Une équipe de Lyon cherche des volontaires, joueurs réguliers, pour étudier les mécanismes cérébraux.
Loto, jeux de grattage, machines à sous, poker… Plus de la moitié des Français entre 18 à 75 ans ont joué à un de ces jeux d’argent et de hasard en 2023. Un pourcentage en hausse de 4,6 points depuis 2019. Une augmentation qui n’est pas sans conséquence puisque 1,7% sont considérés comme des joueurs à risque modéré de développer une addiction, selon l’observatoire Français des drogues et tendances addictives (OFDT). Soit 810.000 personnes, qui peuvent perdre le contrôle et tomber dans une spirale de jeu compulsif aux conséquences dramatiques.
Dettes, perte de travail...
Car l’addiction aux jeux n’a rien à envier à l’addiction aux substances. C’est même, pour le moment, la seule addiction sans substance reconnue par le DSM-5, le manuel de référence des psychiatres. « Les personnes qui perdent le contrôle sont en difficultés sévères. Le jeu excessif entraine des conséquences dramatiques telles l’accumulation de dettes, la mise en danger des relations sociales et familiales, voire la perte de travail. Et il n’est pas rare que ces personnes soient dans le déni », explique le Guillaume Sescousse, chercheur à l’Inserm et directeur adjoint du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon.
Que se passe-t-il exactement dans le cerveau lorsque l’on devient addict au jeu ? «Comme dans le cas de l’addiction aux substances, un faisceau d’observations indique un rôle central de la dopamine dans l’addiction aux jeux d’argent», explique Guillaume Sescousse. Depuis longtemps, il est admis que les drogues, que ce soit le tabac, l’alcool, le cannabis ou encore la cocaïne agissent sur le circuit cérébral de la récompense. Plus spécifiquement, les drogues engendrent une libération de dopamine, qui joue un rôle clé la motivation et le renforcement positif. «L’une des hypothèses les plus consensuelles est que les personnes qui deviennent addicts auraient une plus faible densité de certains récepteurs dopaminergiques (dits D2), avec des réponses cérébrales à la récompense diminuées. Pour compenser ce déficit, ces personnes seraient naturellement attirées par des activités qui vont générer des récompenses fortes et donc des décharges de dopamine importantes», explique Guillaume Sescousse. Les drogues sont un moyen biochimique efficace pour provoquer ces décharges de dopamine.
Cependant, dans le cas de l’addiction aux jeux d’argent, le mécanisme sous-jacent semble différent et reste encore mal compris. «Que le système dopaminergique soit impliqué, il n’y a pas de doute», affirme Guillaume Sescousse. Comme le rappelle le neuroscientifique, la preuve en est l’addiction aux jeux développée par certains patients atteints de la maladie de Parkinson (provoquée par une dégénérescence des neurones dopaminergiques), suite à l’initiation de leur traitement à base de L-dopa, un précurseur de la dopamine. En revanche, le rôle des récepteurs D2 est beaucoup moins clair. Il reste donc à découvrir ce qui se passe exactement au niveau du cerveau lorsqu’on joue aux jeux d’argent. L’étude lancée par Guillaume Sescousse et son équipe à Lyon pourrait apporter des éléments de réponses. «Nous cherchons à distinguer de possibles différences au niveau cérébral, en fonction du type de joueur. En effet, il y a grande diversité de joueurs, et certains vont par exemple jouer plutôt sous le coup d’émotions négatives, alors que d’autres vont plutôt jouer sous le coup d’émotions positives. De plus nous pensons que les mécanismes en cause chez les joueurs de poker ne sont sans doute pas les mêmes que ceux en cause chez les adeptes de machine à sous… », explique le chercheur. Pour cela, il est à la recherche d’une cinquantaine de volontaires, joueurs réguliers. «Notre étude consiste à observer ce qui se passe dans le cerveau de personnes en train de jouer grâce à la technique d’Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle (IRMf), ainsi que dans la "vraie vie" en suivant les participants pendant plusieurs semaines grâce à leur smartphone», décrit Guillaume Sescousse.
À terme, l’objectif sera de proposer des prises en charge personnalisées pour les personnes concernées par cette addiction.
(source : sante.lefigaro.fr/Anne Prigent)