Alors qu'une convention pour 20 ans devait avoir réglé les disputes de partage entre La Tour-de-Salvagny et Charbonnières-les-Bains qui se répartissent depuis 141 ans le produit des jeux, la Chambre régionale des comptes souligne sa faiblesse juridique.
Un siècle et demi après sa création en 1882, le statut du casino de Charbonnières-les-Bains interroge toujours. Et pour cause, il est situé sur le territoire de la commune voisine, La Tour-de-Salvagny. Mal né, l'établissement aujourd'hui renommé Lyon Vert, a longtemps vu ses deux parents se disputer le jackpot issu de la taxe sur les jeux d'argent. D'abord avec des partages de gré à gré, puis à travers un syndicat intercommunal et enfin dans le cadre d'une convention bipartite depuis 2018. Une convention signée pour 20 ans mais juridiquement fragile d'après un rapport de la Chambre régionale des comptes (CRC), publié vendredi 26 mai, si bien que la commune de La Tour-de-Salvagny serait en mesure de le dénoncer. D'autant plus fragile que la Métropole de Lyon, qui - depuis la création - a avalé la compétence de promotion touristique autorisant le prélèvement de la taxe sur les jeux d'argent, pourrait prétendre au magot.
Thermalisme à la lyonnaise
Et quel magot ! Plusieurs millions d'euros de redevance qui assurent aujourd'hui à chacune des deux communes concernées plus de la moitié de leurs recettes fiscales. Leur autorisant au passage une taxe foncière relativement basse alors que leur population est parmi les plus aisées de la métropole. C'est d'ailleurs la raison d'être de la convention signée en 2018 : éviter une perte de ressource substantielle à la commune de Charbonnière. Elle acte la rétrocession de 47 % du montant du prélèvement opéré par La Tour-de-Salvagny, soit 2,19 millions d'euros en 2019 (avant une baisse enregistrée à cause des restrictions sanitaires). «Si elle se comprend d'un point de vue historique», cette convention affiche une «solidité juridique très incertaine», selon la CRC.
Pour comprendre cette logique historique justement, il faut remonter à la Belle Époque. La verdoyante commune de Charbonnières est alors appréciée des notables lyonnais pour son cadre arboré et fleuri, mais aussi ses eaux ferrugineuses, découvertes par l'abbé Marsonnat juste avant la révolution et exploitées depuis le début du XIXe siècle. Jusqu'à compter plusieurs milliers de curistes annuels et obtenir l'épithète «les bains» par décret du président Félix Faure en 1897. Pour changer des courses d'ânes en vogue, un casino est bâti en 1882 pour divertir les plaisanciers par un homme d'affaires qui vient de racheter un tènement de 25 hectares... en toute illégalité. D'autant que Charbonnières n'a obtenu le statut de ville hydrominérale qu'en 1927.
Guerre de cent ans
Depuis, les deux communes se sont disputé les recettes, par conventions successives aux répartitions variables. Charbonnières allant jusqu'à lancer un casino concurrent dans les années 20. En 1980, le préfet de l'époque finit par demander aux communes de se mettre en ordre en créant un syndicat intercommunal chargé de récolter le produit des jeux et de le répartir à parts égales. C'est chose faite en 1984. Le classement en station hydrominéral étant étendu à l'ensemble du territoire du Sirish, le nom du syndicat, en 1987.
Mais les évolutions réglementaires ont rendu ce syndicat lui aussi caduque au fil des ans, comme le soulignait déjà la Chambre régionale des comptes en 2014. Si bien qu'il a été dissous en 2018. À l’époque, la Direction régionale des finances publiques avait souligné le risque financier pour la commune de Charbonnières-les-Bains. «Pour soutenir un budget équivalent, elle serait donc contrainte, à très court terme, de doubler ses taux de fiscalité sur les ménages», écrivait-elle. D'où la convention de 2018... qui s'avère encore une fois inadaptée.
Troisième larron
«Sous l'angle juridique, la situation créée par la convention est délicate, car elle ne fait écho à aucune jurisprudence administrative ou judiciaire», souligne la Chambre régionale des comptes dans son rapport. Or, «selon le principe intangible» et ancien de l'interdiction des libéralités, «une collectivité ne peut pas s'engager ou être condamnée à verser une somme qu'elle ne doit pas». «L'absence d'intention libérale», inscrite en préambule de la convention ne pourrait renverser ce principe d'après la CRC. La Chambre souligne les fortes incertitudes pesant sur la convention de 2018 et la rétrocession de telles sommes : «aucune cause sérieuse ne semble l'appuyer».
Ainsi, la commune de La Tour-de-Salvagny - même sans avoir besoin des recettes supplémentaires - pourrait décider d'y mettre un terme sans qu'un recours ne soit certain pour sa voisine de Charbonnières-les-Bains. La Chambre invite donc les municipalités à «poursuivre les échanges». D'autant qu'un autre tiers pourrait entrer dans la danse centenaire des voisins et rafler la mise. En effet, la métropole de Lyon, qui a récupéré la compétence de tourisme des communes dans le cadre de la loi de métropolisation, pourrait prétendre à la recette, ce qu'elle n'a pas fait. Dans ce cas-là, la loi prévoit que la commune d'implantation, La Tour en l'occurrence, conserve 10 % du magot. Mais pas sa voisine, aussi inséparable soit leur histoire.
(source : lefigaro.fr/A
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