ARJEL :
etude sur les joueurs en ligne (turfistes,
parieurs sportifs, joueurs de poker)
LE
DESSOUS DES CARTES
« etude
sur les joueurs de sites agrées de jeu en ligne en France
réalisée par Jean-Pierre MARTIGNONI, sociologue. Cette
étude reflète les analyses et opinions de l’auteur
et ne saurait être associées à celles de
l’ARJEL »
Jean-Pierre
G. MARTIGNONI-HUTIN
(
sociologue)
-----
Après
plus de 15 mois de réflexion (!) le Président de l’
Autorité de Régulation des Jeux en Ligne (ARJEL) -
Charles Coppolani – a donc finalement interdit que l’étude
« ethnosociologie
des jeux de hasard et d’argent en ligne : poker, paris
hippiques, paris sportifs » ( volet 1 étude quanti,
66 PAGES)
soit publiée sur le site de l’Autorité de
régulation. Sociologue, spécialisé sur des jeux
de hasard et de l’industrie des jeux d’argent (gambling
et e.gambling),
chargé d’étude et salarié à
l’ARJEL depuis décembre 2011 nous avons condamné
cette décision - communiqué de presse du 24 juillet
2015 (1) - que nous considérons peu ou prou comme une censure
qui ne veut pas dire son nom.
Cette
recherche approfondie, basée sur un vaste échantillon
représentatif de la population des joueurs en ligne extrait du
frontal de l’ARJEL (turfistes, parieurs sportifs, joueurs de
poker) , comportait :
un
important volet quantitatif : sondage en ligne auto administré
sur une population de 4145 joueurs
un
axe qualitatif très significatif :185 entretiens de
joueurs réalisés au siège de l’ARJEL à
Paris (en face à face ou par téléphone) qui
représentaient des dizaines d’heures d’enregistrement
L’étude
quanti était reproductible, les chiffres précis. Les
règles de la méthode avaient
été appliquées, le souci méthodologique
et épistémologique constant. Nous avions par exemple
purifié
le
questionnement (questions ouvertes, neutralité du
vocabulaire..) afin ne pas surdéterminer les réponses
d’un sujet sensible et complexe. Toutes les étapes
(échantillon, pré enquête, test, questionnaire,
redressement…) avaient été validées par
nos responsables hiérarchiques, des « pointures »
de l’ARJEL qui ont le sens de l’Etat et des affaires
publiques. Il s’agissait d’offrir des pistes de
réflexion, d’interpréter des statistiques, en
restant au plus près des pratiques ludiques numériques
observées et des représentations. Nous avons
systématiquement utilisé des marqueurs
de précaution (souvent, majoritairement…)
afin de moduler les analyses et éviter la surinterprétation.
Mais
bien évidemment, comme dans tout travail intellectuel, il y
avait un style, une écriture, des couleurs…une
objectalité
pour parler comme feu l’ethnologue Pierre Sansot. Comme l’a
rappelé récemment le sociologue Jean Louis Fabiani, «
les sciences sociales sont des sciences narratives, un article de
sciences sociale n’est pas un article de physique, on produit
des récits »(2) Cette étude contrastait
forcément un peu vis à vis des livraisons habituelles
de l’ARJEL, notamment les
trimestriels,
mais elle était complémentaire. Elle s’inscrivait
sur un autre registre intellectuel et scientifique, qui correspondait
à notre fonction à l’ARJEL comme sociologue.
