Dimanche 11 mai 2014 : L’hôtel-casino Barrière à Lille : un luxueux paquebot voguant à travers la nuit
Situé au centre du tentaculaire et ultramoderne quartier Euralille, l’hôtel-casino Barrière, posé sur un pont aux allures de vague, évoque un paquebot. L’ensemble est d’ailleurs conçu de façon à fonctionner en cité des loisirs autosuffisante et perpétuelle. Riche de ses trois restaurants, de ses quatre bars, de sa salle de spectacles, de ses espaces de jeux et, bien entendu, de ses suites cinq étoiles. Bienvenue à bord.
Le sentiment, ne serait-ce qu’une seconde, d’être dans la peau de Quasimodo. Le vertige en plus. À plusieurs dizaines de mètres d’altitude, penché dans le vide, la vue sur le pont des Flandres est imprenable. La carapace translucide protégeant la façade, et donnant la nuit son apparence bleutée à l’hôtel-casino Barrière, filtre la vue. Derrière cet immense écran, piétons et véhicules, là tout en bas, sont des éléments de jeu vidéo. L’immeuble de 44 000 mètres carrés (dont la moitié accessible au public) cingle à travers le paysage urbain tel un vaisseau. La proue pointée (un défi ?) vers la Belgique. « Notre clientèle rajeunit, explique Patricia Legros, directrice de l’établissement ouvert en 2010. Elle est de plus en plus décomplexée et réclame de l’innovation en permanence. »
Pyramide de gâteaux
Le complexe Barrière, ce sont déjà cinq cuisines, sans compter des offices (des mini-kitchens). L’intendance d’un lieu ayant servi 220 000 couverts en 2013 doit savoir suivre. « Nous avons le statut de maître-restaurateur, souligne Yannick Joguet, une directrice de la restauration à la tête d’une armée de serveurs, barmen, cuisiniers et autres maîtres d’hôtel. Nous parions essentiellement sur les produits frais. » Le ventre lillois de Barrière est une caserne planquée en coulisses, dont les arsenaux sont d’immenses chambres froides gavées aux viandes, poissons et autres légumes. « Ici, on mange 24 heures sur 24, résume Yannick Joguet. Du croque-monsieur à 4 € au menu dégustation à 90 €. » Il faut nourrir sur le pouce ou le gourmet exigeant du palace cinq étoiles. Un peu plus haut, Adrien Jean et son équipe ne lèvent pas la tête. Le restaurant La Terrasse du Parc accueille en général 300 convives par jour, dont 60 % pour son buffet. Quelques portes battantes plus loin, une autre fierté du lieu : son atelier à pâtisseries. Ici, tartelettes aux fraises, choux à la crème et autres délices au chocolat sont créés ex-nihilo. Autour de Florian Declercq, au fil de la matinée, une pyramide multicolore de gâteaux s’élève, cernant progressivement le sous-chef pâtissier. Le seul buffet gobera quarante-deux tartes par jour.
Cocktail en chemin
Il existe des usines à gaz qui méritent le détour. Le système Harton en est. Chez Barrière, les bars aussi sont légion. Presque un sur chaque pont. « Il serait impossible de stocker et bien sûr d’évacuer des canettes vus les volumes consommés, met en garde la directrice de la restauration. La solution est en sous-sol. » Les fûts de bière, tout comme les sirops et boissons pétillantes, sont remisés à des dizaines (voire des centaines) de mètres des becs d’où ils couleront face au consommateur. Quant un ajout d’eau est nécessaire, le cocktail se réalisera en chemin, grâce à une interconnexion des fluides. Pour ce qui est des bouteilles d’alcools « forts » (whiskys, etc.), une puce électronique noyée dans le bouchon permet le dosage exact. Tout aussi modulable, la salle de spectacles. Quand le public vient applaudir Michèle Laroque et Pierre Palmade, les sièges s’écoulent jusque sous l’œil des comédiens. En mode « cabaret » pour le dîner-spectacle du vendredi soir (en ce moment, Icônes) ou « mariage », les sièges et la scène reculent, s’escamotent. Au moment où la salle s’est ouverte, l’Orchestre national de Lille était sans locaux, mis à la porte de la salle du Nouveau siècle par les travaux de réfection. L’ONL a trouvé asile chez Barrière. « Jean-Claude Casadessus est venu tester la salle, sourit Martial Fritz, le chargé de communication du complexe. Une consécration. »
La nouvelle frontière des machines à sous
L’appareil a le ventre bien ouvert. Et ils sont trois à son chevet. De guerre lasse, il faudra cependant battre en retraite. « Nous ne nous mêlons pas de sa configuration, commente Serge Mazzuca, membre du comité de direction du casino chargé des machines à sous. Là, seule une entreprise agréée par le ministère de l’Intérieur peut intervenir. » L’engin restera donc « en rideau ». Avec 310 machines à sous, le casino lillois est bien équipé. Les installations sont de plus en plus sophistiquées. « Il s’agit ni plus ni moins que d’ordinateurs, précise Mazzuca. Et nous n’avons pas accès à leurs cartes mères. » Tous les premiers du mois, l’intégralité du parc est contrôlé. Jeudi, le périmètre des machines à sous a fonctionné de 10 h à 4 h du matin. Pierre et Nathan, le binôme de la maintenance, est arrivé à 6 h.
