Spécialiste des casinos, Jean-Pierre Martignoni-Hutin, sociologue à l'université Lyon-II et président de l'Observatoire des jeux (ODJ), analyse l'évolution des conditions de travail des salariés des casinos et les menaces de grève.
Quel a été l'impact de l'introduction et de la multiplication des bandits manchots sur les conditions de travail dans les casinos ?
Aujourd'hui, 99 % des casinos ont des machines à sous, alors que les jeux traditionnels continuent à descendre. Cela a profondément modifié la profession et la structure du chiffre d'affaires. Avec un risque : si les gens viennent moins jouer aux machines à sous, le produit des jeux pourrait directement en pâtir. Puis, avec l'augmentation importante du parc de machines ces dernières années, il y a un effet de concurrence interne aux casinos. Au-delà, c'est tout le métier qui a changé. On a de moins en moins de professionnels des jeux, comme les croupiers, et de plus en plus de techniciens-machines. Les casinos ont beaucoup embauché, en peu de temps, un personnel moins qualifié. Ce personnel exerce dans une ambiance qui peut plaire aux joueurs, les attirer, mais qui peut se révéler fatigante pour les salariés avec des problèmes de bruit, de climatisation, de tabagisme, de seaux qu'il faut manipuler pour approvisionner les machines en jetons... Les syndicats tiennent compte des conditions de travail pour lancer leur mot d'ordre, mais aussi de la période de fin d'année, propice aux revendications salariales.
Un tel mot d'ordre de grève dans les casinos est plutôt inhabituel, d'autant qu'il émane de la totalité des syndicats...
Il y a déjà eu des grèves dans les casinos, mais c'était plutôt pour soutenir les exploitants ! Suite à l'introduction de multiples taxations remettant en cause leur activité et, du même coup, celle des salariés, on a pu voir des employés des casinos descendre dans la rue pour soutenir leurs patrons. Là, c'est différent. Je crois qu'il y a une préoccupation vis-à-vis de la situation économique des casinos, qui n'est pas si brillante. Au-delà des revendications salariales ponctuelles, c'est peut-être le signe d'une inquiétude sur la croissance et sur les menaces qui pèsent sur la profession, avec une fiscalité accrue en janvier prochain et un projet de contrôle aux entrées qui est toujours d'actualité. Le secteur a connu ces dernières années un important phénomène de concentration qui n'a pas entraîné de licenciements, alors qu'on pouvait s'attendre à des économies d'échelle et à une volonté de diminuer la masse salariale. Mais il n'y a pas eu de plans sociaux à cause d'une croissance certaine, tirée par l'arrivée des machines à sous, de l'ouverture de nouveaux casinos, et aussi du fait d'une forme de paternalisme qu'on trouve dans certains groupes et chez certains indépendants. La décroissance, si elle se confirmait, pourrait modifier la situation et entraîner des licenciements. D'où cette inquiétude.
Le casino n'apparaît pas comme un lieu particulièrement propice à l'exercice du syndicalisme.
Pendant des années, les casinos, c'était uniquement les jeux de table, avec des salaires confortables pour les personnels. En outre, ce n'était pas dans la culture de ces entreprises. Les casinos, c'était un univers qui symbolisait la richesse, où les syndicats ne faisaient pas grève facilement. De fait, il y a eu très peu d'actions de ce type. Mais le personnel a évolué et «l'aristocratie» des jeux de table a baissé avec l'arrivée des machines à sous.
(source : liberatio
n.fr/D'ALLO
nnES David REVAULT)