Le
volet 1 de cette recherche (étude quanti), que l’actuel
Président de l’ARJEL a interdit de mettre en ligne sur
le site de l’autorité de régulation, avait en
outre reçu l’aval pour publication de Jean-François
VILLOTE avant son départ. Ce qui n’est pas la moindre
des choses vu la rigueur de l’ancien Président de
l’ARJEL qui aurait mis son veto si cette publication n’avait
présenté aucun intérêt pour la puissance
publique, les opérateurs, les joueurs et les observateurs du
champ ludique. Cette étude représentait la suite
logique de la recherche exploratoire publiée sur le site de
l’ARJEL (« Sociologie des joueurs en ligne »,
mars 2013, 14 pages) que JF Vilotte présentait de la manière
suivante dans l’avant propos : « Au delà
de la publication trimestrielle par l’ARJEL des éléments
sur le comportement des joueurs il a semblé utile d’engager
une étude plus complète sur la sociologie du jeu en
ligne. L’ARJEL, afin d’assurer une totale transparence du
marché et d’adapter les outils de régulation à
ses évolutions poursuivra ces études sociologiques. (…)
D’ores et déjà (…) les données
recueillies permettent de mieux connaître le marché des
jeux en ligne, les motivations et les comportements des joueuses et
des joueurs. L’Arjel a souhaité que ces informations
puissent être partagées en toute transparence ( ibid
page 2)
Le
volet 2 (étude quali :
ethno-sociologique des joueurs en ligne : poker, paris
hippiques, paris sportifs, 300 pages)
était en cours de rédaction et devait être
publié en 2015. Mais l’enquête n’était
pas terminée et des entretiens complémentaires étaient
programmées, notamment au domicile des joueurs. C. Coppolani
a mis son véto. L’ensemble du processus de recherche a
donc subi un cout d’arrêt fatal à cause de cette
longue réflexion du Président de l’ARJEL
nonobstant le fait que, dès son arrivée Rue Leblanc (le
siège de l’ARJEL à Paris dans le 15°
arrondissement) M. Coppolani a programmé notre licenciement
sans indemnité, après un CDD d’agent public de
l’Etat commencé en 2011 et renouvelé sept fois…
Nous
condamnons vivement l’ensemble de ces décisions et
interdictions, même si cela n’a pas représenté
pour nous – hélas - une totale surprise. Nous avions
annoncé dès janvier 2014 en interne à l’Arjel
et en externe auprès de collègues chercheurs à
Lyon ou à Paris que :
que
nous serions débarqué à cause de l’arrivée
de M. Coppolani
que
’étude ne serait pas publiée car le nouveau
Président de l’ARJEL nommé par le gouvernement
était aussi, dans une belle confusion des genres, Président
de l’Observatoire des jeux (ODJ) dont nous étions –
ironie de l’Histoire - le Président fondateur
que
cet Observatoire était très activiste depuis plusieurs
mois (voir encadré) pour enfoncer le clou en matière
de pathologie du jeu
que
la nomination de M. Coppolani était très politique,
qu’il
y avait un historique lourd en matière de recherche sur le
gambling et d’instrumentalisation de cette recherche (par
exemple l’expertise Inserm)
que
le dossier (politique des jeux, politique en matière de
recherche sur les jeux d’argent) était sensible et que
Bercy semblait désormais vouloir tout contrôler
qu’au
final nous serions « victime » collatérale
de la démission inattendue de JF Vilotte
(*)
L’Observatoire des jeux (ODJ) que nous avons crée avec
deux psychiatres (Marc Valleur et Christian Bucher) et un avocat
Matthieu Vincent, mais dont nous avons été -d’après
le sénateur François Trucy qui a désormais
quitté le Palais du Luxembourg ( ) - exclu par un mystérieux
cabinet, est dominé, depuis son installation, par la doxa
du jeu pathologie maladie. L’ODJ multiplie depuis deux ans des
publications (scientifiques ?) loin d’être neutres :
« Poker
en ligne et addiction », «Taux de retour aux joueurs
(TRJ) et addiction »
etc… Certaines, très « approximatives »,
ont même entrainé un communiqué immédiat
de l’ARJEL. Voilà
par exemple comment JM Costes (membre de l’ODJ et ancien
directeur de l’Observatoire des drogues) résumait sur
le site de l’ODJ (hébergé par Bercy !) l’étude
« TRJ et addiction »: « la
littérature scientifique n’apporte pas de preuves
définitives sur le lien existant entre TRJ élevé
et addiction, non parce que ce lien est inexistant mais parce que sa
mise en évidence est très difficile, voire impossible à
démontrer sur le plan méthodologique. L’argument
de l’absence de démonstration scientifique formelle ne
permet pas néanmoins de remettre en cause la possible
existence de ce lien. » !!
( in« Taux de retour au joueur (TRJ), addiction et blanchiment
», Observatoire des jeux (ODJ), mai 2012.)
