En France, les jeux d’argent et de hasard font de plus en plus d'adeptes et touchent une personne sur deux. Carmen est une cheffe d'entreprise de 43 ans qui a bien failli tout perdre. Addict aux casinos en ligne et aujourd'hui endettée, elle livre son témoignage sur l’engrenage des jeux d’argent.
Carmen (prénom d'emprunt), 43 ans, a démarré le jeu un peu par hasard en 2018. “Le point de départ a été une soirée entre amis. On m’a proposé d’aller au casino, rien de catastrophique en soi. J’y suis allée avec 20 euros, j’ai joué et basta.”
Mais les sorties deviennent de plus en plus fréquentes. Elles finissent par devenir une routine. “Tu y retournes une deuxième fois, une troisième et puis tu prends le rythme d’y aller quasiment tous les week-ends. Je le faisais avec mon partenaire de l'époque, c'était notre sortie."
"Tant que ta carte bleue te dit oui, tu continues à jouer"
Entre son travail qui lui prend beaucoup de temps et une relation amoureuse parfois monotone, Carmen va alors plonger dans cet univers où le temps paraît suspendu : “On ne partageait pas grand-chose avec mon compagnon donc cela nous permettait d’être ensemble. C’était une façon de rentrer dans une petite bulle, de me libérer la tête.”
Je n’ai pas joué au départ pour gagner de l’argent ou pour devenir riche. J'en avais, de l'argent. Le jeu, c’était mon échappatoire.
Carmen
Ancienne accro aux casinos en ligne
Puis arrive le covid et son confinement. Carmen apprend que les casinos vont devoir fermer... et découvre alors qu’il est possible de jouer aux machines à sous en ligne : “Tu n’as plus de limite, en fait. Tant que ta carte bleue te dit oui, tu continues à jouer. Et si tu es pris dans l’engrenage de vouloir te refaire, tu finis par liquider tes comptes bancaires.”
Plusieurs milliers d'euros dépensés dans la journée
Depuis son smartphone, elle va se mettre à jouer tous les jours : “Tu n’as plus le côté "distance pour aller au casino", le casino est à toi en deux secondes. Plusieurs heures par jour, je passais mon temps à faire ça”, se remémore Carmen qui pouvait dépenser plusieurs milliers d’euros dans la journée.
La quadragénaire finit par vider toute son épargne et plus encore : “J'ai finalement pris sur le compte de ma société. Mais il fallait rembourser cet argent et la seule chose à faire, ça a été de prendre des prêts à la consommation.”
C’est un poison car tu joues pour te libérer la tête. Et une fois que tu as liquidé tes comptes, il faut jouer pour rembourser
Carmen
Ancienne accro aux casinos en ligne
Elle souscrit plusieurs crédits à la consommation. Aujourd'hui, elle se refuse à donner le montant total de ses pertes : “Il y a au moins cinq chiffres, a minima.” À la limite de l’interdit bancaire, Carmen va emprunter de l’argent à ses proches pour éponger ses dettes mais elle continue de jouer.
"Le problème de l’addiction, c’est l’enfermement : tu mens à tout le monde, tu es constamment en train de jouer et tu ne veux pas jouer devant les autres", explique Carmen.
"Aujourd'hui, je n'ai plus un rond"
“Aujourd’hui, je n’ai plus un rond, je suis endettée.” Son quotidien est encore bouleversé, pourtant elle a décidé de tout arrêter depuis : “248 jours. Plus un centime. Je parle en jours parce que c'est plus simple pour moi.”
Repentie, elle est suivie par l'association SEDAP (Société d'entraide et d'action psychologique) à Dijon, qui lutte contre les addictions. Elle bénéficie d’un accompagnement. Depuis, elle essaie de comprendre les rouages qui l’ont poussé vers la perte de contrôle.
[Les casinos en ligne] te harcèlent si tu ne joues plus. Ils t’offrent des cadeaux, il t’appellent par ton prénom. Comme un banquier, en fait.
Carmen
Ancienne accro aux casinos en ligne
Elle estime avoir été prise au piège par ces sites internet pourtant illégaux en France et basés à l’étranger - souvent sur l’île de Curaçao, dans les Caraïbes. “Tu es considéré comme VIP à partir du moment où tu joues beaucoup. Tu as quelqu’un qui t’appelle quand tu ne joues pas trop et qui te relance”, se rappelle-t-elle tout en expliquant que ces plateformes empêchent de retirer ses gains en une seule fois. “C’est tout un stratagème.”
Retrouver un cadre et la valeur de l’argent
Carmen a entrepris plusieurs démarches comme se faire interdire des casinos physiques et sur les sites de la Française des jeux. Elle a également demandé à une amie de changer les mots de passe et adresses mails de tous ses comptes en ligne.
En plus de son activité de cheffe d’entreprise, Carmen a également dû trouver un deuxième travail : “je considère que c’est ma thérapie”. Pour retrouver un cadre, mais aussi la valeur de l’argent qu’elle estime avoir perdu pendant toutes ces années : “Quand tu peux jouer des salaires en deux secondes, tu n’as pas la notion de l’argent.”
Depuis plusieurs mois, Carmen suit une psychothérapie pour s’assurer un nouveau départ, sur lequel elle veut tout miser aujourd’hui. "Oui, j'ai perdu de l'argent. Mais ce que je ne voulais, pas c’est "tout perdre". Je me suis arrêté quand il fallait."
(source : france3-regions.franceinfo.fr/David Segal)