En votation populaire le 10 juin, la nouvelle loi sur les jeux d’argent donne lieu à une féroce bataille économique entre les maisons de jeu et les loteries suisses d’un côté, et leurs homologues étrangères, de l’autre.
Les jeux d’argent sont une véritable poule aux œufs d’or pour la collectivité. Chaque année, c’est au total près de 1 milliard de francs (70 milliards dans le monde) qui atterrit dans les caisses publiques ou qui soutient de «bonnes causes». Ainsi, l’AVS et l’AI empochent 276 millions, les cantons avec des casinos touchent 47 millions, et quelque 15?000 projets culturels, sociaux ou sportifs se partagent l’essentiel de cette somme, soit 630 millions.
Dans le détail et par région, la Loterie Romande souligne son rôle d’utilité publique. «Les jeux d’argent ne rapportent rien à la Loterie Romande en tant que telle, puisque nous reversons l’entier de notre bénéfice», insiste son directeur général, Jean-Luc Moner-Banet. Sur près de 400 millions de chiffre d’affaires, le bénéfice de 217 millions (2017) est alloué à de multiples domaines, dont la culture, le sport, l’action sociale ou l’environnement.
En Suisse alémanique et au Tessin, Swisslos, homologue de la Loterie Romande, génère 413 millions de chiffre d’affaires (2017), distribués à raison de 369 millions aux cantons et 44 millions au sport national via le Sport-Toto. Dans les salles des casinos, le chiffre d’affaires avoisine les 690 millions annuels (2016). Là-dessus, 323 millions d’impôts sont prélevés.
Un gâteau supplémentaire qui aiguise les appétits
Alors, rassasiées, les entreprises de jeu helvétiques? Que nenni. Elles ne se contentent pas du statu quo. Et ont une bonne raison à cela: elles lorgnent le juteux marché des jeux sur internet. Aujourd’hui, on estime que 250 à 300 millions de francs «s’exilent» à l’étranger par ce biais. La loi soumise au peuple compte permettre aux maisons de jeu et aux loteries suisses de proposer des jeux d’argent sur internet. Elle prohiberait notamment les sites étrangers, en les bloquant au besoin. Jusqu’à 300 millions supplémentaires pourraient ainsi revenir aux entreprises helvétiques.
Les acteurs suisses invoquent aussi la nécessité de se moderniser. «La nouvelle loi en votation conditionne une grande partie de notre futur. La loi en vigueur date de 1923, et n’est plus en phase avec la numérisation et internet. Elle nous interdit beaucoup de choses», déplore Jean-Luc Moner-Banet, patron de la Loterie Romande (LoRo). Si le souverain vote oui le 10 juin, la LoRo pourrait introduire des modes de jeu très populaires, comme le pari sportif en plein match de football, une pratique qui n’existe aujourd’hui que sur internet ou dans des pays voisins (France, Italie).
Déterminées, les entreprises suisses de jeu ne lésinent pas sur les moyens: 3 millions de francs de budget de campagne. Elles entendent bien rendre la monnaie de leur pièce à leurs concurrents étrangers, qui ont financé à hauteur d’un demi-million la récolte de signatures des référendaires.
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Des milliards dépensés en ligne
La somme n’est qu’une broutille pour les entreprises de jeu étrangères, des mastodontes dont le volume des ventes se monte en centaines de millions. Sur la liste des donateurs, Interwetten, société basée à Malte, a dégagé près de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2017. Autre partenaire du comité référendaire basé sur l’île de Man, GVC Holdings réalisait la même année pour plus de 800 millions d’euros de chiffre.
Des sommes colossales, dans un secteur d’affaires en pleine croissance. Selon Statista, portail statistique de référence, la croissance des jeux d’argent en ligne a plus que doublé en une décennie. D’une vingtaine de milliards en 2008, elle est passée à plus de 50 cette année: une croissance de 150%, largement plus élevée que celle des maisons de jeu traditionnelles: «Les jeux d’argent sur internet grignotent des clients aux casinos terrestres», confirme la Commission fédérale des maisons deu.
L’économie suisse contre tout blocage
La faîtière economiesuisse soutient les référendaires. La nouvelle loi sur les jeux d’argent n’aurait certes qu’un impact limité sur la bonne santé du marché helvétique, concède sa directrice romande, Cristina Gaggini. Toutefois c’est une question de principe qui est en jeu: «L’application de la loi aboutirait à une forme de protectionnisme, ce qui est extrêmement problématique.» Selon la directrice, «ce serait un signal négatif pour la suite des discussions en Suisse et pour l’avenir de la numérisation dans notre pays». Plutôt que de bloquer les utilisateurs étrangers, dit-elle, il serait plus judicieux de vendre des concessions à ces opérateurs et de les taxer sur le montant perçu.
En outre, souligne-t-elle, «empêcher des firmes internationales d’agir en Suisse est également dangereux pour un pays comme le nôtre, qui importe et exporte énormément». Lors du lancement de la campagne référendaire mercredi dernier à Lausanne, la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI) – également opposée à la loi – mettait ainsi en garde: «Du point de vue du droit de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), bloquer l’accès à un marché donne l'autorisation aux autres pays de bloquer en retour l’accès d’un produit suisse sur son territoire. Cela pourrait se produire.»
(source : letemps.ch/Boris Bussli
nger, Philippe Boegli
n (La Liberté))