Les « Echos »….de la privatisation
de la FDJ
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Jean-Pierre g. martignoni-hutin
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Sociologue (Université Lumière, Lyon 2)
spécialisé sur les jeux de hasard et d'argent (JHA), les
joueurs, les espaces de jeu, les opérateurs de jeu, la
socialisation ludique contemporaine…Chercheur associé au
Centre Max Weber (CMW) UMR 5283 (2016 -2019)
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Agent de l'Etat, Chargé d'étude salarié à
l'Autorité de Régulation des Jeux en Ligne
(ARJEL , Paris) ( 2011 à 2015) sous la Présidence
de JF Vilotte (2010 - 2013) et de Charles Coppolani (2014-2019)
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Membre suppléant et rapporteur à la Commission Nationale
des Sanctions (CNS Paris Bercy) ( 2013 à 2018) sous la
Présidence de Francis LAMY
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Président fondateur de l'Observatoire des jeux (ODJ) avec Marc
Valleur et Christian Bucher
(Lyon - France - novembre 2019)
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Le 5 novembre 2019 nous avons accordé ( à sa demande) un long
entretien à Christophe Palierse (journaliste aux Echos) qui
couvre de manière pointue depuis des années le secteur du gambling (économie des jeux de hasard et d'argent) dans ce
quotidien prestigieux. Les Echos, média français de
référence, traite l'information économique avec une
attention constante portée à l'exhaustivité et à la
qualité. Fondé en 1908 par les frères Robert & Emile
Servan Schreiber, Les Echos appartiennent depuis 2007 au groupe LVMH
(numéro un mondial du luxe et première société du CAC40
à peser plus de 200 milliards d'euros en Bourse depuis quelques jours)
dont le PDG est Bernard Arnault.
Cet entretien a été publié =
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dans sa version numérique sous le titre : «
Interview : « L'Etat ne veut pas « couper le lien
incestueux avec la FDJ » « Sociologue expert des jeux
d'argent, Jean-Pierre martignoni-hutin estime qu'« il y a
beaucoup de contradictions » dans la privatisation de la FDJ
»
( Les echos.fr 7/11/2019) ) Dans la version finale le titre choisi par
Les Echos a changé =
« L'Etat ne coupe pas le lien incestueux avec la FDJ »
https://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/letat-ne-veut-pas-couper-le-lien-incestueux-avec-la-fdj-1146325
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dans sa version papier sous le titre : « Jean-Pierre martignoni-hutin
Sociologue expert des jeux d'argent, Université Lumière Lyon
II :
« La question du monopole pourrait se poser »
( Les Echos : entreprises et marchés : 8 ,9 novembre 2019 page 16
La conversation libre a porté sur la privatisation (partielle) de la
Française des jeux (FDJ) l'introduction en bourse à partir du 20
novembre de l'opérateur historique dirigé par Stéphane
Pallez et la mise en place début 2020 d'une Autorité Nationale Des Jeux (ANS) qui sera dirigée par « Isabelle FALQUE PIERROTIN l'ex
Présidente de la CNIL.
Madame
FALQUE PIERROTIN
vient en effet d'être nommée par Edouard PHILIPPE pour diriger,
à partir de janvier prochain, une nouvelle Autorité
Administrative Indépendante (AAI) = l'Autorité Nationale Des Jeux
(ANJ). En attendant, comme Jean François Vilotte l'avait fait pour
l'ARJEL (voir ci dessous ***), l'ex Présidente de la Commission
Nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL) doit travailler sur une mission de préfiguration de l'ANS. Elle doit rendre pour
le 15 décembre - au Premier Ministre et au Ministre de l'action et des
comptes publics (Gérald DARMANIN) - un rapport décrivant
l'organisation de la nouvelle entité. Madame FALQUE PIERROTIN devra faire preuve d'indépendance
pour diriger cette nouvelle autorité
administrative…indépendante. Certes elle en a toutes les
compétences vu sa formation ( HEC, ENA) son expérience, ses
missions antérieures. Néanmoins sa Mission sera sensible car
« certains » ne souhaitent pas d'une autorité unique et
indépendante de régulation, pourtant préconisée par la
Cour des Comptes. Il suffit de lire la page 139 du rapport de la Cour de
2016 ou les « sages » mentionnent « la réponse
ministérielle » anonyme à leur proposition pour le
comprendre : « La réponse ministérielle considère
« que l'organisation actuelle de la régulation ne suscite pas
de difficultés, que la mise en place d'une autorité unique
viendrait résoudre (...)
il ne semble pas nécessaire et encore moins opportun
de confier la politique publique des jeux d'argent et de hasard à
une seule et unique autorité admistrative indépendante.
