En réponse à l'article publié le 3/02/2016 : Le jeu en ligne plus nocif que le casino
REDUCTIO AD ABSURDUM
Les casinos auraient tort de se réjouir de cette étude dont nous ne connaissons pas les détails méthodologiques et épistémologiques permettant de juger de sa scientificité. Par ailleurs et surtout nous voudrions une nouvelle fois rappelé que les jeux d’argent sont un fait social et culturel, non une maladie. Scientifiquement il y a danger et imposture intellectuelle à aborder ces jeux à travers la problématique de l’addiction (à fortiori d’une addiction sans substance, concept fortement problématique scientifiquement avec de tels concepts tout peut devenir addiction) Car une fois acceptée comme entité morbide individualisée, les jeux de hasard sont analysés comme des formes plus ou moins graves de pathologie. Pour instruire ce dossier ancien mais toujours d’actualité nous reproduisons ci dessous un entretien accordé à France Soir en 2011mais qui reste, sur le fond, toujours d’actualité. Pour ne pas réécrire l’histoire et pour faire vite nous n’avons pas voulu pour l’instant actualisé cet article. Mais il apparaît urgent de reprendre la plume au regard des méthodes utilisées par la doxa du jeu pathologie maladie, par exemple dans l’étude Arjel Observatoire des jeux (ODJ) lancé en décembre 2015 ou la surdétermination du questionnement est tellement grossière qu’elle est dénoncée (et même instrumentalisée par les joueurs eux mêmes !) (1) ou pour une étude plus ancienne de l’ODJ sur TRJ et addiction dont certaines conclusions relèvent de l’imposture scientifique pure et simple. Visiblement les résultats de l’étude ne concordait pas à la surdétermination du questionnement décidé sciemment par les auteurs d’ou cette surprenante conclusion publiée sur le site de Bercy s’il vous plait (2)
JP Martignoni-hutin. Février 2016
- Observatoire des Jeux : une nouvelle étude en cours sur les jeux en ligne » (clubpoker.com, 16 décembre 2015)
- L’ODJ multiplie depuis deux ans des publications (scientifiques ?) loin d’être neutres : « Poker en ligne et addiction », «Taux de retour aux joueurs (TRJ) et addiction » etc... certaines (sur Poker et addiction) ont même entrainé du temps de JF Vilotte un communiqué immédiat de l’ARJEL. Voilà par exemple comment JM Costes (membre de l’ODJ et ancien directeur de l’Observatoire des drogues) résumait sur le site de l’ODJ (hébergé par Bercy) l’étude « TRJ et addiction »: « la littérature scientifique n’apporte pas de preuves définitives sur le lien existant entre TRJ élevé et addiction, non parce que ce lien est inexistant mais parce que sa mise en évidence est très difficile, voire impossible à démontrer sur le plan méthodologique. L’argument de l’absence de démonstration scientifique formelle ne permet pas néanmoins de remettre en cause la possible existence de ce lien. » !! (in« Taux de retour au joueur, addiction et blanchiment », Observatoire des jeux (ODJ), mai 2012.) Face à ce tels propos, publiés sur le site du Ministère de l’Economie, une seule conclusion s’impose : REDUCTIO AD ABSURDUM**
*Expression latine à propos d’une personne qui conduit un raisonnement jusqu’à ses plus extrêmes conséquences, y compris absurdes et contradictoires, en allant jusqu’à démontrer la fausseté, voire la ridicule inconsistance, des hypothèses sur lesquelles il repose.
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LE JEU N’EST PAS UNE MALADIE : jeu pathologique, compulsif, addictif...attention aux idées reçues
Jean-Pierre Martignon-Hutin, sociologue.
1 : Au niveau de la pathologie du jeu les sites de paris en ligne sont-ils dangereux?
Pas plus que les autres jeux d’argent. Après la roulette, les machines à sous... les jeux en ligne sont présentés comme les nouveaux démons de l’enfer du jeu, par la doxa du jeu pathologie maladie. En réalité le jeu et son support sont neutres. Sans joueur, pas de jeu. C’est le joueur qui donne sens au jeu comme l’a démontré le philosophe Jacques Henriot. Les pratiques ludiques excessives ne viennent donc pas du jeu lui- même ou de son support mais de la biographie, de l’histoire du joueur et de nombreux autres éléments (socialisation ludique primaire, rapport à l’argent, croyances, culture ludique familiale, groupale...). Par contre le jeu peut mettre en lumière, voire exacerber des problèmes personnels, financiers ou conjugaux. Le jeu donne à voir sur notre société mais il serait illusoire et réducteur d’avoir la prétention de traiter les problèmes sociaux en médicalisant le jeu et les pratiques ludiques de nos contemporains. Par ailleurs en assimilant le jeu à une pathologie on déresponsabilise les joueurs. (C’est pas ma faute, je suis malade du jeu) tout en dédouanant pour partie les opérateurs, responsables mais pas coupables.
