En moins d’un mois, deux cercles de jeux parisiens, l’aviation Club de France le 16 septembre et le cercle Cadet ce mardi, ont été perquisitionnés dans le cadre d’enquêtes judiciaires ouvertes en 2013. Les deux cercles ont été fermés au minimum le temps que l’enquête détermine si des infractions ont été commises. Les cercles de jeu, avec leur statut bien particulier, sont des habitués de la chronique judiciaire, au point qu’un consensus apparaît sur le caractère obsolète des règles qui encadrent leurs activités.
LES PRÉCÉDENTES POLÉMIQUES SUR LES CERCLES DE JEUX
Depuis l’année 2008, treize cercles de jeu ont été fermés par le ministère de l’intérieur. Pour deux d’entre eux, le cercle Concorde et le cercle Wagram, il a été établi que le grand banditisme insulaire avait la mainmise sur leur gestion. Les établissements fonctionnaient à la fois comme des blanchisseuses et comme des tirelires pour le milieu.
La grande quantité de cash en circulation dans l’établissement, ainsi que les règles d’une comptabilité fondée sur le mode déclaratif, ont aiguisé les appétits de plusieurs équipes de malfaiteurs, suscitant des affrontements entre eux. Ce fut le cas pour le Concorde comme pour le Wagram.
Pour ce dernier, un putsch mené par Jean-Luc Germani, beau-frère de feu Richard Casanova, figure du gang bastiais de la Brise de mer, s’est déroulé sous les yeux des policiers en planque. Le procès en appel s’est tenu en début d’année et le délibéré doit être rendu courant octobre.
Il convient ici de citer le rapport visionnaire du sénateur UMP François Trucy sur l’évolution des jeux de hasard et d’argent en France remis en 2006. Le sénateur écrivait ainsi à propos des cercles : « Ils fonctionnent très bien, respectent scrupuleusement la réglementation qui les concerne, et ne posent strictement aucun problème, ni à la commission supérieure des jeux, qui examine leurs demandes de renouvellement, ni à la police des jeux. »
UN STATUT OBSOLÈTE ET FLOU FAVORISANT LES MALVERSATIONS
Directeurs d’établissements, policiers des courses et jeux et administration, tous s’accordent sur au moins une chose : la législation sur les cercles est obsolète.
Selon les textes de 1923 puis de 1947 qui encadrent leur activité, les cercles de jeu sont des associations à but non lucratif. Le cercle de l’aviation a ainsi pour objet « une action philanthropique dont le but est de venir en aide aux veuves et orphelins des aviateurs, aux groupements publics, semi-publics ou privés qui ont pour vocation la recherche médicale et scientifique, l’assistance aux catégories les plus défavorisées ». De fait, une partie des gains doit être reversée à des associations.
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Le cercle Wagram, d’où plusieurs millions d’euros d’espèces s’étaient évaporés dans des enveloppes pour atterrir dans les poches de malfaiteurs, avait, selon les statuts de l’association, pour objet notamment de « promouvoir des activités sociales, littéraires, artistiques et sportives ». Quant au cercle Cadet, perquisitionné ce matin, il a pour objet « la recherche de l’amélioration des rapports humains, notamment par la nécessité d’éliminer toute discrimination permettant la recherche d’une harmonie totale, la possibilité de jeux dans la limite des dispositions légales ».
Par ailleurs, le statut de banquier, joueur régulier, qui apporte les liquidités encaissant les mises des perdants et supportant les gains des gagnants a posé problème à plusieurs reprises, les enquêteurs supposant parfois qu’il s’agissait de faux banquiers agissant pour le compte d’autres personnes qui ne souhaitaient pas apparaître.
DES RAPPORTS COMPLIQUÉS AVEC LA POLICE
Les cercles de jeu ont longtemps constitué une formidable source d’information pour les policiers des renseignements généraux, tant ils ont longtemps été un grand lieu de passage de la voyoucratie.
Jusqu’en 2008, la surveillance de ces établissements était une prérogative des renseignements généraux. C’est l’une des raisons de la relative tranquillité dont ils ont pu jouir jusque-là. Mais des dérives, notamment au sein du service des courses et des jeux, ont conduit à attribuer leur surveillance à la police judiciaire.
Lors de l’affaire du cercle Wagram notamment, le président de l’association, un ancien policier du service des courses et jeux avait dû expliquer au tribunal pourquoi il n’avait rien fait après avoir appris que l’établissement était aux mains du gang bastiais de la rise de mer. En mars 2013, le patron du service des courses et jeux était débarqué par le ministre de l’intérieur, Manuel Valls après qu’une certaine connivence de son service avec des voyous notoires eut été établie.
Plus récemment, mardi 14 octobre, rapporte Le Point, un ancien commissaire divisionnaire a été placé en garde à vue après les interpellations menées au cercle Cadet.
L’AVENIR DES CERCLES
Après les fermetures, pour l’instant temporaires, de l’aviation Club de France et du cercle Cadet, il ne reste désormais plus que trois établissements de ce type encore en activité. Les cercles Clichy et Anglais, à Paris, et le Multicolore, à Reims. De son côté, le ministère de l’intérieur, qui est le seul à pouvoir accorder l’agrément aux cercles de jeu, a décidé de réformer leur statut, qui n’a pas été modifié depuis un décret datant du 5 mai 1947.
Un projet de décret est à l’examen au Conseil d’Etat. Il devrait être appliqué avant la fin de l’année. L’objectif est simple : mieux contrôler la provenance des fonds et réduire les risques de blanchiment.
Concrètement, il est envisagé de renforcer les contrôles à tous les niveaux du processus de jeu en calquant les nouvelles règles sur celles qui régissent les casinos. Les cercles de jeu auront l’obligation d’installer un dispositif de vidéoprotection à l’intérieur.
La cagnotte des jeux (les gains du cercle) devra être systématiquement calculée par une machine. Jusqu’ici, celle-ci ne reposait que sur un système déclaratif, laissant toute liberté à l’élaboration d’une fausse comptabilité. Tous les comptes devront ensuite être certifiés par des experts-comptables à chaque demande de renouvellement de l’autorisation d’exercer.
Par ailleurs, serait requise la présence sur place du directeur des jeux ou de son principal collaborateur. Un moyen d’éviter par exemple le maintien d’un dirigeant fantoche installé par des équipes liées au crime organisé.
Enfin, il est prévu d’aligner les modalités d’agrément du personnel des cercles sur celles des employés de casino. Jusqu’ici, il était courant de voir les salariés payés en espèces, avec autant de risques que ces revenus échappent au fisc. En revanche, il n’est pas prévu pour l’instant de modifier le statut d’association loi 1901 dont bénéficient les cercles de jeu.
(source : lemonde.fr/Simon Piel)