»
« source : La régulation des jeux d'argent et de hasard »
rapport de la Cour des comptes, octobre 2016, 187 pages)
(***)JF Vilotte a mis sur pied l'Arjel dans le cadre
de la loi de 2010 sur l'ouverture à la concurrence des jeux
d'argent sur internet. ( confer « Vilotte pilote » journal
l'Equipe du 26 mars 2009) Il a dirigé l'autorité de la rue
Leblanc ( siège de l'ARJEL dans le 15° à Paris) de 2010
à 2013 et a ensuite rejoint le cabinet d'avocats
De Gaulle Fleurance & Associés
. En octobre 2018 il a été nommé directeur
général de La Fédération Française de tennis
(FFT) fonction déjà occupée de 2007 et 2009, après
avoir été directeur de cabinet de Jean-François Lamour.
Voilà ce que dit dans les Echos du 6/11/2018
Pierre-René Lemas (ancien secrétaire général de
l'Elysée et ancien DG de la Caisse des Dépôts) à
propos de JF Vilotte :
« Jean-François a de la rigueur, il a le sens de l'Etat.
Au fond, c'est un honnête homme
. M. Lemas
raconte avoir soufflé son nom - à la droite au pouvoir - pour
mettre sur pied l'Arjel.
( source Confer = 1 : « Le président de l'autorité de
régulation des jeux en ligne tire sa référence «
(C. Palierse , les échos du 19/12/2013) 2 = « FFT : VILOTTE
DE RETOUR COMME DIRECTEUR GÉNÉRAL » ( tv5monde.com 3
OCTOBRE 2018 )3 = Jean-François Vilotte, un énarque atypique
à la FFT
(Christophe Palierse lesechos.fr
6 nov. 2018 )
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Nous reproduisons ci dessous ( confer ci dessous annexe 1) pour information
et pour prendre date l'entretien publié dans Les Echos des 8,9
novembre 2019. Entretien, résumé et rewrité en quelques
lignes par les Echos et donc forcément réducteur. Mais après
avoir refusé d'intervenir dernièrement sur le plateau de BFM sur
le même sujet, nous n'avons pas voulu - par purisme intellectuel et
scientifique - faire la fine bouche, tenant compte du fait qu' il aurait
fallu plusieurs pages des Echos pour rendre compte des différentes
analyses et éclairages d'une problématique du champ ludique
complexe ou
les dessous des cartes, les intérêts et conflits
d'intérêts, les acteurs
… sont nombreux. Il nous paraissait important que les observateurs
qui relèvent du cadre universitaire interviennent afin que la parole autorisée sur cette thématique ne soit pas
confisquée par les acteurs institutionnels du champ ludique (
gouvernement, hommes politiques, administrations, opérateurs de jeux,
association anti jeu, observatoire des jeux, doxa du jeu pathologie
maladie…)
Mais nous reviendrons dans une prochaine contribution sur les nombreuses
questions, contradictions, injonctions paradoxales, injonctions
contradictoires que posent cette privatisation (très partielle) de la
FDJ qui conserve son monopole et cette mise en place prochaine d'une
autorité de régulation ( qui ne correspond pas à ce que
souhaitait la Cour des Comptes :
JP Martignoni = « Isabelle FALQUE PIERROTIN une femme
d'Autorité… à la tête de l'ANS ( Autorité Nationale Des Jeux ) ( à paraître
novembre 2019)
Signalons dans ce numéro week-end des Echos en date des 8 ,9 novembre
2019 plusieurs autres articles bien informés consacrés à la
privatisation de la FDJ :
· A la une : « L'Etat espère 2 milliards de la privatisation
de la FDJ » ( page 1) ou l'on apprend que l'Etat va céder
jusqu'à 52% de son capital
-
« L'éditorial des Echos : « L'Etat doit
continuer à jouer »
par Julie CHAUVEAU »( page 14)«
qui précise que les opérateurs ludiques étrangers anglo
saxon, asiatiques ne pourront pas proposer aux joueurs français de
jeux de grattage ou de loto…à moins qu'ils n'attaquent
devant la justice européenne.
-
« La privatisation de la FDJ rapporterait environ 2
milliards d'euros à l'Etat «
par Christophe Palierse( page 16)
qui précise que la FDJ doit verser avant le 30 juin 2020 380
millions d'euros en contrepartie de ses droits exclusifs sur certains
jeux » En clair cela signifie que la FDJ conserve en
réalité son monopole sur les jeux de loterie et les paris
sportifs en dur…pendant 25 ans
-
« Les Gueules cassées « actionnaires
rassurés »
par Yann Duvert ( page 16)
ou l'on apprend que l'association les gueules cassés est le
2° actionnaire de la FDJ avec 9,2% du capital. Riche d'une
réserve de 160 millions, cette association dont la Cour des
comptes avait critiqué l'opacité en 2000 envisage
désormais de monter dans le capital de la FDJ à hauteur de 10
%
-
« Privatisation de la FDJ : 7 questions à se poser
avant d'investir »
par Eric Benhamou ( page 34)
qui précise :
« notoriété, compréhension du modèle
économique, rendement : l'ouverture du capital de la FDJ
pourrait réconcilier les Français avec la bourse. »
Il ajout « que la FDJ pourrait trouer sa place parmi les valeurs
de rendement » à 4,5 % entre orange ( rendement de 4,98%) et
Bouygues (4,5%) mais très loin d'Unibail Rodance Westfield ( cette
action rapporte 7,61 % d'intérêts par an )
annexe 1
Entretien avec Christophe Palierse
«
Jean-Pierre martignoni-hutin
Sociologue expert des jeux d'argent, Université Lumière
Lyon II :
« La question du monopole pourrait se poser »
( Les Echos : entreprises et marchés : 8 ,9 novembre 2019 page 16
Christophe Palierse
=
En tant qu'expert du secteur des jeux d'argent, que vous inspire la
privatisation et la mise en Bourse de la Française des Jeux ?
