PARIS (AFP) -
Leurs doigts doivent jongler avec les jetons et leur cerveau avec les chiffres, sans rien laisser paraître: à Paris, des élèves croupiers apprennent les bases d'un métier qui recrute, mais aux exigences souvent éloignées des clichés.
"26, noir, pair, passe. Sizain, carré, cheval". Le ton assuré, Anibal Fernandez annonce le tirage de la roulette. En quelques secondes, il calcule de tête les gains de chacun des joueurs -selon les tables de multiplication de 2, 5, 8, 11, 17, 35- puis distribue les piles de jetons, non sans une pointe d'hésitation.
A deux pas du célèbre Cercle clichy Montmartre, le dernier cercle de jeux parisien, ce trentenaire espagnol s'exerce sous les néons de la Cerus Casino Academy. Assis de l'autre côté de la table, deux autres élèves -en pantalon noir et chemise blanche comme lui- jouent le rôle des clients.
Dix semaines durant, ils y apprennent à mener les principaux jeux de casino: la roulette, le blackjack et deux variantes de poker, le Stud et le Texas Hold'em. Avec au bout des contrats (CDD ou CDI) dans des casinos en France ou à l'étranger.
Si le produit brut des jeux des casinos (ce qu'ils encaissent après redistribution des gains) est en recul depuis 2006 (-23,8%), les jeux de table conservent un certain succès.
"On a plus d'offres d'emploi que de stagiaires", explique Damien Engels, le directeur de la communication de l'école, la seule à délivrer une formation de croupier reconnue par l'Etat, qui forme chaque année -pour 4.200 à 4.700 euros- "100 à 150" élèves dans ses différentes antennes (Paris, Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Marseille, Namur).
La moyenne d'âge est de 23,8 ans, 20% sont des filles, et les profils variés. "On a eu un moine bouddhiste ou un astrophysicien", raconte Damien Engels.
Lors de cette session d'été, on trouve notamment un voiturier-bagagiste dans des hôtels de luxe ou un ancien champion de jeux vidéo qui a travaillé durant neuf ans à repérer les tags à effacer des murs de Paris.
- Pas de frime -
Au programme, des cours théoriques sur les différents jeux, l'histoire des casinos, l'addiction au jeu... Et surtout des simulations où les élèves enchaînent les calculs, les gestes et règles qui garantissent l'intégrité: aucun contact de main à main, la "main blanche" pour exposer ses mains vides...
Mais si la dextérité est obligatoire, pas question de frimer. "Si un croupier fait un tour pour amuser la galerie, le client se dit: +Lui, il fait ce qu'il veut avec les cartes+. Ça introduit de la suspicion", explique Antoine Poitreau, formateur et ancien croupier.
Tous les jours, ses élèves répètent leurs gammes de distribution de cartes et de "chipping" (le maniement des jetons) pour "couper" et déplacer les "stacks" (piles de 20 jetons) selon des techniques codifiées, parfois chronomètre en main.
Les doigts écartés autour de huit "stacks", Anibal Fernandez grimace en les faisant glisser sur le tapis. "C'est presque du contorsionnisme. J'ai des petits doigts, alors c'est difficile pour moi", sourit-il.
"C'est un métier où il y a la pression de bien faire mais on apprend à la gérer. Il faut savoir rester stoïque", ajoute Alexis Roche, 27 ans.
"Ce qui fait la différence, c'est l'attitude en table: il faut savoir analyser ses joueurs, trouver la bonne distance. Ça s'acquiert par l'expérience", souligne Antoine Poitreau, qui endosse parfois le rôle du client procédurier, exubérant ou néophyte. Les élèves se frotteront aux vrais joueurs dans quelques semaines lors d'un stage au casino de Namur (Belgique).
Ils ne rêvent pas des fastueux temples du jeu de Las Vegas ou Macao. Ils savent qu'ils travailleront plutôt dans des cités balnéaires ou thermales françaises, souvent de nuit et pour un premier salaire au niveau du Smic (1.432,12 euros brut mensuels, hors pourboires).
"Le Sud, Biarritz ou la Méditerranée, ce serait bien", se projette Alexis Roche. De fait, deux tiers des 198 casinos français sont installés dans des départements de bord de mer.
(source : france24.com/Simon VALMARY/AFP)