Face
à ce tels propos, publiés sur le site de Bercy, une
seule conclusion s’impose : REDUCTIO
AD ABSURDUM*
*
Expression latine à propos d’une personne qui conduit
un raisonnement jusqu’à ses plus extrêmes
conséquences, y compris absurdes et contradictoires, en allant
jusqu’à démontrer la fausseté, voire la
ridicule inconsistance, des hypothèses sur lesquelles il
repose.
Malgré
ce contexte nous avons ensuite ( après consultation en interne
à l’ARJEL et auprès de collègues
universitaires) tout tenté, pendant des mois, pour trouver une
solution positive avec le Président de l’ARJEL, basée
sur le bon sens, le sens de l’intérêt général
et de l’intérêt scientifique. En vain. Mutisme,
indifférence, silence, ostracisme.
Certes,
sociologue spécialisé sur le champ ludique des jeux
d’argent, et ayant écrits de multiples articles sur la
question de la Politique Des Jeux(PDJ) et de la politique en matière
de recherches sur le jeu, nous comprenons les raisons politiques
court terme de ces décisions mais nous les condamnons. Il est
clair que la visite de Christian Eckert à l’Arjel en
avril 2015, l’ouverture du site Evalujeu, constituent le point
d’orgue d’une Politique Des Jeux « dite »
de jeu responsable, qui met systématiquement en avant
l’addiction, le jeu excessif, le jeu pathologique….
Publier sur le site de l’ARJEL une vaste étude
représentative qui remet objectivement en cause cette vision
réductrice du e. gambling, cela aurait fait tâche, cela
aurait suscité le débat.
Car
cette politique de « jeu responsable », engagée
depuis longtemps par l’Etat, Bercy et la FDJ, apparait en
réalité très contradictoire.
Se
situant entre injonction paradoxale, principe de précaution
exacerbée, conflits d’intérêts et
instrumentalisation réciproque (entre l’Etat Croupier,
la doxa du jeu pathologie maladie, le business du jeu compulsif),
cette politique des jeux a déjà été
fortement critiquée aussi bien politiquement, économiquement
que scientifiquement et pas seulement par nous. Aymeric
Brody, dans un article « Pour
une approche du gambling
en termes de jeu »publié
dans la dernière livraison de la revue numérique
Sciences
du jeu
(3,2015, « Questionner les jeux d’argent et de
hasard )
résume bien une partie de ces critiques ( confer note 3)
Cette
politique des jeux d’argent et cette politique en matière
de recherches sur les jeux de hasard ne concerne pas que la France. A
terme la Commission Européenne – pour ne parler que
d’elle - ne sera pas dupe. Elle a financé une recherche
(«
Gambling in Europe »
menée par le Professeur Rebecca Cassidy) dans le cadre du
projet GAMSOC dont les résultats vont dans le sens de ces
critiques. Le
rapport du projet, intitulé «Fair
Game: producing gambling research»,
conclut notamment :« les recherches sur les jeux de
hasard sont souvent limitées dans leurs objectifs et tendent à
se restreindre aux personnes pour qui les jeux d'argent sont devenus
une obsession pathologique. Le financement est souvent proposé
en soutien de recherches sur les personnes pour qui ces jeux sont
devenus (…) une addiction, au lieu de porter sur les
implications sociales et culturelles »
Dans
ce contexte il était stratégiquement pertinent –
outre l’intérêt scientifique et historique - non
pas d’interdire mais au contraire :
de
publier sur le site de l’ARJEL,
le volet quantitatif de cette étude et
ensuite l’important volet qualitatif qui devait « éclairer »
de multiples façons la réalité contemporaine
des jeux d’argent en ligne et l’impact sur le joueur et
la « famille entourage » qui se situe aux
antipodes de la vision réductrice véhiculée par
la doxa du jeu pathologie maladie.
de
nous laisser terminer l’enquête qualitative dans de
bonnes conditions. Mais
là également, contre toute attente le Président
de l’ARJEL a interdit que nous réalisions l’enquête
complémentaire prévue au domicile des joueurs, fruit
d’un long travail d’approche et de mise en confiance
avec les e.gamblers et alors que nous avions les autorisations de la
CNIL. Cette décision a été pour nous
particulièrement consternante, des mois de travail annulés
par la volonté d’un seul homme.
