A Cannes, une psychologue aide à repérer les joueurs pathologiques.
A dix, ils tentent de dresser son portrait robot. «Exigeant», lance l'un. «Drogué», avance un autre. «Rêveur», «malheureux», «irrationnel». D'abord timides, les qualificatifs fusent. Se font plus durs : «casse-pieds», «malade», «agressif», «menteur» ... Avec des anecdotes sur des comportements étranges, pouvant aller jusqu'à uriner voire déféquer devant «sa» machine pour ne pas la quitter d'une semelle. Sa machine ? Une machine à sous, «m.a.s» dans le jargon. Ce profil peu flatteur, c'est celui d'un joueur pathologique, esquissé par le personnel d'un casino.
Crise de larmes. Hôtel Majestic de Cannes, lundi 14 juin. Voituriers, caissiers aux machines à sous, techniciens d'entretien de ces mêmes machines, contrôleurs de gestion, agents de sécurité, ou encore responsables de la communication ; dix employés du groupe Lucien Barrière de Cannes ont une journée de formation avec une psychologue spécialisée, Armelle Achour. Objectifs : apprendre à repérer et mieux aborder les accros du jeu, et miser sur la prévention de cette addiction. Tous ne sont pas au contact direct de la clientèle. Mais des dames pipi témoins privilégiés des crises de larmes et autres pétages de plomb aux cadres, c'est l'ensemble des employés des deux casinos Barrière cannois, soit 450 personnes, qui suivront ce stage interactif.
A commencer par Pascal Brun, directeur général du groupe pour la Côte d'Azur. Initiateur de cette formation pour l'instant unique en France, il a été de la première session en mars. «Il n'y a pas de paradoxe dans cette démarche, explique-t-il à ses troupes en guise d'introduction du stage. C'est une logique de pérennité de l'entreprise. On doit montrer que le casino est un environnement sécurisé, comme font les fabricants d'automobiles ou d'agroalimentaire avec leurs produits.» Raisonnement partagé par Armelle Achour, fondatrice de l'association SOS Joueurs (créée en 1990), et formatrice. «Les joueurs dépendants, ils sont dans une logique à laquelle vous n'avez pas accès et vous les perdrez de toute façon. En revanche, en faisant de la prévention, vous pouvez finalement agir sur les 70 % de la population française qui n'a jamais mis les pieds dans un casino.» En clair, moins il y aura de sales histoires de joueurs ruinés, plus les casinos redoreront leur blason, et attireront de nouveaux clients.
Les accros du casino le plus souvent aux machines à sous forment la majorité des patients suivis par SOS Joueurs. Alertée par les joueurs ou leurs familles, Armelle Achour découvre souvent des types en bout de course : endettés jusqu'à la moelle, proies de réseaux de prêteurs au noir, qui vont jusqu'à prostituer leur femme pour être sûrs d'être remboursés. «A cause du jeu, un cinquième de nos patients a commis des actes délictuels : vol, détournement...», ajoute Armelle Achour, devant ses stagiaires médusés. Avec cet éclairage, beaucoup réalisent que les casse-pieds agressifs dont ils font les frais sont en fait des malades.
Mais comment en arrivent-ils là ? «Tous les jeux peuvent créer une dépendance, mais ce qui fait problème, c'est l'écran», poursuit la psychologue. Et d'énumérer les jeux qui font le plus de «ravages» : Rapido côté Française des Jeux, Points Courses côté PMU, vidéopokers des bars clandestins et bien sûr machines à sous. Tous des jeux avec un écran, qui «capte le regard».
«Big win». Armelle Achour dissèque ensuite les étapes qui mènent à la dépendance. La découverte du casino, souvent avec des amis. Puis le «big win», phase de gain, dont le montant n'est pas forcément colossal mais significatif pour le joueur. «Il y a l'argent, les sensations, le bruit, l'honneur fait au gagnant», résume Armelle Achour. Bref, que des bons souvenirs qui poussent certains à revenir. De plus en plus souvent. En misant de plus en plus. Et en commençant à perdre.
«Le temps est l'ennemi du joueur», rappelle-t-elle, en décrivant la «phase de perte», qui mathématiquement suit la phase de gain. Certains, en général bien dans leur vie, s'en rendent compte à temps. Pour les autres, plus fragiles, c'est le début de la dégringolade. Où rien ne va plus. «Là où vous pouvez intervenir, c'est au début, dès la phase de gain, insiste Armelle Achour. La prévention, ce sont les petites phrases toutes bêtes que vous leur direz, les flyers distribués...» Des brochures commencent à faire leur apparition dans les casinos de Pascal Brun. Qui ne compte pas s'arrêter là. Dans quelques mois, une antenne locale de SOS Joueurs sera installée, et des vidéos de prévention seront diffusées dans les salles de machines à sous.
(source : liberation.fr/Sandrine CABUT)