La privatisation de l’opérateur de jeux d’argent soulève elle aussi de vives critiques, notamment en raison du risque d’addiction des consommateurs.
Les jeux de hasard de grattage et de tirage ne revêtent pas un caractère aussi stratégique que la principale infrastructure aéroportuaire française. Pour autant, la privatisation de la très rentable Française des jeux est, elle aussi, loin de faire l’unanimité, suscitant des inquiétudes jusque chez certains députés de la majorité. Pour le gouvernement, l’Etat n’a pas plus vocation à «commercialiser des jeux de hasard» que de «gérer des boutiques duty-free» avec ADP. «Ce n’est pas son rôle», avait expliqué en février Bruno Le Maire au Sénat, où le projet de privatisation de la FDJ a été rejeté par une majorité transpartisane de sénateurs LR, PS et PCF.
Parmi les principaux arguments entendus au palais du Luxembourg, «le jeu n’est pas une activité comme les autres» car elle est susceptible de développer des addictions dans les catégories les plus fragilisées de la population. Et pourquoi l’Etat devrait-il se priver du confortable dividende versé par la FDJ, en hausse constante ces dernières années ?
Garde-fous
Les opposants à cette privatisation s’interrogent sur l’intérêt qu’il y aurait à privatiser une cash machine réglée comme une montre suisse, et qui conservera dans tous les cas son monopole sur les jeux d’argent hors casinos et paris sportifs. «Avec une hausse annuelle moyenne des mises de 5 % sur les dix dernières années, c’est une rente assurée sans le moindre risque, à n’en pas douter ce sera une excellente opération pour les investisseurs privés», résume Régis Juanico, député PS proche de Benoît Hamon.
A Bercy et à la FDJ, on se prépare pourtant «sereinement et depuis plusieurs années» à cette perspective. Nicolas Sarkozy y avait déjà songé en 2009, avant Emmanuel Macron, lors de son passage à Bercy en 2014. Les arguments en faveur de ce passage au privé, vraisemblablement via une cotation en Bourse, de la deuxième loterie européenne et quatrième mondiale, sont bien rodés. Avec les 20 % que l’Etat souhaite conserver au capital (contre 72 % aujourd’hui), auxquels s’ajoutent les 9,2 % historiquement détenus par l’association d’anciens combattants les Gueules cassées et le personnel qui monterait de 5 à 10 %, la puissance publique restera «très présente» dans la gouvernance de l’entreprise.
Et à la différence des aéroports, les activités de jeux d’argent sont déjà largement aux mains du secteur privé en Europe, argumente le gouvernement, mais aussi en france à travers le PMU, les casinotiers et les nouveaux opérateurs en ligne. «Cela n’empêche en rien d’avoir en france une forte régulation autour d’une politique du jeu responsable», explique-t-on à la FDJ, où l’on fait remarquer qu’il existe déjà de nombreux garde-fous légaux qui devraient être renforcés dans le cadre de la privatisation.
Enfin, à ceux qui craignent qu’en ouvrant le capital d’une entreprise valorisée dans la fourchette haute à plus de 3 milliards d’euros on se prive bêtement de la manne d’une centaine de millions d’euros par an en dividendes, la réponse est là aussi toute trouvée. A Bercy, on rappelle que ce retour sur capital reste modeste en comparaison des recettes fiscales que rapporte annuellement la FDJ à l’Etat : environ 3,3 milliards d’euros. «Quand on entend que l’Etat va renoncer à une poule aux œufs d’or, c’est largement inexact, assure une source proche de l’opérateur de jeux d’argent. La réalité, c’est que les œufs resteront d’autant plus dans le panier de l’Etat que c’est lui qui détermine et fait voter la fiscalité qui s’applique aux produits de la Française des jeux au Parlement.»
Principes
Autant d’arguments fallacieux qui ne changent rien sur le fond, répondent tous ceux qui s’opposent, à gauche comme à droite, à cette privatisation, fût-ce au prix fort. «La FDJ est la preuve que l’on peut appartenir au public et être très performant, sans que cela ne gêne en rien votre développement», plaide le député LR Gilles Carrez, un «vétéran» de la commission des finances. «On met en avant le désendettement de l’Etat, mais c’est une blague, cela ne changera rien sur la durée, et il y a d’autres manières plus pérennes de procéder. La réalité, c’est que sur le long terme, un actionnariat majoritairement privé a par nature une autre vision, et ce n’est pas anodin lorsqu’il s’agit d’un opérateur de jeux d’argent.»
Si le gouvernement se dit ouvert à la discussion et promet d’associer le Parlement à la refonte de la régulation des jeux d’argent, les opposants, eux, se situent à un autre niveau : celui des principes. «Tous les spécialistes du jeu insistent sur les dangers que représenterait une Française des jeux trop expansionniste, conclut le député Régis Juanico. Or, dans l’optique actuelle, on prend clairement ce risque et ce, quelles que soient les intentions de départ. L’Etat aurait très bien pu ouvrir le capital mais en gardant 51 %, cela aurait permis de réunir un large consensus et d’envoyer un message fort.» Bref, rien ne va plus mais les jeux semblent faits.
(source : liberation.fr/Christophe Alix)