L’ARJEL
( l’Etat, le gouvernement) aurait eu une longueur d’avance
avec cette enquête « à domicile »,
particulièrement pertinente pour des
jeux d’argent digitaux, qui se déroulent souvent à
la maison dans l’univers privé domestique,
dernière terra incognita des sociologues. En outre nous étions
au diapason de la volonté du gouvernement : de mesurer
objectivement l’impact des jeux d’argent en ligne dans la
vie des familles concernés, d’analyser les
recompositions et synergies ludiques suscitées par la
légalisation du ludique numérique depuis 2010 ;
au delà des gesticulations, postures et des impostures
scientifiques, imposées par la doxa du jeu pathologie maladie
et le business du jeu compulsif qui, en réalité, prend
en otage l’Etat Croupier dans cette affaire.
Nous
avons trouvé le veto du Président de l’ARJEL
sur ce registre très curieux, comme ensuite sa demande
insistante, si l’étude quanti était publiée
sur le site ARJEL ( car au début il était d’accord
avec des modifications mineures) qu’elle le soit en précisant :
« étude
réalisée par JP Martignoni avec la collaboration de
l’ARJEL »
alors que nous étions salarié à l’ARJEL
depuis 2011 et que l’étude était le fruit d’un
travail collectif.
Au
final nous ne pouvons que condamner l’ensemble du processus que
M. Coppolani a coordonné très doucement…mais
très surement. Mais pour éviter tout ressentiment, et
bien montrer que nous n’en faisons pas une affaire de
personnes, nous voudrions remercier le Président « actuel » de
l’ARJEL :
d’avoir
prolongé notre contrat de quelques mois pour tenir compte
d’un drame familial intervenu en 2013 (mort
de notre cher fils Jacques en pleine santé à l’âge
de 20 ans)
de
ne pas avoir complètement censuré cette étude,
comme il aurait pu le faire contractuellement, et d’autoriser
sa publication sous certaines conditions ( encadré ci
dessous)
Nous
prenons acte que le Président actuel de l’Arjel (
nous le citons) n’a pas « voulu
interdire »
complètement la publication de l’étude concernée
sous réserve ( nous le citons à nouveau) « que
l’ARJEL n’y soit en aucune manière associée
et à condition que figure en première page la mention :
etude sur les joueurs de sites agrées de jeu en ligne en
France réalisée par Jean-Pierre MARTIGNONI, sociologue.
Cette étude reflète les analyses et opinions de
l’auteur et ne saurait être associées à
celles de l’ARJEL »
Pour
conclure, même si nous avons beaucoup investi à l’ARJEL
depuis 5 ans au détriment de notre carrière
intellectuelle et de notre visibilité ( en tant qu’agent
public de l’Etat nous étions tenus au devoir de
réserve), même si pour la première fois de notre
trajectoire nous avons subi une censure alors que notre patron
c’était L’Etat finalement, nous serons beau
joueur,
à défaut d’être le gagnant de cette
pitoyable affaire. Car d’une certaine manière nous
retrouvons, grâce à « l’actuel »
Président de l’ARJEL – Charles Coppolani - notre
LIBERTE de chercheur, qui, dans une belle ironie, rejoint la première
motivation des joueurs online….
Quand
on demande aux e.gamblers
« pourquoi ils jouent » dans une question
stratégiquement ouverte par soucis épistémologique,
ils répondent en effet majoritairement : facilité,
rapidité, simplicité.. LIBERTE.
Cette phrase résume bien finalement, la modernité
numérique et la philosophie des jeux d’argent digitaux (
poker, paris hippiques, paris sportifs) pratiqués
à la maison dans l’espace privé domestique ou de
manière nomade,
comme la phrase d’Aragon – «
Que le hasard vous serve mais préparez vous à
l’accueillir »,
(titre d’un de nos livres (4) ) synthétisait bien la
logique ludico-existentielle des machines à sous.
C’est
peut être ces mots - et notamment le plus beau d’entre
eux LIBERTE - que, dans ce domaine comme dans de nombreux autres,
ceux
qui croient servir ceux qui nous gouvernent
ne souhaitaient pas lire sur le site officiel de l’ARJEL.
