Un petit bluff honnête? Un indien? Un stud à sept cartes? Un draw? Ou peut-être une tournée de king and low? Rangez le Cranium et sortez plutôt les cartes et les rouleaux de pièces de 5 cents, mixez les Gin Gimlet, révélez votre bluffeur intérieur et vos talents de croupier. Le poker connaît un regain de popularité dans les chaumières, à la télévision et sur Internet.
Certains mordus s'y adonnent en touristes, risquant tout au plus leur poignée de «petit change» ou des billets de Monopoly. En revanche, des pros remportent des sommes spectaculaires un soir, pour mieux perdre leur chemise le lendemain.
Formé en génie, Nicolas Fradet gagne sa vie avec le poker. Non pas en jouant - bien que son talent pour les cartes s'avère un lucratif «à-côté» - mais plutôt en administrant plusieurs sites francophones (dont www.princepoker.com) consacrés aux astuces et stratégies du célèbre jeu.
«La plupart des joueurs qui fréquentent nos sites ont entre 20 et 30 ans et ont découvert le jeu et la stratégie grâce à Internet», explique-t-il au cours d'un entretien téléphonique.
La planète, constate Nicolas Fradet, est sous l'emprise de la fièvre du poker. Ce dernier observe avec intérêt comment son loisir préféré a récemment redoré son blason. «Grâce au world poker Tour, le jeu connaît un grand impact aux États-Unis. Des célébrités comme Ben Affleck- qui a récemment remporté plus de 300 000 $ US dans un grand tournoi- James Woods et Tobey Maguire, tous de bons joueurs, ont donné une visibilité au jeu et l'ont rendu huppé.»
Au Québec, la vague du poker progresse lentement, mais sûrement. Encore inexistants dans les casinos québécois, les salons de poker comme à Atlantic City, où les participants jouent entre eux et non pas contre la maison, seront prochainement implantés sous forme de projet-pilote, au Casino de Hull. Avant de sabler le champagne, les mordus québécois devront calmer leurs ardeurs: le Conseil des ministres du gouvernement provincial doit d'abord inclure le poker dans la liste des jeux approuvés pour les casinos du Québec.
La soirée du poker
Depuis quelques mois, certains réseaux américains (comme ESPN) proposent aux détenteurs de satellite télé de regarder des gens qui jouent aux cartes, bluffent et misent leurs sous (et parfois leur dignité). En juillet, le Réseau des sports est entré dans la ronde en diffusant aussi des tournois de poker internationaux.
Mais pour l'émotion forte, faudra repasser. Le poker télévisé nous sert le spectacle stoïque de Chris Moneymaker, Phil Gordon et d'autres joueurs professionnels habitués de promener leur poker face dans les tournois internationaux. Pour meubler les (perpétuels) temps morts de ce jeu presque aussi lent que le golf, un commentateur y va d'observations prosaïques du genre: «Moneymaker réfléchit à sa stratégie. Son stress est palpable».
En Grande-Bretagne, la fièvre du poker dure depuis le début de la décennie. Late Night poker, diffusée entre 1999 et 2002, a obtenu des cotes d'écoute qui ont souvent frisé le million de téléspectateurs.
Dans la foulée du succès de cette émission qui a été vendue un peu partout, de l'Australie à la Pologne ou la Corée du Sud, le réseau Presentable Television a lancé, l'automne dernier, la série Celebrity poker Club, qui a réuni des personnalités comme le romancier Martin Amis, l'écologiste Zac Goldsmith et l'inventeur Sir Clive Sinclair.
Selon Nicolas Fradet, les tournois télédiffusés permettent de démystifier le poker et faire oublier son aspect sombre, miséreux et vaguement mafieux. «Le profil type des joueurs qui évoluent sur le circuit international est assez impressionnant. La plupart sont des gens instruits, beaucoup d'entre eux ont des doctorats. Parmi les anciens champions du monde, il y a des avocats, des mathématiciens...»
Comme dans l'univers du film Ocean 12 (qui sort en salle en octobre), le poker conserve un fort pourcentage de testostérone. «Vu le background macho, la plupart des joueurs sont des hommes. Mais on remarque de plus en plus de femmes chez les amateurs et certaines sont parmi les meilleurs au monde», dit Nicolas Fradet.
Pratiqué entre adultes consentants qui jouent pour quelques dollars ou pour l'aspect social de la chose, le poker paraît bien inoffensif. Mais comme pour toutes les bonnes choses de la vie, l'excès et la dépendance font tourner le plaisir au vinaigre.
Professeur de psychologie à l'Université McGill et spécialiste des dépendances au jeu, Jeffrey Derevensky suit de très près ce nouvel engouement pour le poker en surveillant la réaction des adolescents à l'égard de cette mode. Il se montre d'ailleurs inquiet lorsque des ados prennent goût à la combinaison cartes-argent.
