L’année 2022 s’est caractérisée par la consolidation des nombreux outils mis à la disposition du régulateur et l’aboutissement d’un plan d’actions ambitieux portant sur le renforcement de l’encadrement des pratiques publicitaires des opérateurs de jeux. La croissance du marché, la banalisation du jeu d’argent et l’arrivée de nouvelles offres de jeux viennent questionner le cadre de régulation mis en place en 2019. Trois ans après sa création, l’ANJ souhaite pouvoir disposer de nouveaux outils d’intervention adaptés à ces enjeux, lui permettant à la fois de contrôler le marché traditionnel et les nouvelles offres de jeux, dans une optique de réduction du nombre de joueurs excessifs.
Le jeu d’argent en France en 2023
Le marché des jeux d’argent a enregistré un chiffre d’affaires record en 2022, avec un produit brut des jeux de 12,9 milliards d’euros, en augmentation de 20% par rapport à 2021.
Avec un Français sur deux qui pratique les jeux d’argent, le jeu est devenu en quelques années une activité banalisée qui concerne tous les âges et toutes les catégories. Grâce aux techniques de sollicitation numérique, le jeu est disponible dans sa poche et presque à toute heure. Cette « industrialisation » transforme pour certains la logique du jeu récréatif en une logique d’investissement financier. Au-delà du simple divertissement, on joue aussi « vraiment » pour gagner de l’argent ou s’enrichir. Cette tendance est évidemment plus marquée parmi les personnes plus fragiles économiquement, en particulier dans une période où le pouvoir d’achat des Français diminue.
Ces évolutions sont d’autant plus préoccupantes que les externalités négatives inhérentes au marché des jeux d’argent en matière d’addiction semblent croitre également. L’Observatoire des Jeux estimait ainsi en 2020 à 400 000 le nombre de joueurs excessifs. Le fichier des interdictions volontaires de jeux géré par l’ANJ enregistre quant à lui une augmentation continue du nombre de demandes d’inscription (1300 demandes par mois en moyenne), notamment de la part de jeunes et totalise aujourd’hui plus de 53 000 personnes.
Au-delà de la dimension clinique et individuelle de l’addiction, celle-ci s’apparente davantage aujourd’hui à un problème social, qui occasionne des dommages collatéraux dans l’entourage direct du joueur : surendettement, problèmes familiaux, difficultés scolaires, etc.
Un nécessaire renforcement des moyens d’action de l’ANJ pour réduire le nombre de joueurs excessifs
En conséquence, trois ans après la mise en œuvre d’une réglementation qui renforçait déjà les obligations des opérateurs de jeux d’argent, l’ANJ considère aujourd’hui qu’il faut réduire en valeur absolue la population des joueurs excessifs, en agissant de façon diversifiée et vigoureuse sur l’offre et la demande et ce, le plus en amont possible.
Pour ce faire, le dispositif actuel de régulation doit être complété. C’est la raison pour laquelle l’ANJ a proposé au Gouvernement de disposer de pouvoirs renforcés, tels que :
- Interdire la publicité pour les jeux d’argent pendant la diffusion des matchs cinq minutes avant le coup d’envoi et jusqu’à cinq minutes après le coup de sifflet final ;
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Contrôler et encadrer les volumes et des modalités publicitaires retenus par les opérateurs de jeux ;
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Retirer les offres de jeux lorsque celles-ci présentent un risque manifeste et excessif ;
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Donner à l’ANJ la capacité de fixer un plafond de pertes pour les catégories de joueurs les plus fragiles (18-25 ans), ;
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Mettre en place une obligation d’affichage permanent d’un « compteur d’activité » du joueur (feed-back normatif et indicateurs d’activité tel que les pertes nettes) ;
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Renforcer l’efficacité du dispositif d’interdiction volontaire de jeu en abaissant la durée de l’interdiction à un an, renouvelable tacitement, sans possibilité de revenir sur ce délai d’interdiction ;
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Etendre à tous les opérateurs de jeux d’argent l’obligation de reverser 0,002% de leurs mises annuelles pour le financement d'études sur les jeux d’argent.
De nouvelles offres de jeux qui remettent en cause le modèle actuel de régulation
Les JONUM (Objets numériques monétisables)
De nouveaux types de jeux, les Web3 en particulier, qui attirent des publics jeunes ou spéculatifs ont fait leur apparition récemment. Certains de ces jeux s’apparentent à des jeux d’argent et de hasard et suscitent des risques largement assimilables à ceux posés par les jeux d’argent (addiction, blanchiment, prévention du jeu des mineurs, etc.).
Dans ce contexte, le Gouvernement a souhaité définir un cadre de régulation spécifique aux jeu Web3. Le projet de loi « sécuriser et réguler l’espace numérique » qui a été examiné au Sénat début juillet comporte un article qui fixe les conditions d’exploitation des jeux utilisant des objets numériques monétisables (« JONUM »). A ce stade, une définition a été adoptée mais les protections nécessaires à mettre en place n’ont pas encore été définies. L’examen à l’Assemblée nationale à venir cet automne sera décisif à cet égard.
A ce stade de la discussion parlementaire et au-delà de l’avis qu’elle a rendu au gouvernement, l’ANJ souhaite souligner les points suivants :
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Durant la période expérimentale et compte tenu de l’évolution permanente qui caractérise ce type d’offres, il est impératif que le régulateur des JONUM ait des marges de manœuvre dans la mise en œuvre du nouveau cadre légal. Il serait ainsi fort opportun qu’il puisse édicter des règles de droit souple et soit doté d’un pouvoir de mise en demeure afin de favoriser le respect par les éditeurs JONUM des objectifs fixés par le législateur, en recherchant des solutions pragmatiques, le cas échéant concertées avec les éditeurs de JONUM ;
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Le dispositif de protection doit être solide et adapté aux risques présentés par cette nouvelle offre de jeu (interdiction aux mineurs, déclaration préalable du jeu à l’ANJ, restriction du contenu des communications commerciales et pouvoir de retrait des publicités non conformes, mise en place de mécanismes de protection des joueurs, contrôle des obligations en matière de lutte contre le blanchiment) ;
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Enfin, la mise en place de ce nouveau régime juridique ne doit pas susciter des stratégies de contournement des contraintes légales et fiscales applicables aux jeux d’argent et entraîner une distorsion de concurrence au détriment des opérateurs légaux de jeux d’argent.
La question de l’ouverture du marché des casinos en ligne
Pour lutter de manière plus efficace contre l’offre illégale et nourrir la réflexion sur l’évolution éventuelle du cadre existant, l’ANJ a commandé une étude quantitative et qualitative très complète sur l’état de l’offre illégale et les habitudes de consommation. Cette étude qui sera publiée en septembre donnera une estimation de la taille du marché et permettra de mieux connaître à la fois les offres illégales et les pratiques des joueurs. C’est sur cette base que l’ANJ présentera un bilan de son activité de blocage administratif des sites illégaux effectif depuis un an ainsi que les enseignements à en tirer en termes d’options de régulation.
Pour Isabelle FALQUE-PIERROTIN : « L’extension du marché des jeux d’argent à de nouvelles offres de jeux constitue une période critique pour le modèle de régulation mis en place il y a trois ans. Cela peut conduire à le déstabiliser ou au contraire à le renforcer. Ce qui doit guider les réflexions, c’est la nécessité absolue de réduire le nombre de joueurs excessifs, qui constitue aujourd’hui un problème social qui dépasse la seule dimension individuelle de l’addiction ».
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