Un promoteur veut amarrer l'ancien transatlantique en Normandie. Les pouvoirs puiblics sont séduits. Décision mercredi.
L'histoire pourrait finir par donner tort à Michel Sardou. «Ne m'appelez plus jamais France», chantait-il dans les années 1970, après le désarmement du transatlantique qui avait si longtemps été l'ambassadeur du savoir-vivre à la française. Aujourd'hui, le retour au pays de l'ex-France devient possible. Le navire pourrait s'amarrer à proximité de Honfleur, au pied du pont de Normandie. C'est en tout cas le projet d'Isaac Dahan, promoteur immobilier de Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis), un projet qui pourrait connaître une avancée décisive dès cette semaine.
L'intérêt d'Isaac Dahan pour le bateau remonte à quelques années. «Il n'était même pas encore à vendre ! se souvient le promoteur qui parle d'une voix calme, mais presque inaudible. C'était au lendemain des attentats du 11-Septembre. Le navire était encore à Miami.»
Né au Maroc en 1947, il a fait fortune en rachetant et revendant des friches industrielles et des usines désaffectées. Il est désormais à la tête de plus de 35 sociétés civiles immobilières et vit entre la banlieue parisienne et le manoir normand de Clairfontaine, un domaine entre Villerville et Trouville, pourvu d'une fermette et qui jouit d'une superbe vue sur la baie de Seine et Le Havre. Isaac Dahan aime la discrétion. Il ne s'attendait pas à ce que son projet «fasse autant de bruit».
Ses contacts avec les nostalgiques du France ont démarré il y a plusieurs mois. Une réunion s'est tenue dans un hôtel de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) en avril. «On ne le connaissait pas, se rappelle Jacques Lhéritier, le président de l'association Pour l'ex-France. Il voulait traiter discrètement et disait avoir un groupe de gros investisseurs derrière lui.»
A ce moment, le paquebot rebaptisé Norway venait d'être remis en vente. Mise à prix ? 20 millions d'euros. La somme est modeste, car le bateau n'a plus de moteur. Il est paralysé depuis l'explosion d'une chaudière qui a tué huit membres d'équipage en mai 2003. L'ex-France est désormais immobile sur un quai désert de l'immense port de Bremerhaven en Allemagne. Le propriétaire est une compagnie basée en Malaisie, Star Cruise, qui a hâte de s'en débarrasser. La maintenance lui coûte 500 000 dollars par mois.
Mais Isaac Dahan n'est pas le seul sur l'affaire. Un investisseur hollandais, Joop Post, veut en faire un hôtel-théâtre-casino dans le port d'Amsterdam. Un Coréen, deux Américains et un Américano-Norvégien sont également sur les rangs. En outre, avec les cours de l'acier qui grimpent, il pourrait même devenir intéressant de vendre le bâtiment à la casse.
Au mois de mai, le promoteur français se rend à Bremerhaven pour visiter le bateau. Il se donne une longueur d'avance. Il a la préférence du vendeur et le début d'un plan pour rentabiliser l'ex-France. Isaac Dahan prévoit d'aménager 600 à 800 chambres d'hôtel, plusieurs restaurants, un centre de loisirs et surtout des structures d'accueil de salons internationaux. «Il mise sur une clientèle qui ne viendrait pas autrement dans la région, celle des Américains, des Japonais et des Chinois, notamment», explique le maire de Honfleur, Michel Lamarre.
En août, tout est prêt pour signer l'affaire. Tout ou presque. Car, à ce moment-là, Isaac Dahan n'a encore prévenu personne de ses intentions. Où amarrer le paquebot et ses 315 mètres de longueur ? Antoine Rufenacht, le maire du Havre, a déjà fait savoir qu'il n'en voulait pas. Même fin de non-recevoir à Saint-Nazaire, où le bateau a été construit et inauguré en 1960 par le général de Gaulle.
Après des semaines de recherche, le choix d'Isaac Dahan se porte sur Honfleur. Mais pas question de mettre la main à la poche pour draguer la Seine, construire un nouveau quai, un parking, une route d'accès... L'ensemble représente 15 à 20 millions d'euros. Isaac Dahan compte plutôt mobiliser l'État et les collectivités locales. Mais ce n'est pas si facile. «Il est tombé de haut, raconte un proche du dossier. Il s'attendait à ce que tout le monde lui soit reconnaissant. Il ramenait le France !»
L'homme d'affaires n'a pas présenté d'études d'impact sur la région ni de business-plan, et n'a pas même fait la preuve de son assise financière. «Il m'a expliqué en tête à tête son projet, mais pas dans le détail», confirme Christian Fougeray, le président de la chambre de commerce du pays d'Auge. «J'attends toujours des réponses», ajoute Anne d'Ornano, la présidente du conseil général du Calvados.
Le dossier séduit de nombreuses collectivités locales, mais c'est au niveau de l'État qu'il va finalement progresser. Au plus haut niveau, celui des ministères. Le préfet Cyrille Schott est chargé de piloter le dossier et plus précisément de réunir autour d'une table tous les acteurs publics : conseils général et régional, CCI, port autonome de Rouen, ville de Honfleur, etc. Isaac Dahan devrait être convoqué pour s'expliquer. Selon nos informations, c'est mercredi que cette réunion se tiendra, à la préfecture du Calvados. Les participants semblent acquis au projet. Seule Anne d'Ornano garde la tête froide. «Ce n'est pas la France qui retrouve le France mais un particulier qui rachète le Norway.»
Désormais, une décision est urgente. Isaac Dahan dit avoir «une option de réservation» sur le bateau, mais le vendeur, Star Cruise, fait savoir que celle-ci ne s'applique «que jusqu'au 10 octobre». Les participants à la réunion d'après-demain donneront-ils leur aval à Isaac Dahan ? Cela lui permettrait de boucler l'affaire dans les temps, à un prix qui devrait finalement avoisiner les 16 millions d'euros.
Ensuite, il resterait à remettre le Norway en état de naviguer. «Pour ne pas ramener quelque chose de sale en France», commente l'initiateur du projet. Cela nécessiterait 1 à 2 millions supplémentaires. Il faudrait enfin remorquer le paquebot jusqu'à Cherbourg pour le désamianter. Un chantier dont le coût est estimé à 2,5 millions. Après 18 à 24 mois de remise à neuf, le navire pourrait alors s'amarrer à son nouveau quai, au pied du pont de Normandie qui aurait été construit entre-temps. Le France serait alors véritablement de retour en France.
(source : lefigaro.fr/Jean-Marc PHILIBERT)