François Fillon et les jeux d’argent
Jean-Pierre MARTIGNONI-HUTIN, Sociologue
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En janvier 2017 nous avons adressé aux principaux candidats à l’élection
présidentielle, 13 questions sur les Jeux d’argent (1) A ce jour un seul
candidat nous a répondu, François Fillon… par une lettre signée de sa main
en date du 14 mars 2017. Certes M. Fillon ne répond pas à toutes les
problématiques soulevées sur l’industrie des jeux de hasard et cela peut se
comprendre. Mais il précise que nos questions sur la politique des jeux de
la France « inspirent sa réflexion » même s’il n’a pas encore eu «
l’occasion de développer ces thèmes » Plus que jamais il est nécessaire de
rappeler, que même si l’économie des jeux n’est pas un secteur stratégique,
il contribue au budget de l’Etat. La Française des jeux a, à elle seule,
apporté 3,1 milliards à Bercy en 2016, soit 1% du budget. Le futur
gouvernement et le prochain Président de la République devront forcément –
même si ce ne sera pas leur priorité première - donner les grandes
orientations de la Politique des jeux de la France, aussi bien en matière
de gambling que de e.gambling.
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Le secteur des jeux d’argent est facteur d’emplois, d’activités et de
recettes pour l’Etat, les communes, le sport, la culture… Faut-il
développer ce secteur ou, comme le gouvernement précèdent, mettre
l’accent sur le jeu pathologie maladie, cette « addiction sans
substance » qui fait débat dans la communauté scientifique car porteur
d’une pathologisation abusive des passions humaines et du fait social
considéré ? Le colloque Organisé par le GREID (Association GRoupe
Ecoute Information Dépendance) qui se déroulera à Valenciennes les 5,6
avril 2017 en présence de Jean-François Vilotte permettra de traiter de
la problématique des jeux de hasard et d’argent à travers « le prisme »
du jeu excessif, addictif, compulsif… et tentera de répondre à la
question : le jeu problématique une addiction ? (2)
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Les jeux de hasard représentent un formidable « impôt volontaire » ,
indolore pour les non joueurs. A l’heure ou les français subissent un
matraquage fiscal faut-il, comme le suggèrent certains observateurs,
développer cet « impôt démocratique » en lançant de nouvelles loteries
fortement dotées, comme le font les américains avec le power-ball et
comme le perpétuent les Espagnols avec la Loteria de Navida ? »
(Nous observerons que récemment Stéphane Pallez, PDG de la FDJ, a
repris cette idée de lancer une loterie de Noel !!)
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Le gouvernement socialiste a nommé comme responsable de l’Observatoire
« Des Jeux »(ODJ) l’ancien directeur de l’Observatoire « des drogues »
ce qui revient à assimiler les joueurs à des « drogués » et les
opérateurs de jeux à des « dealers ». Les pratiques ludiques de nos
concitoyens et les professionnels qui travaillent dans les trois
filières concernées, méritent un autre traitement. Il est urgent de
rebattre les cartes en matière d’études sur les jeux afin que l’ODJ
devienne un observatoire pluridisciplinaire qui rende compte
scientifiquement des jeux d’argent et de la socialisation ludique
contemporaine, comme l’avaient imaginé ses fondateurs
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Anne Hidalgo a repoussé brutalement la proposition d’implanter un
casino à Paris, projet préconisé par le Préfet Duport. Il faut rouvrir
d’urgence ce dossier afin que Paris se dote, comme la quasi totalité
des métropoles européennes, d’un casino prestigieux. Un casino made in
Paris peut devenir l’un des premiers au Monde vu l’attractivité de la
capitale. Un partenariat avec Carolyn Goodman (maire de Las-Vegas) et
les groupes américains (Caesar Entertainment, MGM, Las Vegas Sands...)
permettra d’ exploiter la symbolique des deux villes. Un package
ludico-festif et historico-culturel Las Vegas/Paris » - étant
susceptible de séduire de nombreux américains. Quant aux touristes
chinois (2,2 millions en 2015) ils représentaient une cible très
attractive pour un futur casino parisien. Ils dépensent actuellement
3500 euros. L’application Smartphone Aliplay lancé par Alibaba, leur
permet désormais de « flamber » jusqu’à 30 000 euros sans transporter
de liquide quand ils voyagent à l’étranger. En attendant de voir un
immense casino de verre en forme de Tour Eiffel qui scintillerait sur
la Seine, les gazettes ont annoncé « que le Val d’Europe prévoyait
d’installer 5 casinos sur son territoire » avec l’EPA, l’Etat et Disney
pour partenaire ( les casinos.org du 22 mars 2017 : « des casinos en
seine et marne ?)
