Soupçonnés de blanchir des euros par millions autour des tables de jeux, des habitants de Villiers-le-Bel et Sarcelles étaient devenus des VIP du casino d’Enghien. Mis en examen notamment pour blanchiment en bande organisée, ils sont soupçonnés d’avoir lessivé, sur les bords du lac, l’argent non déclaré d’une myriade de sociétés du BTP de la région parisienne.
Le casino n’est pas mis en cause pour complicité par la justice dans ce dossier.
Cette enquête trouve son origine lorsque Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins, le service d’enquête du ministère des Finances, NDLR) repère le manège des suspects et alerte le parquet de Pontoise en janvier 2014. Il faut dire que ces ressortissants pakistanais ne font pas dans la discrétion, jouant des sommes considérables, essentiellement en espèces, autour des tables de jeux d’Enghien. Parfois 40 000 € de jetons sont acquis lors d’un seul passage.
L’enquête a rapidement montré l’extravagance des mises par rapport aux revenus des quatre personnes dont certains assurent vivre du revenu de solidarité active. Elles sont en fait suspectées de récolter les chèques de nombreuses sociétés du BTP, de se procurer du liquide via différents comptes bancaires, de jouer l’argent au casino, avant de restituer les espèces, sans passer évidemment par la case des services fiscaux.
Parmi les quatre personnes mises en examen dans ce dossier, trois sont devenues au fil des mois de véritables piliers du casino d’Enghien et de la roulette anglaise, ne totalisant pas moins de 543 passages en 15 mois. Une assiduité record qui leur a valu d’obtenir des cartes VIP leur permettant de passer plus rapidement les contrôles et de ne pas payer le droit d’entrée de 15 €. Elles sont délivrées par le casino d’Enghien en fonction du potentiel financier du client. Il s’agissait d’une carte Pass noire pour les deux principaux joueurs, un Pass silver pour le troisième. Un cran en dessous.
Un de ces clients assidus avait aussi la baraka. K., 35 ans, de Villiers-le-Bel, qui apparaît comme le patron présumé du trafic, a engagé près de 2,9 M€ au casino au cours de cette période, gagnant au final près de 70 000 €. Il assure être un joueur invétéré misant l’argent prêté par des amis. Ses deux complices présumés, qui ont joué 560 000 € et près de 500 000 €, ont été moins chanceux, perdant 210 0000 € et 140 000 €.
L’enquête relève aussi ce qu’elle considère comme une stratégie, précisant que les deux principaux suspects se sont inscrits au même moment sur le fichier client d’Enghien, prenant la précaution ensuite de se faire interdire de casino fin 2014, « pour faciliter la thèse de joueurs compulsifs ».
Mis en examen et incarcérés au début de l’été dernier, ils ont été remis en liberté sous caution il y a quelques semaines. « Les chiffres avancés sont impressionnants, mais ils ne reflètent pas la réalité des faits », souligne Me Jacky Attias, avocat de l’un des mis en examen. Contacté, le casino d’Enghien n’a pas souhaité s’exprimer.
« Ils me donnaient l’impression d’être des voyous »
C’est en qualité de témoin que le directeur des jeux de tables a été entendu par le service central de courses et jeux de la direction centrale de la police judiciaire. Aucune charge n’étant retenue contre le casino, qui a relevé tous les achats et remises de jetons des suspects.
Le responsable a ainsi eu l’occasion de côtoyer les suspects dans l’établissement d’Enghien lors de leurs très nombreux passages et de pressentir une activité douteuse. « J’ai déjà parlé avec ces hommes à plusieurs reprises. Bien qu’ils soient affables, ils me donnaient l’impression d’être des voyous. Ces gens me semblaient trafiquer quelque chose », confie en audition le responsable selon qui les montants joués par les trois habitués ne correspondent pas à leur statut social. « Ce ne sont pas des chefs d’entreprise ou des hommes d’affaires. Ce sont des gens qui doivent venir au casino pour changer des billets en plus grosses coupures. Ils viennent avec des billets de 10, 20 ou 50 € et veulent repartir avec des billets de 500 €. Cela semble être leur objectif. »
Il reconnaît « un nombre de passage énorme » et décrit des joueurs passant dans l’après-midi, vers 16 heures, n’importe quel jour de la semaine, préférant jouer essentiellement à la roulette anglaise. « Les jeux qui rapportent le plus au niveau des gains ».
(source : leparisien.fr/Frédéric Naizot)