Big bang sur les tapis verts. Le gouvernement, avec le feu vert du ministère de l’Intérieur, devrait lever l’interdiction des casinos à Paris. Mais le chemin vers un "Las Vegas-sur-Seine" reste semé d’embûches.
Il était prévu pour la fin avril. La Mairie de Paris l'espère la semaine prochaine. Il ne pourrait atterrir sur le bureau du ministre de l'Intérieur que fin mai, début juin… Très attendu, le rapport sur la création d'"une offre légale de jeux d'argent à Paris" du préfet Jean-Pierre Duport préconisera-t-il l'ouverture de casinos dans la capitale? La réponse fait peu de doutes. Positive, elle devrait ouvrir la porte à l'implantation de plusieurs casinos à Paris, une des rares capitales européennes vierge de toute machine à sous et autre roulette depuis la loi de 1920 interdisant "d'exploiter un casino ouvrant des salles de jeux à moins de 100 km de Paris".
"Si la mécanique est lancée, ce sera à la Mairie de Paris de décider…", indique-t-on Place Beauvau. Prudent, le cabinet d'Anne Hidalgo ne souhaite pas faire de commentaires tant que le rapport n'est pas connu. Tout juste consent-on à dire que deux options seraient possibles. La première, synonyme de disparition pure et simple des deux cercles de jeux survivants à l'hécatombe des dernières années, consisterait à lancer une procédure d'appel d'offres de délégation de service publique. La seconde, moins probable, viserait à transformer les cercles existants en "casino club" en les débarrassant du statut obsolète d'association loi 1901…
"Vendre sa morale pour du fric"
Mise à part l'UDI, aucun groupe du Conseil de Paris n'a fait preuve d'un enthousiasme démesuré à l'idée de dérouler le tapis rouge aux tapis verts. Nathalie Kosciusko-Morizet a même accusé l'équipe municipale de vouloir "vendre sa morale pour du fric". Les débats à venir promettent d'être passionnés alors que se dessine la candidature de Paris pour les Jeux olympiques de 2024 et/ou l'Exposition universelle de 2025. La ville tournera-t-elle facilement le dos au jackpot fiscal escompté : les sommes évoquées se situant entre 10 et 30 millions d'euros en cas d'ouverture de casinos?
"Un très grand établissement aurait un impact beaucoup plus fort que plusieurs de taille réduite." Cette confidence d'un haut fonctionnaire du ministère de l'Intérieur laisse à penser qu'on se dirige plutôt vers la création de trois établissements de tailles diverses mais réduites. Pas plus de 10 tables, 150 à 200 machines à sous pour 150 employés, selon un professionnel. L'exemple de Londres est régulièrement cité en référence. Mais, comme le titre Le Journal des Casinos, la bible des professionnels : "autoriser les casinos? Pas si facile."
L'article pointe notamment le fait que Paris n'a jamais demandé le label touristique qui favorise le travail dominical. Les futurs casinos parisiens devront-ils obligatoirement s'installer uniquement dans les sept zones touristiques d'affluence exceptionnelle de la capitale pour pouvoir fonctionner 7 jours sur 7? Enfin, il s'inquiète de l'intérêt probable des géants mondiaux du secteur des jeux (Américains, Chinois…) pour la capitale française et ses dizaines de millions de touristes. Les casinotiers français feront-ils le poids?
"Les casinos actuels se détournent du poker"
"Le postulat de départ du préfet Duport est erroné." Au nom des salariés du secteur, Jean-Christophe Tirat et son syndicat FO se sont invités dans le débat. "On nous dit que la fermeture des cercles a encouragé les parties clandestines et les tripots et qu'il faut pour cette raison proposer une offre de jeux. Mais tous les casinos se détournent du poker, ça ne leur rapporte rien… Au lieu de les asphyxier, il faut au contraire maintenir les cercles en leur permettant de devenir de véritables sociétés." "On y aspire mais personne ne nous écoute", plaide le président du Syndicat des cercles, le Rémois Gérard Gravet, qui n'a obtenu cette année qu'une autorisation de… six mois.
Le délégué syndical Force ouvrière, qui est allé plaider sa cause jusqu'à Matignon, s'inquiète également des conséquences en termes d'emplois. D'abord pour les quelque 700 salariés du casino d'Enghien situé à moins de 20 km de la porte Maillot. Mais aussi pour tous ceux des établissements de Normandie ou de la côte d'Opale qui seront eux aussi impactés en cas d'ouvertures parisiennes… "Si nos clients parisiens peuvent jouer la semaine chez eux, pourquoi viendraient-ils chez nous le week-end?", reconnaît un professionnel. "Il faut arrêter d'ouvrir des casinos n'importe comment en France, insiste Jean-Christophe Tirat. On en est à près de 200. Leur équilibre est précaire." Le "big-bang" que constituerait l'ouverture de casinos à Paris sera-t-il l'occasion d'un débat plus vaste sur la politique d'implantation des casinos en France?
(source : lejdd.fr/Stéphane Joahny (avec Bertrand Gréco))