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L’Assemblée Nationale vient d’autoriser pour trois ans les « clubs de
jeu » pour assainir la situation des ex « cercles » parisiens.
L’affaire du Club anglais, qui vient d’être fermé par la police des
jeux, confirme qu’il faut soutenir cette expérimentation, qui répond à
une demande ludique spécifique, tout en réduisant les jeux clandestins.
Ce n’est pas un « projet funeste, contraire aux intérêts des Parisiens
», comme le pense Nathalie Kosciusko-Morizet. Il y a une demande
ludique locale à Paris pour ce type d’espaces de jeu et cela même si un
casino voyait le jour, à Paris ou en région parisienne. ( confer point
4)
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La France possède un précieux patrimoine casinotier avec plus de 200
exploitations. Ce secteur est en difficulté structurelle (-22% de 2007
à 2014) malgré un certain redressement depuis deux ans. Surfiscalisée,
surréglementé l’économie casino a besoin d’oxygène et de liberté. Des
mesures doivent être prise pour dynamiser l’économie casinotière. Mais
dans le même temps la profession ne peut rester les bras croisés et
être uniquement dans la plainte. Elle doit enfin, dans une union sacrée
syndicale, se mobiliser ( par exemple en créant une fondation) pour
valoriser son activité, ses métiers, ses jeux, son patrimoine, sa
clientèle, son histoire… en provoquant des recherches, des études, des
sondages, des monographies…
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Les machines à sous ont permis l’ouverture sociologique des casinos et
ont sauvé de nombreuses exploitations. Mais sous la pression d’
associations anti jeu, de la doxa du jeu pathologie, un contrôle aux
entrées a été introduit. Il faut le supprimer au moins pour les
machines à sous ? La police des jeux et les casinotiers ont largement
les moyens de surveiller discrètement la clientèle indélicate, «
interdite de jeux » ou classée ANPR qui est très minoritaire, environ
35 000 personnes. Par ailleurs, s’il est plus que jamais nécessaire
d’identifier les gros flux financiers dans le cadre de la lutte anti
blanchiment et contre le financement du terrorisme (LAB/FT) TRACFIN, en
collaboration avec la profession et la SDCJ, a largement les moyens de
le faire sans ce contrôle généralisé, qui a concerné la bagatelle de 32
millions de personnes en 2015 dans les casinos.
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La FDJ surperforme depuis plusieurs années, dépassant la barre des 10
milliards. C’est une bonne chose pour les finances publiques. Mais dans
le même temps, l’opérateur met en avant une « soi disante » politique
de lutte contre l’addiction qui ne trompe personne. Cette hypocrisie a
assez duré. Il faut que la FDJ - et son principal actionnaire l’Etat -
assument pleinement le fait de vendre des jeux ? Dans le cas contraire
il faut relancer le débat sur la privatisation de la FDJ afin d’ouvrir
les loteries et les jeux de grattage à la concurrence. L’Etat doit-il
cesser d’être Croupier ou doit il au contraire surtout ne pas vendre ce
précieux de bijou de famille (valorisé 1 ,3 à 2 milliards). Nous
pensons au final que ce sont aux Français de décider et non aux banques
d'affaires, à L'Agence des Participations de l'Etat (APE), au ministre
de l’économie Michel Sapin qui en 2014 « n'a pas mis son veto" à une
telle privatisation ( Lire en annexe 1 : l’article de Claude Soula : «
Pourquoi privatiser la Française des Jeux serait un casse-tête :
Les spéculations sur la privatisation de l'entreprise, véritable
cash-machine, vont bon train. Mais l'Etat a-t-il vraiment intérêt à
s'en séparer ?
» Cet article pertinent publié dans "le Nouvel Observateur" du 28 août
2014, reste d’actualité.
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La filière hippique (et ses 6,5 millions de turfistes) irrigue les
territoires, avec ses hippodromes, ses cafés PMU, ses métiers du
secteur cheval, et fait rayonner la France à l’international (Grands
Prix, yearling) Il faut soutenir les paris hippiques et la « filière
cheval » qui occupent 180 OOO personnes ? Il faut reconsidérer la
mesure liberticide envisagée par la Cour des comptes visant à
identifier tous les parieurs du réseau en dur et notamment les
turfistes. Alors que le le débat sur cette mesure sécuritaire
s’accentue (3), la Française des jeux, fort de son monopole et avec la
bénédiction de Christian Eckert, place ses pions discrètement sur les
paris sportifs à cote fixe et le live betting ( prise de paris en
direct) dans son réseau de proximité, au grand dam de la filière
hippique. L’opérateur historique des loteries pourrait être accusé
d’abus de position dominante notamment par Bruxelles.
