Que l'on soit profane ou adepte rodé aux casinos, la roulette apparaît comme un simple jeu de hasard que rien ne saurait tromper. La chance seule peut guider le choix du joueur, qui n'a plus qu'à prier une fois la bille lâchée sur la roue en mouvement. Du moins, si vous ne vous appelez pas Richard Jarecki.
En 1969, «Richard Jarecki était une menace pour tous les casinos européens», explique au Morning Herald un ancien directeur général du casino de San Remo, en Italie. La phrase résume bien le personnage. Et pour cause: Richard Jarecki a véritablement plumé de nombreux casinos, les délestant au total de plus de 1,2 million de dollars entre 1964 et 1969 (l'équivalent de 8 millions de dollars, plus de 7 millions d'euros, en monnaie actuelle). Son secret? Il trouvait les failles dans les roulettes.
Au début des années 1960, cet émigré juif allemand aux États-Unis et professeur de médecine reconnu développe une véritable obsession pour la roulette. Pas question pour autant de s'en remettre au hasard: lui veut les «battre», sans leur laisser la moindre miette.
À force d'observation, il remarque qu'à l'inverse des cartes et des dés, les roues de roulette ne sont pas remplacées régulièrement dans les casinos.
Elles tournent pendant des décennies, s'usent et finissent par présenter des défauts mécaniques, provoqués par exemple par des rayures ou des surfaces déformées. Ces petits détails sont loin d'être anodins: ils faussent les résultats et augmentent le pourcentage de chance de tomber sur certains numéros.
Richard Jarecki commence alors à créer un système. Il se met à enregistrer manuellement les résultats de milliers de tours de roulettes ciblées, afin d'en dénicher des anomalies statistiques. Sur un mois, il lui arrivait d'observer plus de 10.000 tours, rapporte le New York Times. Un travail fastidieux, mais qui porta ses fruits.
Épouvantail des casinos
Une fois son système bien huilé, Richard Jarecki rassemble ses économies –100 dollars à l'époque– et fait irruption, avec une légère fébrilité, dans un casino américain. Quelques heures après, il en ressort, tout sourire, avec 5.000 dollars en poche, soit l'équivalent de 41.000 dollars aujourd'hui. La machine est lancée.
Le véritable tournant de cette incroyable histoire se produit au milieu des années 1960, quand le professeur retourne s'installer en Allemagne. En Europe, les casinos étaient différents, tout comme leurs roulettes.
Ces dernières ne disposaient alors que de 37 emplacements numérotés, contre 38 sur les roulettes américaines, ce qui offrait davantage de chances de remporter la mise. Sans compter que la plupart étaient vieilles, avec des défauts physiques: pile-poil ce dont Richard Jarecki raffole.
En 1964, il frappe un premier gros coup. Avec sa femme et une petite équipe embauchée pour l'occasion, ils analysent les anomalies des roulettes des casinos de toute l'Europe, de Monte-Carlo à Divonne-les-Bains, en France, en passant par celui de Baden-Baden en Allemagne, explique The Hustle.
En six mois à peine, il empoche une somme supérieure à 5 millions d'euros aujourd'hui. Dès lors, il devient une sorte d'épouvantail pour les casinos d'Europe.
L'une de ses principales victimes est le casino de San Remo, sur la Riviera italienne. À la fin des années 1960, il y gagne plus de 1,2 million d'euros en un seul week-end, épuisant totalement l'argent liquide de l'établissement. Au bord de la faillite, le casino doit imposer à Richard Jarecki une interdiction de jouer de quinze jours. Mais dès la suspension levée, il récidive sans vergogne et empoche quelque 600.000 euros de plus.
Évidemment, ses succès lui valent d'innombrables articles. Pour ne pas divulguer sa méthodologie, il met un temps les journalistes comme les casinos sur une fausse piste.
Il déclare ainsi à la presse qu'il réussit grâce à un puissant ordinateur, un objet encore flou pour la plupart des gens à l'époque. Finalement, de nombreux casinos, dont celui de San Remo, finissent par troquer leurs vieilles roulettes contre des nouvelles. Ce qui n'empêchera pas Richard Jarecki de jouer jusqu'à sa mort, à Manille, en 2018.
(source : slate.fr/Robin Tutenges/hehustle.co/Zachary Crockett)