L’établissement de légende de Monaco, a achevé sa rénovation pharaonique après 4 ans de travaux. Outre les gigantesques suites Grace et Rainier, il inclut désormais une chambre réservée aux très gros joueurs. Pascal Camia, le directeur du casino nous en dévoile les coulisses.
Paris Match. Quelles sont les conditions pour pouvoir jouer dans cette suite « Monte Carlo » ?
Pascal Camia. Elle est réservée à nos clients dont les volumes de jeu sont importants. Il faut faire un dépôt de 1 million d’euros pour avoir le droit de la louer, et donc d’y jouer. Toutefois, nous pouvons être plus « souples » si un habitué de nos salles du casino la réclame. Dès lors qu’elle entre en activité, cette suite nécessite de faire appel à une douzaine de membres de notre personnel : du croupier au superviseur en passant par la sécurité. Nous avons établi une procédure d’ouverture de 4h. C’est un partenariat avec l’Hôtel de Paris. La mise en place est réalisée par le casino et l’hôtel met à la disposition des joueurs un valet de pied, au service des joueurs.
Deux jeux sont installés dans la suite : le Punto Banco et la roulette anglaise. Pourquoi ceux-là précisément ?
Tout simplement parce que ce sont ceux pratiqués en majorité par nos clients. Plus exactement, par ceux susceptibles de jouer dans ces salons privés.
Quelle est la différence entre cette suite et un salon privé dans un casino ?
19% des clients de l’Hôtel de Paris le sont à l’année. La plupart fréquentent le casino de Monte Carlo. Il était important de leur proposer un autre produit exclusif. En outre, dans les hôtels de Las Vegas, de Singapore ou de Macao, il est à la mode d’avoir des étages dédiés au jeu, pour les très gros clients. A Monte Carlo, on se compare davantage à un club privé londonien, mais on sait que c’est un produit qui va plaire à notre clientèle asiatique : Thaïlande, Malaise, un peu moins des Philippines peut-être.
Depuis son ouverture en Janvier, combien de fois a-t-elle été louée ?
5 nuits. C’est peu, mais cela a été non-stop. Et avec des niveaux de gain conséquents pour le casino. Devrais-je ne plus la louer de l’année, elle serait déjà rentabilisée... Sur ces tables, le casino accepte de prendre un risque de volatilité important. Cela peut aller jusqu’à 200 000 euros le coup. Entre le numéro plein, les voisins, les transversales, à cheval etc… Au casino de Monte Carlo, on peut devoir payer jusqu’à 1 million 500 000 euros « le coup de boule ». Et cela arrive souvent… Certains casinos n’acceptent pas les très gros clients que nous recevons, car ils savent qu’ils se mettraient en danger devant ces joueurs. Capables de gagner en quelques coups des sommes énormes. Il faudrait des mois au casino, voire des années, pour récupérer leurs fonds.
Comment cette suite est-elle réservée ?
La location ne se fait pas longtemps à l’avance. C’est une opportunité offerte à des joueurs spontanés. Un client de passage à Londres peut d’un coup décider de prendre son jet, et de venir jouer chez nous. Et il nous faut réagir vite. Dans les 4h en l’occurrence, pour cette suite « Monte Carlo ».
Quels sont les particularismes des joueurs selon leur nationalité ?
L'Américain va rechercher le coté informel du jeu. Il veut être décontracté, pouvoir plaisanter avec le croupier. C’est une approche « LasVegassienne ». L’Européen aime les codes traditionnels du casino. Le joueur asiatique quand à lui, va passer beaucoup de temps à table. C’est son mode de fonctionnement. On s’y est adapté. Avec un système de récompense pour le temps passé à table justement. Car le joueur asiatique va tout y faire. Y compris manger. Il n’est pas agressif dans sa façon de jouer. Il se comporte d’une manière beaucoup plus cérébrale. Il va suivre les séries, essayer de noter des dynamiques de sorties de nombres...
"On fait de la haute couture ici"
Envisagez-vous de créer des salles spécialement pour la clientèle asiatique ?
Oui, car il aime certains codes de couleur. Il veut du rouge, de l’or, du noir, des monogrammes chinois qui lui rappellent la chance. On souhaite lui faire tester l’expérience Monte Carlo mais il faut sans doute « l’asiatiser » un peu. Mettre l’accent sur un menu asiatique de haut niveau, afin de satisfaire ses gouts. C’est une population que nous souhaitons attirer. Elle est encore très faible à Monaco, même si elle a doublé en quelques années, mais on y travaille. L’aéroport de nice devrait bientôt avoir une liaison nice-Pékin et Shenzhen-nice. Ca changera beaucoup de choses. Pour l’instant, on va chercher cette clientèle à Milan ou à Londres. Ce n’est pas pareil.
Combien de temps durent les parties les plus longues ?
On voit des joueurs faire l’ouverture et la fermeture du casino. Soit de 14h à 6h du matin. Je ne sais pas si c’est une chance pour le casino, ou le client, mais heureusement que l’on ferme, sinon certains continueraient... Au-delà de l’heure légale, nous devons demander le droit de prolonger à titre exceptionnel, au gouvernement. De mémoire, ce n’est encore jamais arrivé. Mais la question de laisser les gens jouer 24/24 est ouverte. Ce n’est pas la culture européenne des casinos, hormis Londres, qui tous ferment. Mais la tendance mondiale est au jeu 24/24. Il faut y réfléchir.
Quelle est la plus grosse somme que vous ayez vu un joueur perdre?
Jusqu’à une dizaine de millions d’euros de perte en une soirée.
Y a-t-il un accompagnement « psychologique » pour les gros perdants ?
