en coulisse à la signature d'un relevé de conclusions très favorable aux casinotiers et qui concerne notamment les points suivants :
l'agrément des personnels (les délais d'instruction des décisions d'agrément sont accélérés);
l'investissement (l'exigence d'investissement préalable au dépôt de la demande d'exploitation d'un casino n'est plus requise);
l'animation (elle s'entend désormais dans une acception large, à l'intérieur du casino et hors les murs);
la situation des petits casinos (ils peuvent désormais exploiter des MAS avec un seul jeu de table : la boule);
l'augmentation du parc MAS (sont désormais pris en compte les besoins en MAS hors des jours de forte affluence : week-end, vacances...).
En contrepartie, les casinotiers et leurs deux syndicats professionnels (Casinos de France et Casinos modernes de France) se sont engagés dans ce relevé de conclusions à «définir et à mettre en oeuvre une politique volontariste de prévention, soucieuse des risques que pourrait créer chez les joueurs et leurs proches une pratique de jeu excessive pouvant conduire à la dépendance». Ensuite, dans le cadre d'une charte signée à Paris le 24 septembre 2003 (depuis affichée dans les exploitations), les casinotiers ont précisé cet engagement en huit points.
Les casinotiers ont tenté de donner des gages de leur volonté de respecter à la lettre la charte de bonnes intentions signée. Ils ont financé des flyers, des numéros verts, des campagnes d'information et de formation, un kit de prévention...
Le syndicat Casinos de France finance même curieusement SOS Joueurs, qui a toujours combattu vigoureusement dans les médias les jeux d'argent en général, les casinos et les machines à sous en particulier. Seul le groupe Partouche n'a pas cédé aux pressions utilisées par cette association pour obtenir de l'argent. Il a créé sa propre structure externalisée «indépendante» pour conseiller les joueurs en difficulté, structure qui aura du mal à convaincre les pouvoirs publics de son «indépendance» et de sa compétence.
Car c'est naturellement sur la question du financement et de l'indépendance de ces structures de prévention que le bat blesse actuellement. Les groupes casinotiers et leurs deux syndicats ont voulu entièrement contrôler les mesures susceptibles de répondre aux «inquiétudes» des autorités de tutelle en matière de jeu excessif. Dans le cas de SOS Joueurs on peut même s'interroger sur le sérieux de cette alliance contre nature et se demander s'il n'y a pas en réalité une minable collusion d'intérêts.
Faute d'une concertation suffisante (notamment entre les groupes et les casinos indépendants), les puissants groupes casinotiers et leurs représentations syndicales, refusant de prendre en compte la complexité du dossier, semblent vouloir s'enfoncer à bon compte dans le «syndrome québécois». Au Québec en effet, pendant plus de dix ans, c'est l'opérateur ludique historique (Loto Québec) qui a financé et contrôlé les recherches et les études de prévalence sur le jeu excessif pour le plus grand bénéfice du psychologue Robert Ladouceur. Face à cette antinomie et à la suite de campagnes menées à la fois par des intellectuels, des chercheurs spécialisés dans le gambling (jeu) et des associations d'aide aux joueurs véritablement indépendantes, le gouvernement du Québec a modifié radicalement cet état de fait. C'est désormais le ministère de la Santé et des Services sociaux et le Fond québécois pour la recherche sur la société et la culture qui assurent l'objectivité des études et campagnes de prévention prévues dans un plan d'action gouvernemental (2002-2005) fortement doté.
Si tout n'est pas réglé au Québec pour «maintenir un équilibre acceptable entre l'offre de jeu et les problèmes de jeu», ce pays s'est donné les moyens (scientifiques et financiers) de traiter la question du jeu compulsif, contrairement à la France qui, pour l'instant, s'est contentée de quelques mesurettes hétérogènes décidées par les casinotiers.
Dès 2001, les rares chercheurs français qui travaillent depuis des années sur les nombreuses populations concernées par les jeux d'argent (et pas seulement sur les joueurs de casino) avaient pourtant alerté les pouvoirs publics sur la nécessité de créer rapidement un Observatoire national des pratiques ludiques. Organisme susceptible outre son intérêt scientifique (sociologique, socio-économique, statistique, historique...) :
d'évaluer l'ensemble des avantages et inconvénients qui résultent de l'offre de jeux (y compris en ce qui concerne l'Internet ludique : cybercasinos, loteries en ligne...) ;
de favoriser le dialogue entre les pouvoirs publics et les opérateurs ludiques ;
de promouvoir l'information et la protection des joueurs ;
de jeter les bases d'un consumérisme ludique ;
de remédier au manque d'étude et d'expertise sur le gambling. La Cour des comptes avait elle-même condamné cette carence dans son rapport d'activité 2001 en notant : qu'«aucun service de l'Etat n'est chargé d'évaluer les effets économiques, sociaux et médicaux du développement de l'offre de jeux». En 2002, le rapport du sénateur Trucy avait également souligné l'«absence de politique des jeux, les lacunes en matière de recherches sociologiques et épidémiologiques sur les joueurs».
Mais force est de constater que ces appels n'ont pas été entendus. C'est à l'Etat de reprendre l'initiative pour réunir l'ensemble des acteurs concernés, mobiliser les compétences afin de mettre en place dans un deuxième temps les structures nécessaires (organisme de régulation, observatoire, institut...). Les principaux opérateurs ludiques (FDJ, PMU, casinos...) qui sont en concurrence exacerbée et qui défendent logiquement leur pré carré, ne le feront jamais d'eux-mêmes. En outre, ce n'est pas leur métier !
Un important colloque national, qui devait se dérouler au palais du Luxembourg en juillet 2004, aurait pu débloquer la situation. Il aurait permis aux éminents participants annoncés (députés, sénateurs, maires, patrons de casino, chercheurs...) de répondre à la question : «Quelle politique pour les jeux de hasard et d'argent en France et en Europe ?» Malheureusement, après avoir été reportée à septembre 2004, cette manifestation a finalement été annulée. Le PMU et la FDJ ont refusé d'y participer ! Cela en dit long sur les intérêts en jeu et sur l'absence de volonté de ces deux opérateurs pour faire évoluer la politique des jeux dont la France a besoin.
Par contre, le colloque international organisé par le Centre lyonnais Jacques Cartier (qui s'est déroulé à Montréal en octobre 2004) a connu un grand succès. Souhaitons que ce soit l'occasion pour les autorités de tutelle et certains opérateurs ludiques qui y étaient représentés au plus haut niveau d'informer les pouvoirs publics sur la nouvelle politique du gouvernement québécois en matière de prévalence du jeu compulsif et de recherches sur le gambling.
Car c'est bien sûr à la puissance publique de mettre en place et de cofinancer des organismes de recherche, d'expertise, de mesure, de régulation et de prévention qui concerneraient l'ensemble des jeux de hasard et pas seulement les jeux de casinos. Ce n'est pas aux trois opérateurs ludiques, qui ne peuvent que cofinancer indirectement, dans des limites bien définies, de le faire. Ces organismes doivent rester indépendants et agir en responsabilité, mais dans l'intérêt général.
Jean-Pierre MARTIGnOnI- HUTIn sociologue
à l'université Lumière
Lyon-II.
(source : liberatio
n.fr/Jea
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