Après des perquisitions chez Partouche, le chef du service des jeux se rend à un dîner organisé par le syndicat de son grand concurrent Barrière. Les dents grincent.
Mi-mars, Philippe Ménard, le chef du service central des courses et jeux (SCCJ), s'est rendu au dîner annuel organisé par le syndicat Casinos de France, qui représente notamment les intérêts de Barrière. Participaient, entre autres, aux agapes des fonctionnaires du ministère de l'Intérieur, la maire du Touquet Lilyane Lussignol, des représentants de la direction des libertés publiques – le stylo-plume du ministre en matière de réglementation – et des huiles du groupe de jeux.
Des festivités habituelles, mais peu appréciées chez Partouche, le concurrent de Barrière. En effet, quelques jours plus tôt, trois de leurs établissements ont été visités par les forces de l'ordre devant les caméras de M6, qui, au courant des opérations à venir, patientaient à l'entrée. Un coup de filet, dans une enquête ouverte pour abus de biens sociaux, qui a fait tomber le cours en Bourse du groupe de 20 % et qui a déclenché la colère de ses dirigeants. Lesquels ont décidé de porter plainte pour violation du secret de l'instruction.
Plainte pour violation du secret de l'instruction
« Les images (…) n'ont pu être réalisées que sur une information émanant des services de police, et avec leur assentiment », assène Partouche, dans un communiqué, tout en jurant n'avoir rien à se reprocher.
Dans ce contexte, le dîner, quelques jours après les perquisitions, du chef du SCCJ, à l'hôtel Westminster du Touquet, avec Barrière à la même table a du mal à passer. Contactée, la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), dont dépend le service des jeux, n'a pas souhaité faire de commentaire.
« Ces invitations étaient prévues depuis longtemps et n'ont rien d'anormal, tranche quant à lui un convive. Il est de coutume d'inviter les tutelles. Ce n'est pas du lobbying, c'est simplement la réunion de gens qui travaillent ensemble toute l'année. » Et le participant d'ajouter, dans un sourire : « Ce n'était pas une fête débridée. On a mangé très bon, mais on a mangé léger ! » Sans doute mieux, en tout cas, que les directeurs des casinos Partouche placés en garde à vue après les perquisitions.
Durant la réception, Philippe Ménard aurait également pris en aparté Patrice Le Brun, le délégué général du Syndicat des casinos modernes de France, un des seuls représentants présents de Partouche ce soir-là, pour lui confirmer que l'affaire était « grave » et que des sanctions administratives seraient prises ultérieurement. Des propos qui font écho à ceux que le patron du SCCJ avait tenus, dans une interview diffusée sur France Bleu, le 19 mars, lors de laquelle il avait commenté brièvement l'enquête en cours et évoqué une possible « fermeture administrative » des établissements visés.
Les « lignes directrices » anti-blanchiment annulées
L'anecdote, sensible, intervient alors que le Conseil d'État a annulé, le 4 mai, les « lignes directrices » régissant le fonctionnement des casinos en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, relate Le Monde. Après une série d'inspections à partir de 2013, l'État s'était en effet inquiété de ce qu'un certain nombre de casinos fermaient les yeux sur des pratiques illégales dans les établissements.
Philippe Ménard avait donc été nommé par Manuel Valls à la tête du SCCJ et avait reçu pour mission de faire le ménage. Fin 2016, toujours selon le quotidien du soir, le SCCJ et Tracfin ont édicté des règles pour mieux détecter les opérations suspectes. Des obligations « exigeantes » pour les casinos, selon le rapport d'information des députés Régis Juanico et Jacques Myard, qui consistent notamment à distinguer les clients habituels des occasionnels (fréquence des visites, dépôts des gains, etc.) et à recueillir des informations sur la provenance des fonds, l'adresse ou encore le patrimoine.
Autant de règles très contestées par les casinotiers et qui viennent d'être annulées pour excès de pouvoir par le Conseil d'État. La juridiction suprême a considéré que le service central des courses et jeux pouvait difficilement contrôler les casinos et en même temps édicter les règles qui s'imposent à eux. L'État va donc devoir rapidement organiser un nouveau tour de table en associant la profession pour éviter une nouvelle fausse donne.
(source : lepoint.fr/MARC LEPLONGEON)