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La loi du 12 mai 2010 a ouvert à la concurrence certains jeux de hasard
sur internet (poker, paris hippiques et sportifs). Mais à cause de
contraintes technico-règlementaires très lourdes et d’une fiscalité
confiscatoire, la moitié des opérateurs ont cessé leur activité !! (35
en 2010, 16 en 2015 ) Sans forcément « supprimer l’ARJEL » comme l’ont
proposé certains parlementaires, il est temps de lâcher la bride aux
opérateurs virtuels pour que ce secteur de l’économie numérique puisse
prendre son essor, comme l’a fait le Président de l’ARCEP avec une
régulation a minima pour développer « l’internet des objet » ?
Cette liberté permettra également de juguler l’évasion ludique des gros
joueurs de poker et de lutter contre les pratiques de jeu sur des sites
non autorisés
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Les Jeux d’argent font partie avec l’alcool et le tabac de ce que l’on
nomme « l’industrie du vice ». Le gouvernement socialiste à multiplier
les mesures liberticides contre ces économies, encore dernièrement avec
le « paquet neutre » et le slogan « fumer tue ». Ces mesures morbides
extrêmes salissent les buralistes, stigmatisent treize millions de
fumeurs de cigarettes et de cigares, boostent le marché clandestin. Il
faut « revenir en arrière », en appliquant un principe de précaution
responsable mais raisonnable, comme en matière d’alcool avec le slogan
: « à consommer avec modération »
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Certains observateurs ont lancé l’idée en 2012 d’une « loterie mondiale
caritative » qui rapportera plus qu’une taxe Tobin sur les transactions
financières ou qu’une flat taxe sur les billets d’avion. La France,
dont la voix est encore écoutée dans le monde, ne peut se contenter de
faire la guerre à l’islamo-fascisme, elle pourrait se faire le porte
parole – auprès des organismes internationaux, des grands philanthropes
et milliardaires de la planète - de cette proposition susceptible
d’éradiquer la pauvreté, la misère, le sous développement.
------
Au final ce sera au prochain Président et à sa majorité (et non aux
opérateurs, aux corps intermédiaires, aux administrations aux multiples
commissions concernées et sous-direction…) de préciser les grandes
orientations de la Politique Des Jeux. Ces orientations doivent - de notre
point de vue - rompre peu ou prou avec les mesures liberticides du
gouvernement précèdent, notamment celles imposées en matière de santé
publique par la doxa du jeu pathologie maladie, en conflits d’intérêts dans
cette affaire, mais également reconsidérer les nouvelles mesures
liberticides qui figurent dans le rapport Cour Des Comptes/ Myard/Juanico.
Elles pourraient s’inscrire dans les directions suivantes :
-
Plus de Liberté
-
Moins de fiscalité et de réglementation
-
Un développement du secteur
· Une politique des jeux responsable qui soit raisonnable (4)
-
Une refonte de l’Observatoire des jeux
-
Une participation des joueurs à la Politique des jeux
-
------
Jean-pierre.martignoni@univ-lyon2.fr
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notes =
1 jp martignoni : « Les jeux d’argent s’invitent à l’élection
présidentielle de 2017 : questions au futur Président de la République sur
les jeux de hasard et d’argent et la Politique Des Jeux de la France ( 27
pages, 21 notes, 2 annexes*, janvier 2017)
2 jp martignoni : « Colloque à Valenciennes : le jeu problématique une
addiction ? » (mars 2017, 12 pages, 3 notes, trois annexes
3 ( à paraître ) jp martignoni : « Identifier les joueurs : une mesure
liberticide » : alors que le débat sur l’identification des parieurs
s’accentue, la FDJ, fort de son monopole, place ses pions dans les paris
sportifs et le live betting dans son réseau de proximité, au grand dam de
la filière hippique ( 6 pages, 21 notes, mars 2017)
4 ( à paraître ) jp martignoni : « Pour une politique des jeux responsable…
mais raisonnable » ( 2 pages, mars 2017) « Point de vue « publié dans
l’hebdomadaire La Tribune de Lyon ( mars 2017)
© jp martignoni-hutin, mars 2017,Lyon, France,
Université Lumière, Lyon 2, Centre Max Weber (CMW)ISH
annexe 1 :
Claude Soula : «
Pourquoi privatiser la Française des Jeux serait un casse-tête
: Les spéculations sur la privatisation de l'entreprise,
véritable cash-machine, vont bon train. Mais l'Etat a-t-il
vraiment intérêt à s'en séparer ? Cet article publié " (le
Nouvel Observateur" du 28 août 2014)
« L'été de Christophe Blanchard-Dignac avait bien commencé. En juillet,
le PDG de la Française des Jeux (FDJ) s'est réjoui des résultats du
Tour de France : Thibaut Pinot a porté les couleurs de la FDJ sur la
troisième marche du podium. Et les paris sportifs ont fait un tabac
pendant la Coupe du monde de football ! Les joueurs laisseront 1,7
milliard d'euros de mises dans ses caisses d'ici à la fin de l'année,
contre 600 millions d'euros en 2010, quand le marché a été ouvert. La
FDJ a réussi à imposer son Parions Sport face à l'armada des nouveaux
sites de paris en ligne en profitant de son immense réseau de 33.400
points de vente. Rien de tel que de bénéficier du monopole des jeux
dans 12.000 communes françaises.