Il y a des joueurs qui perdent énervés, d’autres avec fatalité. Certains sont sereins même ! 99% de ces clients ont des « référents » au sein du casino et, si le besoin se fait sentir, c’est lui qui le prend en charge. Va lui demander ce qu’il souhaite, rester seul justement, ou pas. On fait de la haute couture ici. On s’adapte au besoin particulier de chaque joueur. Ces très gros clients peuvent tout s’acheter. Ils viennent chez nous rechercher l’adrénaline. Une forme de « pouvoir », qu’ils savent ne pas pouvoir exercer ici. Certains veulent « maitriser » la roulette par exemple. Tant que le 13 ne sort pas, ils en font une obsession et le jouent. Encore et encore. Quand ils gagnent enfin contre le sort, ce combat gagné, c’est ce qui les fait vraiment vibrer. Au point que même de gros perdants sortent sereins, car ils ont passé une nuit à « frissonner ». Il sont tristes bien sûr, mais le « combat » livré dans la nuit leur a procuré une euphorie qui les a comblés, d’une certaine manière.
Les cas de « vraie » triche se comptent sur les doigts d'une main
Existe-t-il encore, comme au début du siècle, des fortunes qui se perdent sur tapis vert, et des gens qui se suicident en sortant ?
Non, bien sûr. Les clients qui viennent dans la suite « Monte Carlo » par exemple, ont des surfaces financières bien supérieures à ce qu’ils jouent. Mais pour les joueurs d’un échelon bien inférieur, nous faisons attention. Notre objectif est d’obtenir, avant la fin de l’année, notre certificat « jeu responsable » auprès de la European Casino Association. C’est un processus complexe pour obtenir cette qualification. Il faut former notre personnel auprès de spécialistes en addictologie pour mieux détecter ces inclinaisons parmi les joueurs. C'est aujourd’hui la tendance des casinos « en dur », comparativement au online, où un joueur peut se mettre en danger facilement. Jouer dans un casino en dur, c’est la garantie d’avoir un garde-fou.
Dans la suite « Monte Carlo », laisseriez-vous un client jouer parallèlement à la table et en ligne?
Certainement pas. En premier lieu, parce que notre réglementation interdit tout élément électronique (smartphone, ordinateur, tablette) posé sur une table de jeu. Pour des raisons de triche éventuelle. Un joueur peut avoir son portable dans la poche mais il ne peut pas le sortir. C'est aussi valable autour des machines à sous et autres appareils automatiques. En revanche, il pourrait tout à fait jouer online dans l'autre pièce adjacente, le salon, si l'envie lui prenait.
Avec la technologie qui se niche dans les smartphones, la triche est-elle devenue aujourd'hui plus répandue.
Il y a toujours des gens qui essaie d’abord d’user de procédés « mécaniques ». Avec un adhésif sous la paume, en passant leurs mains au-dessus des tables et en essayant d’agripper un jeton de valeur. Tous les joueurs ne sont pas des tricheurs, certainement pas, mais quasiment tous ont au moins l'instinct d’être tenté, à un moment ou à un autre. 95 % du temps, leur conscience les retient. Mais il arrive que 5 % se laissent parfois aller…
Quelle est la quelle est la méthode de triche la plus astucieuse à laquelle vous ayez assistée ?
Les cas de « vraie » triche se comptent sur les doigts d'une main. Seulement deux à trois fois par an. En tant que vice-président de la European Casino Association, je sais qu’il existe des triches sur les machines automatiques. Des bandes d'une ingéniosité folle opèrent dans les casinos, plutôt allemands et scandinaves, et sont capables de subtiliser la boîte à billets de la machine elle-même ! Ils utilisent aussi des cartes magnétiques, capables de lire certaines séquences de jeux, permettant de savoir qu’on est dans une période où le jackpot devrait tomber. Et donc de jouer plus gros, pour toucher le maximum. Par ailleurs, il existe toujours les compteurs de cartes. De notre côté, nous utilisons un logiciel, BJ Survey, qui, grâce à des algorithmes, va nous donner la tendance du joueur. Même face à un bon joueur de black jack, la probabilité reste en faveur du casino. Mais les joueurs très forts, ou les compteurs de carte, peuvent inverser cette probabilité. Avec ce logiciel, ils sont repérés. Et le casino est tout à fait en droit de leur dire : « monsieur, nous ne souhaitons pas que vous jouiez dans notre casino. »
Comment attirez-vous les très gros joueurs ?
Nous avons un réseau de prospective à travers le monde, et nous les invitons à se déplacer à Monaco. Parfois, certains viennent à peine au casino. Ils sont pourtant invités de manière importante. Notre service client doit alors leur faire subtilement comprendre que ce serait bien de venir jouer un peu quand même...
Combien y a-t-il de joueurs dans le monde que vous invitez ainsi ?
Une centaine à peu près. Tous le sont en business, et certains même, en avion privé. Le dernier client à avoir joué dans la suite « Monte Carlo », nous sommes allés le chercher à Londres.
Et s’ils restent 15 jours tous frais payés, comment faites-vous ?
Certains abusent parfois, veulent la suite « Monte Carlo » et 5 chambres. Tout se discute et on finit par trouver un terrain d’entente. Mais nos très gros clients privilégient les séjours courts. S’ils restaient quinze jours, on se poserait des questions sur leurs intentions au contraire.
Cela se fait de gré à gré ou est-ce contractualisé ?
Les clients asiatiques le demandent : si vous jouez tant d’heures, vous avez tel et tel avantage. Tandis que les clients européens aiment le principe de l’invitation de bon aloi.
(source : parismatch.com/Romain Clergeat)