La guerre est déclarée entre les casinos Partouche et Barrière-Accor, dont le rapprochement sera autorisé à la fin du mois de juillet.
Faire cracher les bandits manchots n'est plus donné à tout le monde. La profession des casinos est en train de devenir une industrie lourde. Annoncé en janvier, le rapprochement entre Accor Casinos et le Groupe Lucien Barrière devrait être «autorisé par la DGCCRF (1) au plus tard à la fin juillet et finalisé en octobre», assure Dominique Desseigne, PDG de Barrière. Un mariage qui bouleverse les règles du jeu du secteur. Après un passage, à la rentrée, devant le juge des tutelles (2), la nouvelle entité devrait regrouper une quarantaine de casinos, près de 5 000 machines à sous et environ 30 % du marché hexagonal. Et s'installer dans le fauteuil de numéro 1 français et européen, jusque-là solidement détenu par le groupe Partouche. Une belle revanche sur le futur ex-leader du marché qui, en 2002, avait raflé l'Européenne de casinos au nez et à la barbe d'Accor.
Officiellement, Partouche comme Barrière l'assurent de concert : «Etre le premier groupe n'a jamais constitué une fin en soi.» En réalité, la première place du podium est un atout de poids pour des sociétés cotées en Bourse et à l'affût des appels d'offres lancés par les municipalités. «Partouche ne va pas manquer de courir derrière pour rattraper son leadership», note un observateur. Le groupe avait d'ailleurs anticipé, tentant de conserver son avance en rachetant les cinq casinos du petit groupe Didot Bottin. L'opération, qui semble connaître quelques ratés, serait «toujours en discussion», explique Hubert Benhamou, président du directoire de Partouche. Lequel, vantant la croissance d'un groupe passé de cinq établissements en 1988 à plus de cinquante en 2004 en misant sur la carte du casino populaire, joue la sérénité. «Cette fusion ne m'inquiète pas. Barrière, qui exploitait douze casinos en 1988, en a aujourd'hui quatorze. Il n'a rien créé. Quant à Accor, c'est d'abord un grand groupe hôtelier. Qu'a-t-il prouvé dans les casinos ?»
Aga Khan. Au-delà du match Barrière-Partouche, cette nouvelle donne traduit une tendance lourde de l'industrie du jeu : «La volonté croissante de concentration du secteur, analyse un casinotier. En une dizaine d'années, le périmètre a été totalement bouleversé. Aujourd'hui, la taille est cruciale. Elle permet de répartir ses risques, de se positionner en termes de notoriété et dans la perspective des appels d'offres.» Et ce sont désormais deux groupes qui, à eux seuls, détiennent les deux tiers du marché. «En 1996, 85 % des casinos appartenaient à des sociétés familiales et des indépendants. En 2000, il n'y en avait plus que 26 % et autour de 20 % aujourd'hui, rappelle-t-on à l'Observatoire des jeux. L'heure est désormais à la croissance externe.»
Autre tendance : l'implication croissante des grands fonds d'investissement dans le capital des casinotiers français. En 1999, le groupe Moliflor, dont l'assureur britannique Prudential avait pris le contrôle, avait montré la voie. Côté Accor-Barrière, c'est le fonds d'investissement américain Colony Capital qui possède, entre autres, de l'immobilier en Asie, des casinos à Vegas et Atlantic City, et qui a racheté à l'Aga Khan de grands hôtels de la Costa smeralda, en Sardaigne qui détiendra 15 % du futur mastodonte. Partouche n'est pas en reste, qui s'est vu proposer par deux sociétés américaines d'investissement, Permira et Cinven, 18 euros par action pour prendre le contrôle de son groupe : «nous n'avons pas souhaité aller plus loin dans ces discussions, précise Hubert Benhamou. Les négociations ont été rompues.»
Gourmandise. Dominique Desseigne, PDG de Barrière, l'assure : «La concurrence se jouera désormais sur les grands appels d'offres, ceux qui concernent les villes de plus de 500 000 habitants.» Comme à Lille ou à Toulouse, les deux dossiers chauds du moment. Un poker où, plus que jamais, la mise de fonds est le nerf de la guerre. D'autant que les municipalités se montrent de plus en plus gourmandes. «Les maires nous demandent des investissements immobiliers très lourds et en même temps d'avoir deux ou trois restaurants, dont un gastronomique, des investissements artistiques et de financer un festival, résume un casinotier. Il y a eu une inflation de la demande sous toutes ses formes.» L'investissement nécessaire pour rafler la mise dans une grande ville dépasserait ainsi les 50 millions d'euros. De quoi pousser encore à la concentration et à la recherche d'investisseurs. «Ce phénomène n'est pas forcément un signe de bonne santé, nuance Jean-Pierre Martignoni, chercheur à l'Observatoire des jeux. Dans un marché où la tendance est plutôt à un ralentissement de la croissance (+ 3,7 %, contre une croissance à deux chiffres il y a encore quelques années, ndlr), la seule manière d'afficher des progressions en termes de parts de marché et de volume d'affaires, c'est de grossir. C'est peut-être soit tu grossis, soit tu meurs.»
(1) Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
(2) Chargé d'examiner si l'opération est dans l'intérêt des héritiers mineurs de Barrière.
(source : liberatio
n.fr/D'ALLO
nnES David REVAULT)