Une étude réalisée à l'UQAM propose de nouvelles avenues pour soigner les malades du jeu. Stéphane raconte.
Stéphane a tout essayé: la thérapie spécialisée du centre Dollar-Cormier, l'autoflagellation publique aux Gambleurs anonymes (GA) et même l'inscription volontaire au club sélect des rayés du casino. Pourtant, il est incapable de faire une croix sur le jeu même s'il sait que son mal peut lui coûter sa famille. La solution? Prendre le joueur non plus comme un individu, mais comme un conjoint et un chef de famille, une initiative toute montréalaise qui a semé chez Stéphane les premiers germes d'une «longue rémission».
Le jeu pathologique est une maladie mentale au même titre que la dépression et qui a, par conséquent, des répercussions sur toute la cellule familiale. Quand Stéphane remplit ses cartes de crédit en une nuit, c'est sa conjointe et ses deux enfants qui en pâtissent en premier lieu, pas lui. D'où l'idée du Laboratoire sur le couple et la sexualité de l'Université du Québec à Montréal (UQAM), qui a entrepris de faire table rase des idées reçues sur le joueur pathologique pour reprendre le tout selon la perspective du couple par le biais d'une étude comportementale.
Pour Stéphane et sa conjointe, l'approche a été une véritable révélation. «J'ai essayé les Gambleurs anonymes, mais je n'ai jamais aimé le système. Je n'aime pas avoir à parler devant le monde et à entendre le monde pleurer autour de moi en racontant leur bla-bla quotidien, raconte-t-il. À l'UQAM, c'était plus une sorte de cours. On nous a appris à mieux communiquer, à mieux se comprendre.»
La passion du jeu de Stéphane est née avec la venue du casino à Montréal, en 1994. Depuis, il a fait rechute après rechute. La proposition d'un atelier de couple est donc tombée à point pour la conjointe de Stéphane, qui refuse désormais de vivre avec «trois enfants à la maison». C'est que la rémission de Stéphane est fragile et il est encore impensable de lui confier des cartes bancaires ou de crédit sans tenter le diable.
À preuve, il a beau figurer sur la liste des rayés du casino, il s'y rend quand même. Entrera, entrera pas ? Ça dépend des jours. «J'ai testé le système à de nombreuses reprises et il n'est pas parfait. Il y a des journées où je me risquais à y aller et où je revenais les poches vides ou pleines. D'autres journées, j'y allais et je me faisais regarder dans les yeux. La façon de faire est de nous amener sur le côté et de nous dire bien gentiment de sortir», raconte Stéphane, qui souhaiterait une action plus... musclée.
Devant l'impasse, commune à la plupart des couples qui sont aux prises avec une telle pathologie, les intervenantes du Laboratoire sur le couple et la sexualité, Vanessa Villeneuve et Anic Anderson, ont mis au point un questionnaire et un séminaire de deux jours afin de donner à ces couples des outils pour mieux communiquer. «C'est très interactif; on montre des techniques et on prend le temps de les mettre en pratique pour favoriser leur intégration. L'idée est de favoriser l'écoute, mais aussi la façon de s'exprimer», explique Vanessa Villeneuve.
Supervisé par les Drs Gilles Trudel et Richard Boyer, le projet permettra de comparer 120 couples entre eux afin de quantifier l'importance de la communication dans le couple pour prévenir les rechutes. L'inverse n'est toutefois pas à exclure. «S'il paraît évident qu'un problème de jeu va finir par affecter la relation conjugale, il est possible aussi que des problèmes de communication au sein du couple puissent conduire au jeu pathologique. La relation peut jouer dans les deux sens», avance le Dr Trudel, psychologue et chercheur à l'UQAM et au Centre de recherche Fernand-Seguin (CRFS).
Cette hypothèse est particulièrement intéressante à étudier chez les gens de plus de 55 ans. Et pour cause. Depuis 1975, le jeu pathologique aurait augmenté de 45 % chez les plus de 65 ans. «Ils ont beaucoup de temps libre et le jeu peut permettre d'en combler une partie», note le Dr Trudel, qui s'inquiète des conséquences à long terme d'un tel comportement. «Les gens qui sont à la retraite sont souvent fragilisés; quand le jeu entre dans leur vie, cela a souvent plus de conséquences. Perdre sa fortune à 25 ans est une chose, à 65 ans c'est la fin.»
Plus généralement, le jeu pathologique touche 2,1 % de la population québécoise (125 000 personnes). À ceux-là s'ajoutent près de 500 000 joueurs potentiellement pathologiques, soit en voie de le devenir. Le jeu excessif peut entraîner une dépression majeure, des pensées suicidaires, de l'endettement, de la pauvreté, des comportements criminels, la perte d'un emploi ainsi qu'une dysfonction au sein du couple pouvant engendrer une séparation, voire un divorce.
Pour les Drs Trudel et Boyer, il n'est pas farfelu de croire qu'en assainissant leurs rapports quotidiens et en mettant l'accent sur le rôle de soutien joué par le conjoint non joueur, les participants verront diminuer de beaucoup les possibilités d'une rechute. «Il ne faut pas perdre de vue qu'une relation de couple saine prévient divers types de problèmes de santé psychologique et physique», rappelle le Dr Trudel.
La conjointe de Stéphane, elle, y croit. «Je me rends compte que je suis plus capable de lui parler et de lui dire comment je vis les choses», raconte-t-elle. Mieux, Stéphane est devenu pour elle un livre ouvert. «Je ne m'en rendais pas compte les premiers temps qu'il me mentait parce que je ne tenais pas assez compte de ses changements d'humeur. Maintenant, je le sais à son ton.»
Mais le couple sait bien que tout cela reste bien fragile. «Le mot "rechute" refait toujours surface. Ma dernière remonte à trois ou quatre mois et elle me hante», laisse tomber Stéphane. En attendant, il croise les doigts.
(source : ledevoir.com/Louise-Maude Rioux Soucy)