«Le poker devient populaire chez les étudiants, tant au collégial qu'à l'université. Ce jeu bénéficie aussi de beaucoup de visibilité, grâce à la télévision et aux sites Web interactifs, note le psychologue. Récemment, un collègue m'a raconté que son fils de 12 ans, accro de poker sur Internet, volait de l'argent pour continuer à jouer.»
Popularisé par la télé et Internet, le poker est désormais perçu comme une activité socialement acceptable.
«L'industrie du jeu, en qualifiant désormais de gaming ce qui autrefois était du gambling, a réussi à changer la perception sociale du poker. On associe désormais au divertissement un jeu qui, autrefois, avait une aura sinistre et criminelle.»
Selon Jeffrey Derevensky, l'apparition des émissions telles que Celebrity poker et CSI Las Vegas suscite chez les jeunes l'appât du gain. «La télévision montre le poker comme quelque chose d'attirant et de glamour. Les jeunes sont impressionnés par le clinquant, les femmes sexy, les paillettes, le côté James Bond...»
La science du poker
Amateur de poker de «petites mises», Fritz Barry, professeur de psychologie à l'Université Quinnipiac au Connecticut, a utilisé sa fascination pour le jeu pour mieux faire avancer la science. Joignant l'utile à l'agréable, il a joué pendant des heures avec des purs et durs dans le but de mieux comprendre les motivations, réflexes et comportements des joueurs.
«J'ai d'abord commencé par observer mes propres impulsions et comportements. Je notais méticuleusement mes mises, mes gains et mes pertes. Je notais aussi les remarques superstitieuses des joueurs et les commentaires concernant les stratégies des autres. J'ai également interviewé un joueur qui suivait un traitement pour des problèmes de jeu compulsif en raison du poker.»
Entre autres observations, Fritz Barry a conclu que l'aspect social du poker le différenciait des autres activités de gambling. «Le poker est un jeu social. Plusieurs qui jouent pour des petites sommes le font pour des raisons de divertissement. Les machines à sous, par ailleurs, sont des activités solitaires.»
Fritz Barry a d'ailleurs noté que les joueurs de poker ne se considéraient pas comme des gamblers, puisqu'ils ne sont pas en compétition contre la maison de jeux, comme à la roulette ou au blackjack. «Le poker fait davantage appel aux habiletés qu'à la chance», dit-il.
Selon le psychologue, les joueurs qui ne font confiance qu'au hasard risquent fort de perdre leur argent au profit d'adversaires plus stratégiques. Le contrôle des émotions contribue par ailleurs à prévenir les problèmes de dépendance au jeu et les pertes financières.
«C'est une passion potentiellement dangereuse. Plusieurs joueurs interrogés avaient été initiés au poker par les membres de leur famille, à un jeune âge. Ces premières expériences, dans certains cas, avaient créé des prédispositions pour des problèmes de jeu.»
L'art du bluff
Pourquoi le poker est-il si séduisant? À cause de la combinaison gagnante de psychologie, de risques, de stratégie, de calcul et d'extravagance, estime Nicolas Fradet.
«Comme pour les échecs ou le bridge, un bon joueur doit faire preuve de patience. Pour devenir un pro, il faut connaître les statistiques et les mathématiques en plus de savoir s'adapter. On ne joue pas de la même façon avec chaque personne: il faut savoir évaluer chacun des adversaires, avoir une idée de leur calibre et leur style de jeu. Le côté psychologique du poker est fascinant», dit-il.
Par conséquent, ceux qui perdent souvent au jeu sont souvent les mêmes qui misent continuellement, sans tenir compte de la qualité de leur jeu. «Quand on joue trop, on perd petit à petit. Parce que règle générale, on a de bonnes «mains» dans seulement de 15 à 20 % des cas», poursuit Nicolas Fradet.
Bien entendu, le bluff est un art qui se travaille avec soin et dosage. Les costumes extravagants, les chapeaux, les lunettes fumées, les airs méchants ou trop innocents sont autant d'éléments qui servent à manipuler la perception des adversaires.
«La beauté du poker, c'est qu'un joueur débutant a une chance de gagner contre un professionnel. Le plus important est d'être capable d'entrer dans la tête de l'adversaire pour anticiper ce qu'il va faire», estime Nicolas Fradet.
Mais pas besoin d'un abonnement au casino pour goûter aux joies du poker. Avec de gros cigares, un éclairage un peu glauque, une poignée de sous et quelques drinks bien relevés, on peut recréer l'atmosphère d'Ocean 12 dans le confort de sa cuisine.
(source : cyberpresse.ca/Sylvie St-Jacques)