Jean-Pierre
G. MARTIGNONI-HUTIN
©
Lyon le 17 septembre 2015
contact :
Jean-pierre.martignoni@univ-lyon2.fr
NB :
outre les participants au débat sur poker académie (
voir note 1 ci dessous) nous souhaitons remercier les nombreuses
personnes ( hommes politiques, collègues universitaires,
joueurs) qui nous ont apporté leur soutien suite à
notre communiqué de juillet 2015. Nous publions ci dessous un
extrait de ces soutiens envoyés par les joueurs :
Gilles
X : C'est fort dommage de ne pas pouvoir rendre public le
résultat de plusieurs années de travail, d'autant plus
que cette étude avait l'air vraiment intéressante et
poussait beaucoup plus loin la réflexion que la plupart des
QCM que l'on reçoit d'habitude, se cantonnant à savoir
si l'on est addict aux jeux...Pour cela, recevez tout mon soutien
Gérard
X :
« c'est
l'habitude en prenant des fonctions de démolir le travail du
prédécesseur,
je
peux regretter d'avoir consacré du temps pour un dossier
enterré,
par
contre je ne regrette pas mes contacts avec vous, empreints d'une
grande courtoisie, d'une grande connaissance sociale et d'un
grand professionnalisme
merci
de votre implication avec coeur dans cette action »
Bernard
X : « je peux vous dire que je suis choqué
de cette décision de la part du nouveau Président
de l'ARJEL, un travail de longue haleine comme celui que vous meniez
sur le sujet concerné devait être mené à
son terme et rendu public, de multiples enseignements pouvant en
être tirés. Ces personnes qui sont nommés et
qui, par le fait du prince, décide purement et simplement
d'annihiler une telle étude ne sont pas dignes de respect. Il
y a un mépris de votre personne, de votre travail, de votre
expertise; un mépris, également, de toutes les
personnes à qui vous vous adressiez et qui (je suppose) n'ont
jamais rechigné à accepter les entretiens, pensant
servir un sujet de société non négligeable »
Eric
X : « Je ne peux que regretter très vivement
ce revirement de l'ARJEL...Je transmets ce communiqué de
presse à la communauté de "Poker académie"
auquel j'appartiens »
Bruno
X : « Bonjour Monsieur,Je suis tout autant
scandalisé que vous par la situation. Je vous avais parlé
à demi-mots des problèmes que rencontrent les jeux
sociaux en ligne. Ces problèmes, qui engagent la
responsabilité morale, politique et pénale des sites
ainsi que de l'organisme de régulation, sont bien trop graves
pour qu'une étude telle que la vôtre puisse être
publiée. Je ne suis donc finalement pas vraiment surpris de
son interdiction par étouffement. Le contraire aurait été
bien trop dangereux pour les dirigeants de l'Arjel ainsi que pour
tout les hauts fonctionnaires et politiques qui sont mouillés
dans ce montage. Le refus de votre étude pourrait bien
constituer l'élément déclencheur d'un scandale
politico-administratif qui s'étendrait bien au-delà de
nos frontières. Je tiens seulement à vous prévenir
que vous allez vous heurter à des personnes très
puissantes qui ne reculeront devant rien pour vous faire taire.
Thierry :
« Je déplore comme vous cette décision,
j'ai eu plaisir à m'entretenir régulièrement
avec vous »
Michel
X : « Difficile de comprendre les intentions de
l’ARJE »
Bernard
X : « On assiste de plus en plus à ces excès
d'autorité, et à des prises de décision
insuffisamment réfléchies. La compétence des
décideurs n'est manifestement pas analysée comme il se
devrait. Les erreurs de jugement se multiplient de façon
inquiétante, et on en voit hélas les résultats
désastreux, qui s'accumulent dans une indifférence
générale ».
Tangui
X : « quel dommage »
Marc
X : « Je suis aussi désolé que vous »
Olivier
X : « je suis désolé de la tournure
prise pour votre étude qui m'intéressait beaucoup ».
