En 2017, Ferdinand Bernhard avait engagé, au nom de la municipalité, une procédure contre des opposants au casino de jeu, accusés d’avoir retardé le chantier par des recours abusifs.
L’histoire lointaine et chaotique de la création du casino de jeux de Sanary (lire par ailleurs), bien qu’inauguré en août 2018, a refait surface à l’occasion d’une audience qui s’est tenue le 18 novembre dernier au tribunal de grande instance de Toulon. Une procédure voulue par l’ancien maire, Ferdinand Bernhard, au nom de la ville qui, une fois tous les recours purgés, a tenu à poursuivre en justice les requérants, deux particuliers et une association: il les tenait pour responsables d’avoir retardé ce projet et, par là même, privé la commune de recettes considérables (redevance, intéressement sur le chiffre d’affaires...).
Un "manque à gagner" estimé par l’avocat de la commune à plus de 9 millions d’euros! Si la somme rondelette du préjudice demandée à des particuliers participe grandement à la singularité de cette affaire, le fait que la procédure émane d’une collectivité (et non pas du seul bénéficiaire du permis de construire attaqué, ici le casinotier) est sans doute une première (1).
1. De son côté, la société Vikings Casino a elle aussi intenté une action pour réclamer un préjudice à ces particuliers. Et, récemment, à l’instar de la municipalité, la justice a débouté la société de jeux.
"FAIRE OBSTACLE OBSTINÉMENT"
Me Faure, pour la ville de Sanary, a donc tenté de démontrer que Maurice Desmazures, Sophie Marty et l’association pour la protection du patrimoine de Michel Pacha se sont rendus "coupables d’avoir abusé de leur droit d’ester en justice". Reprochant à M. Desmazures, particulièrement, "d’avoir voulu faire obstacle, obstinément", à travers des déclarations reprises dans la presse notamment, ou par le fait que celui-ci n’a pas pris un avocat, comme l’exige la loi, pour former un pourvoi en cassation, laissant courir le délai jusqu’au bout: "Une volonté manifeste de ralentir, de paralyser ou d’empêcher la réalisation du projet", selon Me Faure.
"S’IL Y A FAUTE, PLUS PERSONNE N’OSERA FAIRE DE RECOURS"
Du côté de la défense, Me Durand s’est, au contraire, attelé à faire reconnaître la légitimité de la démarche de ses clients, tous deux riverains du site sur lequel l’établissement de jeux a été construit. L’intérêt à agir de l’association, dont les deux justiciables sont membres, n’a été en revanche que brièvement évoqué, étant à noter que M. Desmazures est propriétaire du proche château de Pierredon, héritage de la famille de l’illustre bâtisseur, dit "Le Pacha". Pour le reste, l’avocat a plaidé, en substance, qu’une condamnation de ses clients serait un mauvais coup porté au droit de chaque citoyen de s’opposer: "Si on admet une faute ici, plus personne n’osera faire de recours. Et comment reprocher à M. Desmazures d’avoir entrepris une telle action, alors que celle-ci a été considérée comme parfaitement justifiée par les juridictions administratives? (…) Qui peut dire à l’avance si vous avez intérêt à agir? Personne, si ce n’est le juge administratif". Quant à l’abandon du pourvoi en cassation, Me Faure s’est appuyé sur une jurisprudence pour avancer que "ne pas soutenir un pourvoi ne constitue pas une faute de nature à générer un abus".
4 ANS ET DEMI DE PROCÉDURE ET... AUCUN ABUS
Le jugement vient de tomber. Le tribunal, en suivant majoritairement la pertinence des arguments de la défense dans ses conclusions, déboute la ville de toutes ses demandes. L’abus n’est pas caractérisé, le droit à exercer des recours était légitime et personne n’est responsable des pertes financières liées au retard du chantier. Le président renvoie également les deux parties dos à dos: même si les sommes en jeu étaient sans commune mesure, M. Desmazures et Mme Marty voient eux aussi leur demande de préjudice pour procédure abusive (20.000 euros) rejetée.
La commune est seulement condamnée à leur verser 1.800 euros, au titre des frais de procédure. Cette affaire sanaryenne devrait en revanche venir grossir la jurisprudence en matière de droit au recours.
L’historique de l’affaire
- Le 4 mai 2010, la société Vikings Casinos conclut avec la commune de Sanary une convention de délégation de service publique (DSP) et un bail emphytéotique.
- Le 23 mai 2011, Vikings Casinos dépose en mairie une demande de permis de construire.
- Le 27 juin 2011, le maire délivre le permis de construire.
- Le 26 août 2011, M. Desmazures, Mme Marty et l'association Michel Pacha déposent une requête pour excès de pouvoir au tribunal administratif (TA) de Toulon par lequel ils demandent l'annulation de l'arrêté du 27 juin 2011.
- Par jugement du 3 avril 2014, le TA prononce l'annulation de l'arrêté du 27 juin 2011.
- Le 23 avril 2014, la ville fait appel auprès de la cour administrative d'appel de Marseille et, en parallèle, demande qu'il soit prononcé un sursis à exécution, accordé le 11 mai 2015.
- Par un arrêt du 1er octobre 2015, la cour administrative d'appel de Marseille annule finalement le jugement de première instance et, statuant sur le fond, rejette la requête (du 26 août 2011).
- Le 9 décembre 2015, cet arrêt fait l'objet d'un pourvoi en cassation.
- Le 12 décembre 2016, les membres de l'association n'ayant pas pris d'avocat pour les représenter, le pourvoi fait l'objet d'un rejet.
- A la suite de ce rejet, le permis de construire querellé est purgé de tout recours et devient définitif.
- Septembre 2017 : le chantier du futur casino de Sanary débute.
- Octobre 2017 : la ville de Sanary saisit le tribunal de grande instance d’une demande d’indemnisation à l’encontre de M. Desmazures, Mme Marty et de l’association pour recours abusif.
(source : varmatin.com/ J. P.)