Tandis qu'un mouvement, encore marginal, voit le jour contre Pékin, les employés des géants du jeu veulent leur part des profits réalisés par les casinos et réclament des augmentations de salaires.
Rien ne va plus! Dans l'enfer du jeu de Macao, les croupiers exigent leur part du gâteau. Lundi, des employés des plus grands groupes de casinos du monde sont descendus dans la rue pour exiger une augmentation de salaire de 10 %. Sur la chaussée de Cotai, cette langue de terre gagnée sur les eaux où s'alignent les façades kitsch des établissements les plus fameux de la planète, leur cortège a fait désordre. Pour la septième fois de l'année, les syndicats ont brisé pour quelques minutes le rêve en carton-pâte façonné par les géants du secteur tels l'américain Sands.
La manifestation devait finir sa course devant le bureau de Fernando Chui, le chef exécutif de cette région autonome rétrocédée à la Chine en 1999. Les syndicats réclament également une loi limitant le nombre de recrues étrangères ainsi qu'une législation antitabac plus stricte pour rendre les immenses salles de jeu plus respirables. Rattrapée par la contestation sociale, la légende sulfureuse de l'ancienne colonie portugaise vacille. Il semble loin le temps où cette petite île synonyme de toutes les débauches était sous la coupe réglée du seul tycoon Stanley Ho, avec l'appui musclé de chefs de triades aux noms légendaires, tel «Dent cassée».
La roulette, enjeu politique
Depuis le retour dans le giron de la mère patrie, Pékin a fait place nette et industrialisé le secteur du jeu, ouvrant la porte aux géants américains. En une décennie, les profits ont explosé, et le vieux casino Lisboa fait figure de lilliputien face aux mastodontes tel le Venitian, offrant un grand canal traversé par des gondoles. Macao s'est américanisée pour mieux éclipser Las Vegas, en empochant des profits sept fois plus importants que sa rivale du Nevada, en 2012. Surfant sur le décollage économique chinois, la nouvelle capitale planétaire du jeu a vu ses profits progresser de 18,2 % l'an dernier, attirant 29 millions de visiteurs!
Une manne dont les employés veulent à leur tour voir la couleur, alors que l'afflux d'investissements a conduit à une inflation spectaculaire des prix sur le microscopique territoire. «Un mouvement de contestation populaire surgit du fait de l'aggravation des inégalités sociales et de la collusion entre les autorités et les grands groupes», analyse Joseph Cheng, professeur à l'université de Hongkong. Car la roulette est un enjeu politique, alors que le secteur du jeu représente 87 % du PIB! Les classes moyennes de ce confetti de 550.000 habitants craignent le déclassement en dépit des nombreux investissements publics financés par la juteuse rente des casinos. Un mouvement encore marginal, qui rejoint le timide front anti-Pékin qui vient de lancer un référendum en faveur du suffrage universel. «Même les travailleurs des casinos osent défiler maintenant», se réjouit Scott Chiang, l'un des organisateurs de cette consultation interdite.
Les casinos, eux, font la grimace devant tant d'audace. D'autant que l'âge d'or de Macao touche peut-être à sa fin. Alors que la campagne anticorruption du président Xi Jinping bat son plein en Chine, ciblant les dépenses ostentatoires, les profits des casinos ont chuté de 3,7 % en juillet.
(source : lefigaro.fr/Sébastien Falletti)