Bernard
X : je suis désole de cette situation. Vous faisiez un
travail important et avec attention. En espérant que cette
étude puisse un jour voir le jour
Samuel
X : « Je retiendrai la courtoisie et le
professionnalisme avec lequel vous avez diligenté cette
mission. Je garde un excellent souvenir de nos relations et
suis certain que ces qualités ne sauraient vous quitter lors
de vos prochaines missions
----------------------------------------------------------
Notes :
(1)
« Le
Président de l’Autorité de régulation des
jeux d’argent - Charles Coppolani - en ligne interdit qu’une
étude sociologique sur les joueurs en ligne soit publiée
sur le site de l’ARJEL »
(24 juillet 2015, 1 page). Ce communiqué de presse a été
envoyé à l’AFP qui très
curieusement n’a pas donné aucune suite.
Il a été publié notamment sur lescasinos.org du
24 juillet 2015 et sur poker-académie avec différentes
réactions de joueurs:
:http://www.poker-academie.com/forum/poker-business/900566-arjel-une-etude-sur-le-poker-et-les-jeux-en-ligne-qui-tombe-a-l-eau.html#
(2)Jean
Louis Fabiani, sociologue EHESS , « la sociologie par les
textes » Sciences humaines n°273 septembre 2015,
28-31)
(3)
Extraits de l’article d’Aymeric
Brody :
Pour
une approche du gambling
en termes de jeu
( in Sciences
du jeu.
3,2015, « Questionner les jeux d’argent et de
hasard »)
[Perspectives
critiques )
( Certains
sociologues) remettent « en cause la « doxa
du jeu pathologique » (Martignoni-Hutin, 2011),
n’hésitant pas à parler d’une
« pathologisation » (Suissa, 2005) pour
rendre compte du discours médical à l’égard
du jeu. Suivant cette perspective critique, il conviendrait
d’analyser la construction sociale du « jeu
pathologique » en réinscrivant l’histoire du
concept dans un processus plus vaste de « médicalisation »
et de contrôle des comportements déviants aux
États-Unis (Conrad & Schneider, 1980 ; Rosecrance,
1985) et à travers le monde (Suissa, 2008).
Ce
faisant, on comprend mieux comment le discours des psychiatres
américains s’est imposé à partir des
années 1980 pour faire du jeu pathologique un problème
médical (Castellani, 2000), avant d’être reconnu
comme un problème sanitaire et social dans les années
1990-2000 (Suissa, 2003, 2006 ; Mangel, 2009). En parlant de
pathologisation ou de médicalisation, il s’agit non
seulement de décrire ce processus qui préside à
la reconnaissance du jeu pathologique comme une maladie ou un
problème de santé publique, mais aussi de souligner
cette tendance générale à penser le jeu –
y compris celui des « joueurs sociaux » –
en termes de pathologie.
Selon
l’INSERM (2008 : 38) qui se réfère
notamment aux travaux de Suissa : « L’usage
même de ce terme – pathologie/maladie – relève
d’une idéologie de la médicalisation, en tant
que modalité de contrôle social dans la gestion des
rapports sociaux de déviance. » Face à
cette idéologie dominante, le sociologue s’efforcera de
déconstruire les catégories d’usage en matière
de gambling
pour redéfinir les termes du débat scientifique.
Tel
est précisément l’enjeu d’un article dans
lequel Jean-Pierre Martignoni-Hutin pose la question suivante :
« Que peut apporter la sociologie dans le débat
sur le jeu compulsif ? » (Martignoni-Hutin, 2005) La
réponse du sociologue se situe à plusieurs niveaux :
une fois le travail de déconstruction engagé sur le
plan épistémologique et conceptuelle, la sociologie
interviendrait dans le débat scientifique pour reformuler le
problème, discuter les études sur le sujet et réaliser
de nouvelles enquêtes.
Dans
un texte plus récent, Martignoni-Hutin (2011) pose finalement
les jalons d’une « sociologie du gambling
contemporain » qui ne soit pas focalisée sur la
dimension pathologique du jeu, considérant « qu’il
y a danger à aborder les jeux d’argent à travers
la problématique de l’addiction, car une fois acceptés
comme entité morbide individualisée, ces jeux sont
analysés comme des formes plus ou moins aiguës de jeu
pathologique. » (Martignoni-Hutin, 2011 : 59).
Si
un Observatoire des jeux (ODJ) a depuis vu le jour en France, force
est de constater que celui-ci s’intéresse davantage aux
conséquences du jeu sur un plan sanitaire (…) qu’à
la « socialisation ludique » des joueurs.