À l’image des parcs d’attractions, les salles de machines à sous sont divisées en sections à thème. Dans le recoin cinéma, le requin des Dents de la mer côtoie la Momie, laquelle partage un coin de moquette avec Iron Man. En face, Spiderman multiplie les clins d’œil. Le sentiment d’avoir pris place dans une salle d’arcades. Celles où, ados, on se disputait la place devant le flipper. « Il y a un lien, c’est vrai, reconnaît Martial Fritz, le chargé de communication du complexe. Un fabricant de billards électroniques mythiques comme Bally donne, aujourd’hui, dans la machine à sous. »
Les jeux de table traditionnels (poker, roulette anglaise) ont leur version automatique. Un black jack électronique est en phase de test dans un autre casino. Test ? Dans une salle un peu à l’écart, douillette et discrète, une corbeille copie conforme d’une capsule spatiale. En contrebas, des tables style boudoir ornées de gobelets eux-mêmes garnis de stylos, des chaises rappelant le thé dansant. Le bingo (loto) est en phase de test chez Barrière à Lille. Son évolution sera scrutée par Serge Mazzuca et ses équipes. Dans son bureau, le membre du comité de direction passe une bonne partie de son temps le nez plongé dans les registres. Comme celui des orphelins, où doit être consignée chaque somme même minime (en espèces ou en tickets) trouvée au sol ou sur les tables par les membres du personnel.
Jeux de table : une salle qui ne dort jamais
Les escalators s’ébranlent à l’heure où d’autres, dans les tours toutes proches, s’apprêtent à achever leur journée de travail. Les dimanches et jours fériés, les tables de roulette et les distributeurs de cartes de black jack fonctionnent de 16 h à 4 h du matin. « Dès l’ouverture, le croupier compte ses jetons, accueille David Dupas, le directeur de cet espace. Par exemple, pour le black jack, il y en a pour 15 000 €. » Le climat est feutré. Les clients se gardent bien d’élever le ton. Ils arrivent progressivement. Souvent à deux. Jaugent cette étrange arène où les croupiers font tourner le cylindre de la roulette anglaise et lancent la bille sans relâche. Annonçant le résultat à un public parfois invisible. « C’est la règle, sourit Dupas. Le jeu ne s’arrête pas. »
Un binôme de jeunes gens (allure sportive et néerlandais appuyé) calcule rapidement la trajectoire de la bille. Le plus grand dépose coup sur coup des petites piles de jetons jaunes. Perdu. Perdu. Perdu. Les mises sont balayées par le croupier, déversées dans une alvéole à fleur de table. Quelques centimètres plus bas, une trieuse automatique digère les jetons et les empile automatiquement. Trois minutes plus tard, ils sont de retour dans le jeu. Sur le tapis vert du poker, posées sur le velours du black jack, les cartes. Celles-ci sont battues, rebattues. Comptées, vérifiées. Rien à voir avec les jeux classiques du commerce, elles sont imprimées par un professionnel agréé. Et la circulation (jusqu’à leur destruction) de ces paquets est surveillée par une brigade spéciale de la police judiciaire. « Pour les clients soupçonneux, nous avons la faculté de passer les cartes aux rayons ultra-violets, précise David Dupas. Ils pourront ainsi s’assurer qu’elles ne sont pas marquées. » Toujours pour des questions de sécurité, des micros sont disposés sur les tables. Et des caméras enregistrent les parties. Leurs servants pouvant même zoomer sur des visages en cas de doute. Les billes de la roulette, elles, sont testées pour prouver qu’elles ne sont pas aimantées.