Licencié pour « insubordination », l’ancien directeur d’un casino monégasque assure avoir été débarqué pour avoir refusé de cautionner un projet de « poker room » avec le milliardaire québécois Guy Laliberté.
Il est un spécialiste reconnu du poker, et du monde du jeu en général. Mais pour Eric Cicero, c'est une partie d'un tout autre enjeu qui va se jouer ce mardi. Loin des tapis verts, l'ancien directeur du Casino café de paris, au cœur de Monaco, plaidera sa cause en appel, après avoir été débouté une première fois devant les prud'hommes du Rocher.
C'est une procédure rare dans un milieu d'ordinaire feutré, où les comptes n'ont pas l'habitude d'être réglés en public. Licencié en 2016 par la Société des bains de mer (SBM), qui exploite l'intégralité des casinos monégasques, Eric Cicero estime être la victime d'une mesure de rétorsion liée à son trop grand respect du droit. La SBM, elle, évoque son « insubordination. »
Selon Eric Cicero, c'est pourtant bien le poker qui serait à l'origine de sa disgrâce. Monégasque de nationalité, lui-même fils d'un employé des jeux dont il s'était promis de ne pas suivre la trace, Eric Cicero n'a pu s'empêcher de marcher dans les pas paternels. Un à un, il a gravi les échelons, passant d'agent de sécurité à caissier puis directeur d'établissement.
Un ambitieux projet avec un milliardaire québécois
Assez logiquement, c'est vers lui que ses supérieurs se tournent quand, en 2015, est évoqué un ambitieux projet consistant à monter une « poker room » en principauté. Le tout dans le cadre d'une alliance avec un partenaire de choix : Guy Laliberté. Le milliardaire québécois, fondateur du cirque du Soleil, est en effet un mordu de poker, dont il organise chaque année l'un des tournois les plus dotés au monde : le « big one for one drop. » Ticket d'entrée : un million de dollars par personne, pour une cinquantaine de participants.
L'idée de départ est d'en transférer une édition à Monaco. Le chanteur Garou, ami de longue date de Laliberté, valide l'idée, lui qui a ses entrées dans la principauté, où il a joué sa comédie musicale « Monaco ou les amants du rocher ». Mais il est dit que la romance entre Laliberté et la Méditerranée sera mort-née. Eric Cicero s'envole pour Montréal, en octobre 2015, pour négocier le partenariat. Guy Laliberté, « un mec génial et simple avec lequel j'aurais adoré travailler », lui explique qu'il conditionne le déroulement du tournoi à l'installation, pérenne, d'une Poker room à l'année.
Or, il y a un écueil de taille. Dans le cahier des charges de la SBM, redéfini en 2003 et que nous avons pu consulter, figure l'intégralité de la liste des jeux que seule la SBM est autorisée à exploiter dans le cadre de son monopole. La grande majorité des variantes du Poker y sont mentionnées, dont le « texas hold'em », la plus populaire. Mais il est strictement interdit à la SBM de sous-traiter cette exploitation à quiconque, hors une filiale à 100 %, ce qui n'est pas envisagé dans le projet Laliberté, où il est prévu que le milliardaire québécois possède des parts dans une nouvelle structure à créer pour piloter cette Poker room. Ce faisant, la SBM risque pourtant de perdre l'intégralité de son monopole sur les jeux monégasques.
Des «réticences»
C'est Eric Cicero qui le rappelle, jouant les oiseaux de mauvais augure. Dans les échanges de mails avec Guy Laliberté, que nous avons pu consulter, on évoque ainsi pudiquement des « réticences ». Dans un premier temps, l'affaire semble entendue, mais fin 2016, Eric Cicero est licencié en quelques jours. « Ma direction venait de m'indiquer qu'il fallait qu'on réactive ce projet de salle de poker », se souvient-il. Une demande dont il comprend qu'elle a été faite en haut lieu. Il traîne des pieds. « Je ne voulais pas de conseils donnés entre deux portes, mais d'un ordre écrit. » Résultat : il est débarqué pour avoir « à de trop nombreuses reprises exprimé son désaccord avec des projets de la direction ».
En première instance, « les prud'hommes ont reconnu que ses droits n'avaient pas été respectés, mais validé l'insubordination alors même qu'il n'avait reçu que des instructions contradictoires et non écrites », pointe Me Delphine Frahi, son avocate. Elle s'étonne aussi d'un curieux rebondissement en marge de ce premier jugement. Alors qu'il devait être rendu fin 2019, l'un des cinq juges ayant planché sur le dossier s'est dit « empêché » le jour même du délibéré. Une procédure utilisée généralement lorsqu'il y a conflit d'intérêts, et que le même magistrat n'avait pas mis en avant au moment de l'audience.
C'est donc plus de trois ans après les faits que cette affaire devrait trouver son épilogue. Au regard de l'illégalité manifeste de ce projet de « poker room », celui-ci n'a finalement jamais vu le jour. De son côté, en graves difficultés financières liées à la crise, la SBM est engagée dans un important plan social, avec à la clé plusieurs dizaines de suppressions de postes. Contactés, ni la SBM ni Guy Laliberté n'ont donné suite à nos sollicitations.
(source : le
parisien.fr/Nicolas Jacquard)