En
France comme ailleurs, le prisme du jeu pathologique continue
d’orienter le regard des chercheurs vers des considérations
psychologiques, médicales ou sanitaires.
Analysant
les titres et les résumés des articles scientifiques
publiés dans le Journal
of Gambling Studies,
Brian Castellani (2000 : 51-52) observe ainsi dans le contexte
anglophone une surreprésentation des travaux renvoyant le jeu
pathologique au « modèle médical ».
Non seulement la psychopathologie du jeu – entendue au sens
large – domine par la place qu’elle occupe dans la
littérature scientifique internationale, mais elle domine
également en imposant ses catégories aux autres
approches disciplinaires du gambling.
Relevons par exemple que, si l’approche sociologique tend à
aborder le jeu pathologique comme un « problème
social » (Suissa, 2013), c’est toujours d’un
problème de jeu dont il est question.
Quelque
part, la sociologie du gambling
que Martignoni-Hutin appelle de ses vœux serait elle-même
victime de la « doxa » dès lors que,
pour entrer dans le débat scientifique, elle doit réinvestir
les thèmes et les termes de la psychopathologie du jeu. Même
s’il cherche à la déconstruire, le sociologue
reconnaîtra implicitement cette frontière entre le
normal et le pathologique dont il sait qu’elle résulte
d’une « construction sociale »
(Martignoni-Hutin, 2005 : 59).
Certes,
il est difficile d’imaginer aujourd’hui une étude
du gambling
qui ne se réfère pas, d’une manière ou
d’une autre, au cadre épistémologique et
conceptuel de la psychopathologie du jeu, mais faut-il pour autant
reprendre les termes du débat sur le jeu compulsif –
surtout quand on sait le poids des mots dans ce type de controverse
disciplinaire ?
S’il
n’est pas question de déclencher une « guerre
des disciplines » (Martignoni-Hutin, 2005 : 57),
doit-on pour autant céder les armes ? Comme
Martignoni-Hutin, nous pensons qu’un travail de déconstruction
est nécessaire, de la même manière qu’il
nous paraît indispensable de reconstruire un cadre
épistémologique et conceptuel qui, dans la mesure du
possible, ne soit pas soumis à une conception
psychopathologique du jeu. (…)
comprendre
(sans juger) ce rapport que le joueur entretient avec son jeu :
l’exemple du hasard
Si
la psychologie cognitivo-comportementale a tendance à
considérer que celui qui cherche à contrôler le
hasard par ses décisions se berce d’illusions et risque
la dépendance (voir Barrault & Varescon, 2012), nous
pensons quant à nous que le joueur a de bonnes raisons de
croire en ses chances – sinon il y a fort à parier
qu’il ne jouerait pas.
Certes,
son comportement à l’intérieur du jeu n’est
peut-être pas conforme à la « morale
mathématique » (Martignoni-Hutin, 2000 : 167)
dont se réclament certains psychologues mais, comme l’observe
finement Martignoni-Hutin à propos des machines à
sous : « Il y a chez le joueur un sens ludique –
véritable sens pratique – adapté aux
vicissitudes du jeu et aux caprices du hasard. »
(Martignoni-Hutin, 2000 : 164).
Pour
comprendre (sans juger) ce rapport que le joueur entretient avec son
jeu, il s’agirait d’appréhender chacune de ses
décisions non comme une « illusion de contrôle »
(Langer, 1975) mais comme une forme d’engagement – y
compris monétaire – dans la pratique du jeu (illusio).
C’est
à cette condition que la pratique des jeux de hasard et
d’argent prendra tout son sens ludique et qu’il
deviendra possible d’éclairer sous un nouveau jour le
comportement du joueur à l’intérieur du jeu.
C’est en tout cas l’objectif de ce troisième
numéro de la revue Sciences
du jeu.
(3,2015, « Questionner les jeux d’argent et de
hasard »)
(4) :
"
Ethnosociologie des machines à sous : que
le hasard vous serve mais préparez-vous à l'accueillir
"
(Paris , L'Harmattan, mai 2000, collection Logiques Sociales, 220 p.)