2. Vous refusez de parler de joueur pathologique...
Epistémologiquement le terme jeu problématique est plus neutre et évite d’associer ipso facto le jeu à une maladie sans pour autant nier le « problème ». Lors de l’expertise Inserm j’ai beaucoup bataillé contre la doxa du jeu pathologie maladie qui refuse de réinterroger son dogme scientiste, jeu = drogue = addiction. Je conteste la doxa du jeu pathologie maladie en conflit d’intérêts dans cette affaire. Les études sur le jeu excessif souvent contradictoires - ce qu’oublie de préciser la doxa - prétendent qu'il y « aurait » entre 1 et 3% de joueurs addicts. Comme par hasard – on ne trouve que ce que l’on cherche - l’Observatoire des drogues tombe dans cette fourchette, mais à nouveau comme par hasard dans le bas de cette fourchette (1,3%) pour ne pas trop gêner le principal opérateur national la FDJ. Drôle de fourchette en réalité qui varie du simple au triple et permet toutes les manipulations. Sommes-nous ici dans la rigueur scientifique ou dans le lobbying ? Plus globalement dans notre société du care ( soin mutuel), certains médicalisent – dans ce domaine comme dans d’autres - les pratiques sociales et culturelles de nos contemporains pour donner bonne conscience aux autorités politiques mais aussi pour faire de l’argent. C’est le business du jeu compulsif, publique et privé. Cette collusion d’intérêts est scandaleuse.
C’est l’ensemble des causes et conséquences ( positives et négatives) du gambling qu’il faut étudier sans a-priori et c’est à l’Observatoire des jeux de faire ce travail non à l’Observatoire des drogues qui de par la nature de sa mission va avoir tendance à voir de l’addiction partout. L ‘OFDT est un organisme indispensable vu le fléau que représente la drogue. Il devrait même accroitre sa mission qui est de lutter contre la toxicomanie et non de proposer des salles de shoot comme l’a fa fait Jean Michel Costes (l’ex directeur de l’OFDT) avant d’être remercié. Mais l’observatoire des drogues n’a pas vocation me semble t il à traiter de l’ensemble des passions et pratiques culturelles des français, même quand elle sont jugées excessives. Confier l’étude du jeu à un observatoire des drogues, faut quand même avoir l’esprit tordu. Bonjour la symbolique pour le secteur concerné et pour l’Etat. Après l’Etat Croupier l’Etat dealer ?
Par ailleurs rappelons car c’est pas anodin que plusieurs millions d’euros ont été soudainement versés au centre de Nantes par la Française des jeux en pleine expertise Inserm, qu’une légion d’honneur a été accrochée par Eric Woerth (alors en charge du projet de loi sur les jeux en ligne) à Marmottan au bon moment. L’étude de l’Observatoire des drogues qui vient de sortir après des mois d’attente a elle aussi été décidée dans des circonstances et temporalités curieuses et s’inscrit dans un lobbying opportuniste parisien qui pose question. Elle pose en outre de sérieux problèmes épistémologiques et méthodologiques sur lesquels nous reviendrons prochainement dans une autre contribution. Même JF Lamour dans son dernier rapport a reconnu les lacunes et limites de cette étude de 8 pages, avant même sa publication. Tout cela n’est pas très net. La politique des jeux de la France, le secteur économique concerné, l’intérêt général, les joueurs et la recherche sur le jeu, méritent de notre point de vue un autre traitement.
3. L'approche médicale pour parler du jeu et de son environnement ne convient donc pas?
Non, il faut une approche socio-anthropologique, économique, historique...du gambling. Une approche pluridisciplinaire du jeu : passion humaine ancestrale, fait social et culturel. Il y a danger à aborder ces jeux à travers la problématique de l’addiction. Car une fois acceptée comme entité morbide individualisée, les jeux de hasard sont analysés comme des formes plus ou moins graves de pathologie. Par ailleurs historiquement il faut savoir que le jeu pathologique est un construit social qui vient, pour la période contemporaine, du lobby des psychiatres américains et de certaines associations anti jeu
4. Vous ne pouvez pas contester qu'il y ait des personnes chez qui le jeu pose problème?
On enfonce des portes ouvertes toute pratique excessive « peut » être dangereuse..... dans le jeu comme ailleurs et effectivement des sujets joueurs jouent beaucoup. Encore faudrait il définir cette excessivité. Il ne suffit pas de demander naïvement à un joueur combien il joue, - comme vient de le faire l’Observatoire des drogues à travers le baromètre santé de la DGS - pour le savoir. Par ailleurs sur le fond : 1/ rien ne prouve que le jeu lui-même soit la cause originelle de cette excessivité. 2/ rien n’indique que l’excessivité soit forcément synonyme de pathologie. Par ailleurs nous contestons avec d’autres chercheurs internationaux, la vision d’un joueur désocialisé, forcément seul devant sa machine à sous ou son ordinateur, pour flamber en ligne dans une posture onanistique. Dans les casinos socialités et sociabilités sont nombreuses, on peut facilement engager la conversation, faire des rencontres. Idem pour les jeux d’argent sur Internet ou de nombreux sites existent autour du poker.
