Hommage à François TRUCY, sénateur de la « République Des Jeux »
par
Jean-Pierre G. MARTIGNONI-HUTIN
Elu pour la première fois en septembre 1986, le sénateur Trucy – auteur de nombreux rapports sur les jeux de hasard et d’argent - a quitté le Palais du Luxembourg fin 2014, après 30 ans de labeur au service de la République. Une vie à défendre l’intérêt général, ce qui ne l’empêchait pas de monter au créneau pour soutenir sa belle région du Var notamment quand elle était inondée, ou alerter le gouvernement sur la crise conjoncturelle et structurelle que connaissent les casinos français (1). Il suffit de consulter la table nominative du Sénat pour constater que François Trucy n’a pas chômé.
Mais la « République Des Jeux » a été bien ingrate avec l’un de ses principaux serviteurs. François Trucy est en effet parti en catimini et il n’y a pas eu grand chose dans la presse papier ou numérique, à part un article sur clubpoker.net (2) J’ai appelé l’attention de Gérard Larcher sur cet oubli(3), qui nous a répondu par le truchement de son chef de Cabinet (4). Alors en attendant, nous voulions rendre un petit hommage très personnel au docteur Trucy qui curieusement ressemblait…. au médecin de famille de notre enfance, pas un cheveu sur le caillou, jamais malade ! Une canne était bien apparue il y deux ans, mais pour disparaître subitement et la dernière fois que nous avons déjeuné avec lui au Sénat en juillet 2014, il courait comme un lapin. Un jeune homme vert qui, à 83 printemps, n’avait pas peur d’une petite mousse et nous avait fait arpenter au pas de charge sa belle ville de Toulon, quand il préparait son premier rapport.
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Alors Cher François c’est la dernière ligne droite ? Pour moi peut être également comme vous le savez… depuis un drame familial personnel et le départ de Jean François Vilotte, premier Président de l’ARJEL. Avec une pointe de nostalgie vous me pardonnerez, je voulais vous rendre un rapide hommage car j’ai une dette envers vous. Non seulement - souvenez-vous - vous avez réajusté ma cravate sur un bateau en partance pour Lausanne, pour un colloque évidemment consacré au jeu excessif organisé par nos amis suisses du CJE(5), mais surtout vous m’avez (un peu) introduit dans un monde que je n’aurais jamais connu sans vous. Et la je parle du très sélect restaurant du Sénat ou j’ai pu m’asseoir par exemple à côté de feu Pierre Mauroy. Plus sérieusement, vous m’avez fait comprendre le sens de l’intérêt général. Vous m’avez montré par votre constance et opiniâtreté, que « ça bossait beaucoup au Sénat » (chose qu’il faudrait mieux faire connaître aux Français à moment ou l’on parle
du train de vie des Sénateurs(6) et ou certains remettent en question un peu vite, l’utilité de la Haute Assemblée. )
Certes pour réaliser vos volumineux rapports vous aviez les moyens de la République à votre disposition et notamment les chargés parlementaires qui vous secondaient. Mais les dizaines d’auditions - que dis-je les centaines -, les difficiles synthèses pour ménager la chèvre et le choux et défendre l’intérêt général, c’est bien vous qui les avez rédigés dans une grande exhaustivité, le sens du détail, de la formule et beaucoup de malice. Vos « complices » Jean Arthuis et Philippe Marini – eux aussi des personnalités politiques remarquables - n’étaient jamais très loin quand vous interveniez dans des commissions, auditions et autres colloques sénatoriaux, organisés à la Maison de la Chimie ou ailleurs sur la « question sensible » des jeux d’argent.
C’est en effet, notamment mais pas seulement, dans le domaine de l’industrie des jeux et du gambling - jeux en dur, en ligne , loteries, casinos, paris hippiques - que vous laisserez une trace indélébile. Vos rapports successifs représentent des sommes incontournables. Ces publications sont à l’honneur de la « République des jeux » et du Sénat. Elles ont permis notamment d’accoucher en 2010 de la « loi sur les jeux en ligne » après de riches débats parlementaires. (Il faut remonter à 1933 et à l’instauration de la Loterie Nationale moderne pour trouver trace de débats d’un tel niveau.)
