Le gouvernement s’apprête à pérenniser les salles de jeux d’argent qui étaient présentes dans la capitale à titre expérimental depuis 2018. S’il n’est pas encore question d’y autoriser les machines à sous, apanage des casinos, la roulette devrait y faire son arrivée et doper ce business sous haut contrôle.
Peu avant 12h30 ce 5 avril, comme tous les jours de la semaine une trentaine de personnes, presque tous des hommes, attendent sagement sur le trottoir devant le 62 rue Pierre Charron, à deux pas des Champs-Elysées dans le VIIIe arrondissement, de pouvoir entrer dans l’un des sept clubs de jeux que compte la capitale. Certains bavardent joyeusement, d’autres, casquette vissée sur le crâne et regard fermé, attendent sans broncher l’ouverture des portes. Une fois à l’intérieur, chacun doit présenter une pièce d’identité (ou une carte de membre pour les habitués) avant de pouvoir s’installer à une table de jeux. Outre ce contrôle à l’entrée, la surveillance est omniprésente, de nombreuses caméras et micros ne ratent rien, ni personne. Les enregistrements doivent être conservés un mois.
Moquettes épaisses, musique moderne, restauration gastronomique à prix d’ami, personnel aux petits soins avec les joueurs aguerris comme avec les nouveaux venus, fauteuils confortables, fumoir à l’anglaise… Tout est fait pour que l’exercice toujours délicat de gagner ou de perdre de l’argent se déroule dans la meilleure ambiance possible, jusqu’à 6h30 le lendemain. Et donc, en étroite collaboration avec la police des jeux. « J’étais un joueur de poker moi-même quand j’ai lancé ce club et je me suis tout simplement inspiré de ce qui se fait de mieux à Las Vegas en matière d’accueil, de service et de sécurité », explique Grégory Benac, le PDG du groupe Marval, propriétaire de l’établissement.
Cet ancien gestionnaire de hedge funds à New York et Boston est le dernier arrivé sur ce marché promis à un bel avenir. En trois ans, il en est même devenu le leader, devant les spécialistes des casinos (Barrière, Partouche, Tranchant…) eux-mêmes présents dans la capitale dès 2018. L’année dernière, le Club Pierre Charron a accueilli pas moins de 170 000 joueurs à ses tables, en hausse de 27 % sur un an, pour un produit brut des jeux avant impôt de plus de 28 millions d’euros. De quoi donner à Grégory Benac, qui a déjà créé 220 emplois, des envies de développement à paris et ailleurs, avec l’appui de nouveaux investisseurs. Dans le même temps, le leader français des casinos, le groupe Barrière attirait 138 000 clients (+43 %) dans son club idéalement situé sur la plus belle avenue du monde et à quelques mètres de son palace le Fouquet’s, ce qui est bien pratique pour ses clients.
« L’augmentation spectaculaire du nombre d’entrées (+17,75 %, à 700 000) illustre le potentiel de l’offre des clubs parisiens », se réjouit Stéphane Piallat, le chef du service central des Courses et Jeux au ministère de l’Intérieur dans son bilan de l’année. Il s’inquiète toutefois de « la fragilité potentielle du modèle économique », car deux établissements voient leur produit brut de jeu décroître.
Rompre avec le passé
Lorsque les jeux d’argent ont été réautorisés à paris en 2018, « à titre expérimental », personne ne voulait renouer avec les dérives des anciens « cercles de jeu », où la pègre et les trafics avaient réussi à s’inviter. Presque tous les établissements historiques qui, par une bizarrerie juridique, avaient le statut d’association loi 1901 depuis l’avant-guerre, avaient été fermés l’un après l’autre par les autorités pour fraude fiscale ou blanchiment, jusque dans les années 2000-2010. « Nous sommes arrivés aujourd’hui à la fin de l’expérience légale, qui a duré sept ans au lieu de trois en raison du Covid, précise Claire Pinson-Bessonnet, avocate du syndicat professionnel Casinos de France. Un nouveau cadre doit être mis en place d’ici au 31 décembre 2024, il doit être précédé six mois avant d’un bilan de l’expérimentation. »
Au moment où la machine législative va se mettre en œuvre, les pouvoirs publics semblent disposés à pérenniser l’existence des clubs, qui ont déjà créé 1 200 emplois dans la capitale et rapportent plus de 119 millions d’euros par an en taxes à la ville et à l’Etat. « Il faut toutefois se poser la question de l’attractivité de ces lieux, plaide Me Pinson-Bessonnet. Après l’autorisation du black jack il y a deux ans, il paraît pertinent d’autoriser aujourd’hui la roulette, qui est un jeu à la fois attractif et rémunérateur pour les exploitants. » Pour l’heure, les taxes perçues sont en deçà des espérances.
Des coûts exorbitants et une rentabilité faible
Les professionnels n’osent pas se plaindre de leurs profits insuffisants, mais ils insistent sur leurs coûts très lourds en loyers et main-d’œuvre qui expliquent qu’une fois les taxes sur les jeux payées, plusieurs d’entre eux n’arrivent pas à la rentabilité et préfèrent parfois réduire les heures d’ouverture ou la capacité d’accueil pour limiter leurs coûts de fonctionnement. Ils espèrent que la nouvelle loi va agir comme un relais de croissance, en plus de définir un cadre protecteur.