Mais après ces satisfactions est venu le temps des grimaces. Pensez
donc ! Notre patron ne sait toujours pas si son mandat sera renouvelé
le 21 octobre prochain. Désigné il y a quatorze ans, sous Jacques
Chirac et Lionel Jospin, l'ancien directeur du Budget d'Alain Juppé est
pourtant un sportif dans son genre : il détient le record de longévité
du secteur public. Mais cet automne, hélas, son poste apparaît
particulièrement convoité. Paris bruit du remplacement de
Blanchard-Dignac par André Martinez, un banquier proche de François
Hollande, ou par Florence Parly ancienne secrétaire d'Etat au Budget.
Dans le même temps, les spéculations sur un début de privatisation
de l'entreprise repartent
. Une évolution que Christophe Blanchard Dignac n'a jamais demandée à
son actionnaire, et qui pourrait logiquement être confiée à plus motivé
que lui.
La pression sur le gouvernement est intense. Les banques d'affaires
assiègent Bercy en expliquant qu'il serait très simple de vendre la
FDJ. L'Agence des Participations de l'Etat (APE), qui gère les
entreprises publiques, pousse cette idée et Michel Sapin n'a pas mis
son veto", nous explique un banquier.
Valorisée de 1,3 à 2 milliards
Le nouveau patron de l'APE, Régis Turrini, venu du groupe Vivendi, va
donc reprendre ce dossier ouvert par son prédécesseur David Azéma.
"L'Etat détient 72% des actions de l'entreprise, valorisée entre 1,3 et
2 milliards d'euros. S'il passait à 50%, cela ne changer ait pas
grand-chose pour la FDJ tout en rapportant 300 à 400 millions d'euros
au budget", assure un des partisans de l'opération. "Regardez l'Italie
! Depuis que l'Etat a vendu sa société de loterie, Lottomatica, le
numéro un européen du secteur, elle rapporte bien plus d'argent. Elle
est devenue GTech, un géant international des machines à sous, coté aux
Etats-Unis et basé à Londres", dit un des banquiers qui poussent
régulièrement l'Etat à céder sa filiale. Les Italiens de GTech,
justement, ou la loterie britannique Camelot seraient sur les rangs. En
France, Stéphane Courbit a déjà investi dans les jeux, et Vincent
Bolloré, qui "regarde le dossier depuis longtemps", selon un banquier,
dispose désormais des milliards de sa société Vivendi pour investir
dans un nouveau secteur.
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Pourtant, il n'est pas acquis que ces euros dégringolent dans les
caisses de Bercy. Même Nicolas Sarkozy, qui avait démarré une
privatisation en 2008, avait fini par y renoncer. "Le dossier est
compliqué. La privatisation de la Française cache de nombreux pièges
pour l'Etat", juge un connaisseur de l'entreprise qui n'est pourtant
publique que depuis... 1978 :
C'est Giscard qui avait nationalisé la société après le succès du Loto
lancé en 1976, pour que l'Etat puisse en profiter pleinement, explique
un dirigeant. Depuis, c'est la direction du Budget qui pilote la
stratégie et qui s'est toujours opposée à sa cession, d'autant que les
jeux sont restés en dehors des directives européennes et que Bruxelles
ne nous demande rien à ce sujet."
La "cash machine"
Cet attachement s'explique : la Française des Jeux est un très généreux
contributeur aux finances publiques. Elle verse à l'Etat 100 millions
d'euros par an de dividendes. Et, surtout, Bercy encaisse 25% des mises
des joueurs, soit 2,9 milliards par an. A elle seule, la
Française des Jeux
produit 1% du budget français. Une cash machine. Sous la présidence de
Christophe Blanchard-Dignac, le chiffre d'affaires du Loto, des jeux de
grattage et des paris a doublé même si les Français restent des joueurs
très raisonnables. "Nous jouons 170 euros par an et par personne, soit
15% de moins que la moyenne européenne", calcule Patrick Buffard, le
directeur général adjoint, chargé du marketing.
