Marqué par six mois et demi de fermeture, le dernier exercice des groupes de casinos se solde par un recul de 41 % de leur produit brut des jeux équivalent à celui de l'activité illégale des casinos non autorisée en France. Les professionnels jugent le moment propice à une nouvelle phase de régulation.
Pour la première fois cette année, le chiffre d'affaires réalisé par les casinos en ligne opérant dans l'illégalité pourrait être comparable, voire supérieur, à celui des acteurs historiques et légaux du secteur. La multiplication des périodes de confinement a en effet contribué à doper une offre hors-la-loi de jeux de roulette et autres machines à sous, juste au moment où les fermetures des casinos faisaient reculer le chiffre d'affaires des grands acteurs de ce secteur. Pour les casinos comme pour les acteurs de jeux agréés sur Internet, cette concurrence déloyale ne peut plus durer et ils demandent aux pouvoirs publics d'agir. Car au-delà des aides conjoncturelles, c'est une réforme de nature plus structurelle qui désormais s'impose à leurs yeux.
« Le choix de la non-régulation des casinos en ligne n'a pas été payant, et il n'est aujourd'hui plus possible de nier l'existence d'une offre illégale pléthorique ainsi que la réalité de la demande en jeux de casino sur Internet », constate l'Association française du jeu en ligne (Afjel). Alors que les pouvoirs publics se refusent à reconnaître des jeux jugés bien trop addictifs, l'association des opérateurs de jeux en ligne juge « dépassée » « la logique française de non-régulation des casinos en ligne », tout en observant qu'« elle est à contrecourant de l'ensemble de nos voisins » européens.
Retour vingt-cinq ans en arrière
Avec le recul du chiffre d'affaires des établissements de jeux dû à la crise du Covid et plusieurs mois de fermeture, l'activité légale des casinos « en dur » et celle illégale des casinos en ligne se rejoignent.
Le syndicat professionnel Casinos de France fait état d'un produit brut des jeux (PBJ) - soit la différence entre les mises et les gains des joueurs - de 1,08 milliard d'euros pour 2020-2021 (clôture au 31 octobre), en recul de 41 % par rapport à son niveau précédent.
Il faut remonter à l'exercice 1995-1996 pour retrouver un bas niveau comparable. Pourtant, en vingt-cinq ans, le nombre d'établissements est passé de 156 à 202. Marqué par 6,5 mois de fermeture, le dernier exercice a été sans précédent. Si les différentes mesures de soutien de l'Etat ont été précieuses, elles n'ont pas compensé les pertes d'exploitation des grands groupes.
« L'exercice a été très difficile. N'oublions pas que l'activité a reculé pour la deuxième année consécutive. Notre PBJ est en retrait de 58 % par rapport à l'exercice 2018-2019, le dernier qui soit normal, sans fermeture, et le nombre d'entrées a baissé de 63 % », rappelle le directeur général en charge de la branche casinos du groupe Barrière, Eric Cavillon.
Compte tenu du recul du secteur légal, le marché illégal des casinos en ligne pèserait désormais au moins autant, soit 1,1 milliard de produit brut des jeux, selon une note récente de l'Afjel qui utilise la méthode de calcul de l'ex-Autorité de régulation des jeux en ligne.
Ce chiffrage s'appuie sur une étude réalisée, en mai 2020, par Harris interactive sur les pratiques des Français en matière de jeux d'argent pendant le confinement. « On est probablement entre 1,1 milliard et 1,5 milliard de PBJ aujourd'hui », estime le président de l'Afjel, Emmanuel de Rohan Chabot , par ailleurs directeur général du groupe ZEturf.
A contre-courant
Les exploitants de casinos s'appuient sur ces chiffres pour plaider la régulation des casinos en ligne et la création d'une activité légale sur Internet. Ils subissent, font-ils valoir, trois chocs : la « concurrence déloyale directe » des casinos en ligne illégaux ; l'impact de la crise sanitaire ; enfin, le report d'une partie de la clientèle vers des offres de jeu, autres que les jeux de casino, qui existent légalement, celles de la Française des Jeux et des « pur players » de l'Internet, spécialistes, par exemple, des paris sportifs. Par le biais de leur syndicat Casinos de France, ils ont saisi les pouvoirs publics d'un projet de régulation à titre expérimental qui adosserait les casinos en ligne au réseau de casinos en dur…
Leur dispositif, baptisé « Jade » (pour « jeu expérimental à distance »), consiste à associer à l'établissement son « jumeau numérique » avec la mise en ligne d'une offre équivalente à celle déjà proposée par le casino. Cette expérimentation, qui serait supervisée par le ministère de l'Intérieur et l'Autorité nationale des jeux, serait soumise à évaluation. Le PBJ généré par cette régulation hyper-contrôlée apporterait par ailleurs des recettes fiscales aux communes touristiques accueillant les casinos physiques. Un argument de lobbying qui vise à inciter les députés et maires des villes accueillant des casinos à ne pas s'opposer à un tel développement d'une offre en ligne légale et encadrée.
Blocages
L'élection présidentielle risque cependant dans l'immédiat de favoriser une forme de statu quo. En attendant, l'ANJ, s'efforce de lutter contre l'illégalité, un combat qui est la priorité de son plan stratégique 2021-2023 . L'autorité plaide pour l'obtention d'un pouvoir de sanction direct, sans avoir à passer par la justice. Elle s'est dans l'immédiat renforcée en recrutant une magistrate dédiée à cette action judiciaire. Cette année, 28 audiences ont eu lieu et 100 ordonnances de blocage de sites illégaux ont été prononcées, entraînant le blocage de 234 noms de domaine avec le phénomène des « sites miroirs ». En 2020, 60 sites l'avaient été, soit 170 noms de domaine, le premier confinement ayant paralysé l'appareil judiciaire.
(source : lesechos.fr/Christophe Palierse)