Jean-Pierre Martignoni =
Je ne me prononcerai pas sur son volet boursier. J'observe néanmoins
que la Française des Jeux fait une campagne de communication grand
public intense. Pour autant, je ne suis pas sûr que le joueur soit un
boursicoteur.
Sur le fond, il y a beaucoup de contradictions dans cette affaire. On est
dans le « en même temps ». L'Etat ne coupe pas le lien
incestueux avec la FDJ dont il reste actionnaire avec un droit de veto sur
les décisions stratégiques. Par ailleurs, la question du monopole
d'une FDJ privatisée pourrait se poser. On pourrait imaginer que
Bruxelles se penche dessus. Autre contradiction : d'un côté, on a
le discours offensif de la FDJ, de l'autre, la problématique de la
prévention de l'addiction, et du jeu des mineurs. Tout cela ne fait
pas une véritable politique des jeux dont la Cour des comptes dans un
excellent rapport avait déploré l'absence.
CP
= Il y a pourtant une nouvelle régulation avec, en particulier, la
mise en place d'une autorité indépendante couvrant l'ensemble
du secteur des jeux d'argent,
l'Autorité nationale des jeux (ANJ)
…
JPM = Certes, il y a une avancée notable. Et je ne doute pas du souci
d'indépendante de l'ex-présidente de la Cnil et future
présidente de l'ANJ, la conseillère d'Etat Isabelle
Falque-Pierrotin. Mais la question est de savoir de quels moyens
disposera-t-elle. S'agit-il simplement de s'appuyer sur l'actuelle
Autorité de régulation des jeux en ligne (celle-ci sera de facto
absorbée par l'ANJ, NDLR) ? Par ailleurs, il y a un problème
intrinsèque aux AAI, les autorités administratives
indépendantes : elles sont, sur le papier, indépendantes mais
elles n'en doivent pas moins composer avec une ligne de conduite fixée
par l'Etat. Et si tout est décidé par les AAI, quel est alors le
rôle du politique ? En outre, quel est le rôle de la future
Autorité nationale des jeux ? Doit-elle privilégier le
contrôle de la pratique des jeux et la prévention des risques ?
A-t-elle une vocation économique de trouver un équilibre entre
les filières ?
CP
= D'aucuns disent que la privatisation de la FDJ amplifierait in fine
le développement des jeux d'argent en France. Qu'en pensez-vous ?
JPM = Le jeu est toute de même très encadré et cela n'a pas
empêché son développement jusque-là. On a d'ailleurs
affaire à un Etat contradictoire : il collecte les recettes fiscales
d'un côté, et, de l'autre, souhaite une pratique du jeu
maîtrisée. Ceci dit, le joueur est d'une manière
générale plutôt raisonnable. On fait fausse route quand on
fait passer les joueurs pour des drogués. La figure littéraire du
joueur de Dostoïevski ne correspond pas à la réalité
sociologique du jeu. Le jeu d'argent est une pratique sociale et culturelle
que certains occultent. Cela étant, il y a un travail à faire
auprès des personnes vulnérables.
CP = Quelles sont les caractéristiques de la pratique des
Français ?
JPM = Il y a une exception française de coexistence de plusieurs
segments de jeu plus ou moins porteurs : les jeux de loterie, les casinos,
les paris hippiques, les paris sportifs. D'une certaine manière
d'ailleurs, l'Etat a organisé la concurrence… Mais, au fond,
chaque pays a ses jeux de prédilection. On a par exemple une pratique
du jeu en ligne très développée en Angleterre. Il y a un
problème d'addiction en Australie mais ce pays en a un aussi avec
l'alcool. D'une manière générale, le jeu s'est largement
démocratisé dans les pays occidentaux.
© j.p.georges. martignoni-hutin jr.sociologue, novembre 2019,
université lumière Lyon 2, ISH, Centre Max Weber(CMW)UMR
5283, équipe TIPO, ISH, Lyon, France.