Le jeu excessif est une maladie qui frappe 2% des amateurs de casinos et de loteries. Une étude demandée par la Confédération sort aujourd’hui. Bastien raconte.
LES FAITS
Une étude commandée par la Confédération concernant la dépendance au jeu sort aujourd’hui. Rencontre avec un malade du jeu hospitalisé à Genève.
Bastien pourrait être né sous la plume de Dostoïevski. Sa vie n’a rien à envier en force dramatique à celle du «Joueur». Mais on y chercherait en vain de quoi faire miroiter le prisme du romantisme. Lorsqu’il se raconte, cet homme de 29 ans ne parle que d’échec, de tristesse et de solitude, jusqu’à la tentative de suicide: «Tout a commencé avec ce premier gain de 4000 francs. J’avais 16 ans. J’ai joué au PMU, près de Cornavin.» La somme paraît astronomique à cet apprenti ébéniste. Son futur métier ne le passionne guère, et moins encore au lendemain de son succès aux courses: «Même si j’avais eu des options professionnelles intéressantes, le jeu m’en aurait détourné. J’ai éprouvé en gagnant une sensation unique, exceptionnelle, que j’ai ensuite cherché à reproduire toute ma vie.» Comme un premier shoot, mythique, pour un accro. A 18 ans, Bastien quitte la maison de ses parents. Il prend un studio, mais élit très vite domicile au casino, situé alors au Noga Hilton. «Je cherchais un rapport plus direct au jeu, par le biais des machines. Je n’avais pas l’âge légal pour miser; pourtant personne ne m’a jamais rien demandé. Un soir, j’ai remporté 17 500 francs en quelques heures.» Bastien gagne sur chaque machine qu’il touche: «J’avais une impression de toute-puissance incroyable. C’était extraordinairement excitant. J’ai tout perdu dans la semaine.»
Il tente le hasard chaque soir, toujours seul. «Le jeu est un plaisir que je n’ai jamais voulu partager avec quiconque, dit-il. Et puis les relations humaines ne m’intéressaient plus.» Travaillant alors dans la restauration rapide, il se fait fréquemment porter malade pour être au casino dès l’ouverture. «N’existait dans ma vie que le jeu. Et le boulot pour financer le jeu.» Même le plaisir n’est plus au rendez-vous: «Le seul bonheur que j’éprouvais, c’était juste avant de partir jouer. J’imaginais chaque fois que j’allais retrouver cette formidable sensation de la première fois. Bien sûr j’étais toujours déçu.»
Abstinence pendant six ans
Bastien se voit tomber. A 22 ans, il dit stop, se fait engager au casino comme employé — «pour pouvoir vivre le jeu par procuration» — se marie, a deux enfants. Pendant six ans, c’est l’abstinence. Son épouse ignore tout de son addiction au tapis vert. «Je me croyais guéri, alors que je ne faisais que fuir, travaillant de douze à dix-huit heures par jour. Ma femme est partie en vacances dans son pays avec les enfants. Et je suis retombé.» Divonne cette fois, puisque Bastien ne peut pas jouer à Meyrin où il travaille. Pour pouvoir passer son temps devant les machines à sous, il démissionne. Perd en quelques jours son salaire, son indemnité de départ, ses économies. «Entre février et mai 2004, j’ai dépensé 150 000 francs, sans compter mes gains au casino durant cette période.»
Il part pour trois jours à Nice. Y reste un mois. «Je voulais me refaire. J’y suis arrivé. Je pouvais encore tout sauver. J’avais 300 000 euros dans la main… A la roulette, j’ai tout misé sur le rouge. Quelle sensation extraordinaire! Il m’a semblé que je jouais ma vie. Et j’ai tout perdu d’un coup.» Qu’ajouter après cela? Bastien ne peut pas payer son hôtel. Il est interné dans un hôpital pénitentiaire de la région niçoise. «C’est moi qui ai appelé la police. Il fallait que je paie, que je sois puni.» La recherche du châtiment ira jusqu’à trois tentatives de suicide entre juillet et août.
Bastien est actuellement le seul patient hospitalisé aux HUG pour dépendance au jeu. Entre les médicaments et la thérapie, il a l’impression de «voir le bout du tunnel». Aujourd’hui, il recommence «une nouvelle vie». «Pas à zéro, précise-t-il avec humour, mais à… moins quelque chose: j’ai plus de 100 000 francs de dettes. Comment trouver un job et un appartement avec ça sur le dos? Je ne sais pas.»
(source : 24heures.ch/PASCALE ZIMMERMANN)