Connu pour ses casinos, le groupe partouche explore les nouvelles technologies pour toucher sa clientèle de demain. Derrière ces aspirations, une filiale dénommée partouche Multiverse.
Difficile de percevoir, à la vue de cet immeuble typique des années 1960, que son résident, le casinotier partouche, se revendique comme l’un des plus innovants en matière de Web3, cet Internet fondé sur des protocoles décentralisés comme la blockchain. Pourtant, l’entreprise vieille d’un demi-siècle a lancé sa filiale dédiée à ces technologies il y a déjà deux ans : partouche Multiverse. ’illustration de la volonté du groupe de se renouveler et d’anticiper les usages de sa clientèle, amenée à se renouveler et toujours en recherche de nouvelles expériences. «Nous sommes dans les métiers de l’hospitalité et du divertissement : nous avons des casinos, hôtels, restaurants, spas, golfs et des plages, rappelle Maurice Schulmann, délégué général du groupe. Nous sommes là pour nous projeter dans les dix, vingt années à venir. Nous ne faisons pas de la blockchain pour faire de la blockchain : nous évaluons comment faire évoluer un métier qui reste très traditionnel avec les jeux de casino et les machines à sous.»
Constituée comme une start-up, partouche Multiverse est donc une cellule amenée à tester de nouveaux outils, dont certains pourraient intégrer le quotidien des casinos. L’histoire a commencé avec la technologie NFT (jetons non fongibles) : ces certificats aux données individualisées émis sur le registre décentralisé qu’est une blockchain, de façon à ce qu’ils ne puissent être altérés. Si les NFT répondent à de nombreux cas d’usage (certification d’œuvre artistique, passeport numérique, attestation de garantie, etc.), la filiale de partouche a choisi ce support pour éditer des cartes de membres d’un club très privé : le Joker Club. Une «communauté» - comme aiment à l’appeler Maurice Schulmann et le directeur des opérations de partouche, Jordan About - de plus d’un millier de détenteurs de ces NFT à l’effigie d’un malicieux personnage : le «Joker», décliné en plusieurs milliers d’itérations. Avec la possession d’une de ces cartes NFT - vendue 0,08 ether (la cryptomonnaie de la blockchain Ethereum), soit environ 136 euros en mars 2023 - la promesse d’avantages exclusifs, comme l’accès à des événements privés au sein des casinos partouche, des dîners offerts dans leurs établissements, des réductions sur des produits ou même des crédits de jeu.
Lancée à l’époque en plein marché baissier, l’offre fut accueillie de façon mitigée avec 4 444 exemplaires vendus sur les 8 888 mis en vente. «Nous l’avons lancée en plein hiver crypto, insiste Maurice Schulmann. Mine de rien, nous avons organisé 35 événements en l’espace d’un an autour du Joker Club : un lien est né avec une communauté. C’est tangible, cette communauté existe toujours. Or, à partir du moment où tu survis [à un marché baissier], tu as gagné.» Un tacle à peine déguisé adressé aux nombreuses collections NFT qui n’ont pas survécu à l’éclatement de la bulle spéculative autour de cette culture. Pour dépasser cet aspect purement spéculatif, l’équipe de partouche Multiverse a même décidé de faire de ce club un accélérateur d’entreprises où les détenteurs du NFT sont invités à proposer leurs compétences ou idées de business, potentiellement à même d’intégrer l’escarcelle du groupe de casinos : un tatoueur indépendant collabore désormais avec le groupe, un brasseur belge et passionné de NFT est en discussion pour produire la bière officielle du club. «Si cela ne nous coûte pas plus cher que d’autres prestataires, autant nous procurer la bière d’un de nos “holders” (possesseurs de NFT, NDLR), développe Maurice Schulmann. Il y a des synergies intéressantes à créer avec les membres de notre communauté, il y a quelque chose d’intelligent à créer. Cela contribue à animer le club.»
Des participations capitalistiques dans des start-up
Le club n’est toutefois qu’une facette de partouche Multiverse. La filiale - officiellement enregistrée sous le nom de partouche Verse - investit également ses ressources financières dans l’écosystème crypto : elle détient notamment 16% du capital de V3ntures, le fonds d’investissement déployé par Michael Amar (entre autres, cofondateur de la Paris Blockchain Week) ; elle a également investi dans Intercellar, la jeune société qui concilie la vente de vins et spiritueux avec l’infrastructure blockchain. Et l’entreprise collabore activement avec la jeune pousse Gokaden (présente dans le portefeuille de V3ntures), plateforme collaborative pour les créateurs de contenu. Et si le montant ne nous a pas été communiqué, la société a également investi en bitcoin : «A l’échelle du groupe, c’est un petit billet et j’aurais bien aimé en mettre un plus substantiel, reconnaît cependant Maurice Schulmann. Lors du marché baissier avec un Bitcoin à 19 000 euros (courant 2022-2023, NDLR), cela n’avait pas de sens de ne pas en acheter. Si on ne l’avait pas fait, cela aurait signifié que l’on ne croyait pas en notre propre projet.»
Pour expliquer cette conviction dans cet écosystème florissant, Maurice Schulmann loue le flair d’Ulysse partouche, 22 ans à peine et l’un des six enfants de Patrick partouche, président du groupe du même nom. «C’est lui qui a incité à exploiter la blockchain il y a déjà quatre ans, glisse le délégué général. D’autres groupes n’auraient pas forcément écouté l’avis d’un jeune homme de 18 ans mais cela correspond à l’ADN du groupe, qui est familial. J’ai pu faire la passerelle avec les dirigeants.» Une intuition qui n’est cependant pas dénuée d’objectifs de retour sur investissement : «La blockchain n’est pas une fin en soi ; nous voulons faire un maximum d’expérimentations pour que, lorsque l’on met le doigt sur quelque chose d’intéressant, nous soyons en mesure d’aller encore plus loin.» Au cours de ce trimestre, la start-up mettra ainsi la blockchain de côté pour lancer un jeu dans Roblox, la plateforme métaverse aux 200 millions de joueurs dans le monde. «Notre positionnement est d’être un pont entre le réel et le virtuel car, de notre point de vue, c’est un seul monde. Les premiers utilisateurs de Roblox ont la vingtaine aujourd’hui et je pense qu’il va rester quelque chose d’énorme de cette génération», explique Maurice Schulmann, qui imagine déjà le profil des futurs clients de partouche.
En coulisses, une autre filiale travaillerait quant à elle sur la création d’une infrastructure technologique, notamment un wallet (portefeuille de cryptoactifs) pour accueillir ces nouveaux utilisateurs. L’ultime preuve de l’engagement de partouche dans cette culture Web3. «Le groupe ne regarde pas la rentabilité à un an, cela n’a aucun sens. Nous sommes le point de liaison entre la R&D et le marketing. Nous sommes en train de construire quelque chose. Avec 420 millions d’euros de chiffre d’affaires par an et un EBITDA de 76 millions d'euros, partouche peut se lancer dans cette aventure, d’autant qu’on le fait de façon raisonnée», assure Maurice Schulmann, qui glisse tout de même que «même si le groupe ne l’a pas fait pour ça, il n’est pas à l’abri d’une belle opération financière» pour ses investissements dans les start-up. Au casino, les gains ne sont pas toujours dus au hasard.
(source : capital.fr/Jérémy Le Bescont)