Les dirigeants expliquent cette relative sagesse par la modération de
leurs méthodes. En tant que société publique, la mission de la FDJ est
de "canaliser" le jeu et de ne pas - trop - pousser à la dépense.
Ainsi, le PDG met en avant le cas du Rapido, un jeu de tirage qui
régnait dans les cafés des années 2000 et qui rapportait 2,3 milliards
d'euros. Trop addictif avec ses deux tirages toutes les cinq minutes,
il a disparu des comptoirs. "Nous avons reçu plusieurs alertes de SOS
Joueurs sur des cas de dépendance", explique Blanchard-Dignac. Prévenue
dès la fin des années 1990, la FDJ n'a pourtant annoncé sa mise au
rancart qu'en 2010, puis attendu 2014 pour le supprimer définitivement
dans les départements et territoires d'outre-mer...
Du coup, un cadre avance une autre explication pour son retrait : "Il
donnait une mauvaise image de nos jeux dans les cafés. De plus,
l'interdiction de fumer avait fait baisser les enjeux." La FDJ voulait
aussi s'assurer que les paris du Rapido allaient bien basculer sur son
remplaçant Amigo ou sur les paris sportifs. Objectif : faire progresser
les enjeux tout en rajeunissant le recrutement des parieurs.
"On avait deux marques qui dépassaient le milliard d'enjeux en 2000 :
Loto et Rapido. On en a cinq aujourd'hui : Cash (2 milliards par an),
Euro Millions, Loto (1,5 milliard chacun), Amigo et Parions Sport (1,4
milliard chacun)", explique Patrick Buffard. La Loterie nationale a
disparu faute d'avoir su faire évoluer ses billets. Son successeur en a
tiré les leçons. Depuis dix ans, il a créé trois immenses succès : le
jeu de grattage Cash dont la simplicité extrême a séduit tout le monde,
l'Euro Millions, qui est devenu la plus grande loterie mondiale avec 7
milliards d'enjeux par an, et le pari sportif, qui a explosé lorsque la
superstar du ballon rond Zlatan Ibrahimovic est arrivé au PSG,
réveillant le championnat français. En 2015, la FDJ lancera une
nouvelle façon de jouer au Loto, avec une
grille collective pour éviter les problèmes de partage entre gagnants.
"Il faut toujours être en avance sur les attentes", estime le PDG.
Internet et 33.400 détaillants
Autre mission stratégique : l'entreprise doit aussi soigner ses 33.400
détaillants. Une des fonctions importantes que lui confie l'Etat, qui
ne veut surtout pas irriter ces puissants prescripteurs. "Je suis un
grand défenseur du réseau, assure Blanchard-Dignac. Quand l'ouverture
sur internet a eu lieu, certains poussaient à tout miser sur le
numérique. J'ai refusé. On a bien absorbé le choc : le chiffre
d'affaires du réseau continue à progresser, parallèlement au
développement de 16% par an de nos jeux sur internet, et à la hausse de
45% sur Parions Sport depuis le 1er janvier." Une vraie performance,
due autant à sa créativité qu'au soutien de l'Etat qui a protégé son
monopole en limitant sévèrement la concurrence des nouveaux sites de
jeu en ligne.
Reste à déterminer si un opérateur privé pourrait demain faire mieux et
rapporter plus à l'Etat. "Les joueurs nous font confiance mais c'est un
équilibre fragile. Un opérateur privé pourrait faire des économies sur
nos procédures : nous mettons par exemple à la disposition des grands
gagnants une équipe de dix personnes pour passer le cap de la victoire.
Oui, on pourrait le faire avec trois personnes seulement. Mais cela
finirait par se refléter à long terme sur notre bilan", analyse un
dirigeant de la FDJ. De plus, l'Etat devrait changer ses habitudes en
fixant à l'avance un cadre réglementaire qu'il ne pourrait plus
modifier, même s'il n'était pas satisfait de la gestion de la société.
"Si le feu vert est donné à la privatisation, ce ne serait pas avant
2015", assure un financier. D'ici là, les investisseurs vont donc
saliver en parcourant le bilan : une belle société qui encaisse 12,3
milliards de mises, fait 1,5 milliard de chiffre d'affaires et 133
millions de profits, avec 1.200 salariés, et qui repose sur 1 milliard
de trésorerie
très tentant. Un gros lot. »
(Article de
Claude Soula
publié dans "le Nouvel Observateur" du
28 août 2014)