Plusieurs grands groupes développent la prévention des abus du jeu, pour recruter de nouveaux clients et s'attirer les bonnes grâces de l'Etat.
Qu'on se le dise : les casinotiers sont des humanistes. Pas du genre à laisser leurs clients sur la paille. «C'est un vrai problème moral de se dire qu'on a ruiné des gens», soupire Georges Tranchant, PDG du groupe du même nom. Alors, Casinos de France, le syndicat regroupant, entre autres, les groupes Accor, Barrière et Tranchant (mais pas Partouche) et qui réalise plus de la moitié du chiffre d'affaires des casinos français, a présenté la semaine dernière à la presse un «kit de prévention aux risques d'abus de jeu», destiné aux salariés. Le principe en est simple, selon Joël Mingasson, président de Casinos de France et du directoire d'Accor casinos : «Quand on fait de l'alpinisme, on prévient les gens que c'est dangereux. Dans les casinos, c'est un peu pareil. nous avons la responsabilité morale d'empêcher les gens de dépasser les limites, comme les bars ou boîtes de nuit avec l'alcool.»
Schizophrène. L'initiative est savoureuse, quoiqu'un poil schizophrénique. «Pas facile d'expliquer à un client en train de perdre : ce soir, c'est pas votre soir, partez», poursuit Joël Mingasson. A tel point que le projet, présenté en son temps aux cadres d'Accor casinos, avait recueilli 68 % d'opinions négatives... Mais pour les industriels du secteur, l'enjeu est d'importance. D'abord, parce que «quelqu'un qui se voit interdire de jeu est un échec pour le casino, qui perd ce client à tout jamais», selon Mingasson. Mais aussi et surtout parce que cette offensive de charme s'accompagne de plusieurs revendications de la part des casinotiers. Lesquels, avec une croissance de 3,7 %, estiment être «un peu à la traîne» par rapport à leurs concurrents (PMU et Française des Jeux), dans un marché du jeu qui, globalement, a grimpé de 6,7 %.
«notre croissance est principalement due aux nouveaux casinos ou aux nouvelles machines à sous, explique Joël Mingasson. La majorité des casinos qui vivaient sur leurs acquis, à parc constant de machines, ont connu une croissance zéro ou une décroissance parce que la clientèle nouvelle manque de machines.»
D'où le souhait des casinotiers de voir leur parc de machines à sous autour de 17 000 aujourd'hui se développer vite et sans entraves. «Pour obtenir l'autorisation d'ouvrir 10 machines, il faut un dossier de 35 pièces et 6 mois de travail», râlent les casinotiers, agacés par l'aspect très réglementé du marché et les «contrôles tatillons» de l'administration de tutelle : la sous-direction des Courses et Jeux du ministère de l'Intérieur, chargée de veiller à «la régularité et la sincérité des jeux».
Tolérance. Une défiance qui remonte à la première loi sur les casinos, datant de 1907. «L'exploitation des jeux de hasard reste interdite en France, et il faut pour ouvrir un casino une dérogation du ministre de l'Intérieur, seul habilité à délivrer ces autorisations, résume-t-on à l'Observatoire des jeux. Pour résumer, l'Etat interdit le jeu mais autorise dans certains cas des sociétés privées à exploiter des casinos moyennant prélèvement. C'est ce qu'on appelle une tolérance, dont profitent les finances publiques.»
Cette position irrite d'autant plus les industriels du jeu que le PMU se développe tous azimuts, que «la Française des Jeux sort un jeu nouveau tous les quatre mois, en général des jeux qui ressemblent de plus en plus à nos jeux de casinos...» Et que ces deux opérateurs poursuivent leur développement sur l'Internet, dont les casinos demeurent exclus (Libération du 15 mai 2004). Ce qui n'empêche pas les cyberflambeurs français d'accéder aux centaines de loteries qui prolifèrent sur le réseau à partir de l'étranger.
Mise en garde. Mais c'est surtout la fiscalité du secteur qui mobilise les industriels du jeu. Laquelle aurait augmenté de 10 % en dix ans, pour atteindre 55,5 %. Déjà soumis à sept impôts et taxes différentes, les casinotiers ont ainsi eu la désagréable surprise d'apprendre qu'ils supporteraient prochainement une nouvelle hausse de deux points de la CSG, qui devrait les délester d'environ 28 millions d'euros. «C'est une incitation à faire des affaires à côté, s'agace Georges Tranchant. En ce qui me concerne, j'investis à l'étranger le plus souvent possible.» En particulier en Suisse et en République dominicaine. Bref, autant d'arguments destinés à mettre en garde les pouvoirs publics contre une «perte de compétitivité» annoncée des casinos français.
(1) Le PMU a grimpé de 9,5 % et la Française des Jeux de 4,8 %.
(source : liberatio
n.fr/D'ALLO
nnES David REVAULT)