5. Justement avant il fallait se déplacer dans des casinos ou au café pour jouer à des jeux d'argent. Avec Internet, les tentations vont être à portée de main, directement au domicile des joueurs...
Arrêtons à nouveau d’enfoncer des portes ouvertes, permanence et proximité sont les principes même d’Internet. C’est pour ça que ça marche. La légalisation des jeux en ligne va faciliter la vie des joueurs qui ne souhaitent pas ou ne peuvent pas se déplacer. Bien entendu il faut faire de l’information prévention, notamment en direction des mineurs, des jeunes adultes et des personnes vulnérables. Pour les adultes responsables avant de mettre en œuvre des mesures en place par trop liberticides, il faut prendre le temps de faire des études sociologiques sur les nouvelles pratiques ludiques des internautes vs jeux d’argent et la socialisation ludique contemporaine. C’est au Comite Consultatif des jeux (CCJ) et à l’Observatoire des jeux de faire cela de manière sereine sans a priori et non à l’Observatoire des drogues, qui a d’autres chats à fouetter en matière de toxicomanie et qui en outre n’a aucune compétence en matière de gambling. Pas besoin de construire une usine à gaz, comme actuellement, ou la doxa du jeu pathologie maladie et la Française des jeux verrouillent en réalité le dossier pour contrôler entièrement l’information médiatique et scientifique sur le jeu.
6. Les casinos et opérateurs en ligne font-ils assez de prévention?
Il y a déjà pas mal de prévention, notamment dans les casinos en dur, sur les sites et grâce à l’Arjel. Mais est-ce vraiment aux opérateurs de faire de la prévention et surtout de mesurer l'impact de leur activité comme le fait actuellement la Française des jeux en finançant les études du centre de Nantes. Le conflit d'intérêts est grossier. Plus globalement cela vaut aussi pour l'Etat Croupier qui ne pourra pas éternellement exploiter le gambling et établir les règles en matière de responsabilité, de protection et par exemple en ce qui concerne le taux de redistribution(TRJ). Par manque d’études, en l’absence d’observatoire, le TRJ a été dès le départ instrumentalisé par Eric Woerth vis à vis de la problématique de l’addiction et maintenant comme les jeux en ligne marchent moins que prévu, à cause de la crise, les responsables du dossier retournent leur veste et veulent augmenter le TRJ, pour « rendre les jeux en ligne plus attractifs ». Ce n’est pas une politique des jeux cohérente, c’est une politique girouette courtermiste qui favorise instrumentalisation, conflit d’intérêts, lobbying. Il faut développer la recherche sur le jeu en France et ce n’est pas à L’observatoire des drogues de le faire et encore moins à la FDJ via le centre du jeu excessif de Nantes avec la caution scientifique de Marmottan. Ce n’est pas à ceux qui soignent les joueurs, forment des thérapeutes spécialisés, de mesurer le jeu problématique. Ils sont forcément en conflit d’intérêts. Ils n’ont pas du tout intérêt en réalité à ce que le jeu excessif disparaisse, bien au contraire. C’est le principe même de l’usine à gaz
7. Que préconisez-vous alors pour limiter les risques?
Il faut mesurer avant de limiter. Je préconise la création d'une autorité de régulation unique et indépendante (qui intégrerait l’Arjel, le CCJ, l’observatoire, différentes commissions), à l'image de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Il faut éviter les doublons, travailler conjointement sur les jeux en ligne et les jeux en dur. Pour l’aspect recherche/expertise il faut faire fonctionner l’observatoire des jeux au service de cette autorité. Actuellement cela ressemble davantage à une commission, dominée en outre par la doxa du jeu pathologie maladie et certaines associations familiales. Ce n’est pas sérieux. La doxa du jeu pathologie maladie et la FDJ font tout en réalité pour qu’un véritable Observatoire des jeux d’argent scientifique ne soit pas installé, cela bousculerait leurs petits arrangements entre amis et leur business respectif. Souhaitons que la clause de revoyure soit l’occasion de faire évoluer cette situation exécrable et afin de défendre l’intérêt général.
© __JP Martignoni-Hutin, Lyon (France), 182, septembre 2011