Alors bien sur je n’étais pas d’accord avec toutes vos analyses. Pour dire vite je pense que vous avez fait la part trop belle à la doxa du jeu pathologie maladie qui cache souvent le business du jeu compulsif. Vous m’avez traité de « sociologue provocateur » au colloque helvète déjà cité, avant même que je ne prenne la parole dans un important symposium. Mais Cher François Trucy vous connaissez la France et vous avez du vous faire provocateur… quand c’était nécessaire. « L’Etat Croupier le Parlement croupion » (7) - sous titre de votre premier opus - fallait oser. Quelques années après il a fallu que vous menaciez de démissionner (8) quand on vous mettait des bâtons dans les roues pour le Comité consultatif des jeux (CCJ) et l’Observatoire des jeux (ODJ) dont j’étais le Président Fondateur et quand nous avons appris que j’en avais été « écarté » par un « mystérieux cabinet » je crois que notre « colère provocatrice était partagée.
Comme le dit la célèbre formule du croupier « Rien ne va plus les jeux sont faits ! » Pas pour vous Sénateur, vous allez certainement écrire « le dessous des cartes de la loi de 2010 » et cela risque d’être instructif et percutant. Plus sereinement vous allez poursuivre une vaste étude généalogique car vous avez des ancêtres célèbres.
Par ailleurs sur le terrain de l’économie et de la sociologie des jeux la partie n’est pas finie malgré les apparences. Le travail d’analyse critique des notes (9) qui posent question d’un point de vue épistémologique et méthodologique sera poursuivi de manière implacable car l’affaire est scandaleuse d’un point de vue scientifique. En outre l’actualité est riche(10), clause de revoyure en 2015 sur les jeux en ligne, projets de casinos à Paris et à Marseille qui font débat (11) en liaison avec le scandale des cercles parisiens que vous avez souvent dénoncé, fiscalité du poker (12), effet boomerang du business du jeu compulsif, privatisation reportée de la FDJ, position de Bruxelles sur ces dossiers franco français….les sujets ne manquent pas pour convoquer des Etats Généraux du gambling en dur ou en ligne, bref pour, je vous cite, « redonner de l’élan à la politique Des Jeux Inch Allah ! » comme vous avez su si bien le faire pendant des années, ou alors nommer comme je l’
ai déjà suggéré un Monsieur Jeu, un Sage. Pourquoi pas un ancien sénateur spécialiste des jeux ?
Pour conclure cet « au revoir» cher François Trucy deux citations latines de circonstances
Dulcis in fundo *
Eris mihi magnus Appolo**
Jean-Pierre G. MARTIGNONI-HUTIN
• Sociologue - Chargé d’étude
• Chercheur associé au Centre Max Weber (CMW)
• Membre suppléant de la Commission National des Sanctions (CNS Paris Bercy)
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(1) « Le sénateur Trucy alerte le premier ministre sur la crise des casinos » ( pokerstratégie.com du 24/6/2014) « La crise des casinos français inquiète le sénateur spécialiste des jeux « ( dépêche AFP du 24/6/2014) « Casinos, le sénateur Trucy tire la sonnette d’alarme « (clubpoker du 24 juin 2014)
(2) « François Trucy : le spécialiste des jeux du Sénat tire sa révérence « (clubpoker.net du 24/10/2014)
(3) Lettre du 27 février 2015 au Président du Sénat
(4) Mail du 6 mars 2015
(5) Centre du jeu excessif de Lausanne dirigé par Olivier Simon
(6) « Le train de vie des sénateurs » (Le Figaro du 28 janvier 2015)
(7) "Les jeux de hasard et d’argent en France : l’État croupier, le Parlement croupion ? "(Commission des finances ; Les rapports du sénat n°223, 2001-2002, 342 pages, février 2002)
(8) « Le sénateur Trucy claque la porte du Comité consultatif des jeux » (clubpoker.net du 10 décembre 2010)
(9) « Les jeux d’argent et de hasard en France en 2014 » ( note de l’ODJ n° 6 avril 2015)
(10) « Loi sur le numérique : Christian Eckert lève le voile sur le volet des paris sportifs » (lequipe.fr du 27/4/2015) « Partage des liquidités à l’échelle européenne : Christian Eckert confirme le projet » (clubpoker.net du 28 avril 2015)
(11) « Le projet de casino à Paris ne plait pas à tout le monde » (Les Echos du 14 avril 2015, p.24)
(12) Cf « Fisc vs joueurs de poker » (Live Poker n°87, mars 2015)
* le meilleur est pour la fin
** Tu seras pour moi le grand Apollon (sentence servant à vanter les mérites de quelqu’un et l’importance de ce qu’il a accompli)