En Moselle, le maire bataille depuis dix ans pour mettre la main sur le fleuron du groupe Tranchant... et sur ses recettes.
D'un côté, Jean Kiffer, maire d'Amnéville, en Moselle. De l'autre, Georges Tranchant, PDG du groupe du même nom, qui possède 18 casinos en France. Dont celui d'Amnéville, le fleuron du groupe. Entre les deux hommes, rien ne va plus. Ce n'est pas nouveau. «Déjà dix ans que Tranchant m'emmerde», s'étrangle le maire. Alors, pour résoudre son problème, Jean Kiffer a eu une idée : résilier la concession accordée en 1988 au groupe Tranchant et créer une régie municipale pour prendre les commandes et encaisser les recettes du casino (lire ci-dessous). Si l'affaire aboutit, ce serait du jamais-vu.
Envenimé. Accusations et noms d'oiseau fusent de toutes parts. Comme les procès, les deux parties ayant pris l'habitude de porter leurs querelles devant les tribunaux. «Au total, 27 procédures, peut-être même 30 ! C'est trois mètres cubes de dossiers !» calcule Georges Tranchant. Les derniers développements ? Mardi, quelques-uns des recours engagés par le groupe Tranchant et la préfecture de Moselle contre les décisions du conseil municipal d'Amnéville ont été examinés par le tribunal administratif de Strasbourg. L'affaire est tellement complexe que la greffière s'y est perdue. Les jugements seront rendus le 23 mars. Pour se faire une idée de cette interminable bataille juridique, le mieux est de consulter les sites où les deux hommes exposent leurs points de vue (1). Sinon, l'essentiel est de savoir que tout a commencé en 1993-1994 à cause d'un hôtel connexe au casino : quatre étoiles, quatre étages, restés au stade du gros oeuvre. Kiffer et Tranchant s'en rejettent la responsabilité. 1994, c'est aussi l'année de l'installation des bandits manchots au casino. Les recettes ont grimpé en flèche... A l'époque, Jean Kiffer voulait déjà se débarrasser du groupe Tranchant. La querelle s'est envenimée au point que le casino a dû fermer ses portes pendant quelques mois en 1995.
Jean Kiffer, 68 ans, est un personnage haut en couleur. Il a conquis la mairie en 1965 et ne l'a pas quittée depuis. Il est de droite, «mais indépendant», précise-t-il. Exemple aux législatives 2002 : investiture UMP, soutien du Front national entre les deux tours et défaite sous l'étiquette RPF pour finir. Sur son bureau, une dizaine de répliques d'engins de chantier. «Je n'ai de plaisir dans ma vie que pour les chantiers», confesse-t-il. La boulimie constructive l'a saisi dans les années 70. Pour la satisfaire, il ne s'est pas toujours embarrassé de la légalité. Il a commencé par une piscine et une patinoire olympiques. Puis a obtenu un agrément de station thermale et touristique. Le casino a suivi. Aujourd'hui, l'ancienne cité minière de 9 461 habitants compte, entre autres, 15 000 curistes par an, un golf 18 trous (pour lequel la chambre régionale des comptes a dénombré pas moins de 50 procédures judiciaires), un zoo, une immense salle de concert, une piste de luge posée sur un ancien crassier de mine et bientôt une piste de ski indoor. Le tout est situé sur une colline et génère plus de 1 000 emplois directs. «J'ai créé un empire !» se félicite le docteur Kiffer. Ce n'est pas fini. «Là, explique-t-il en montrant le sommet du crassier, je vais construire un hôtel château fort, genre nid d'aigle. Et je vais terminer l'hôtel de Tranchant. Bientôt, ici, tout sera clinquant. Comme à Las Vegas !»
«Colossal». Pour financer ces projets, le maire compte sur la manne que lui rapporterait une régie municipale assurant la gestion du casino. En 2002-2003, ce dernier s'est classé au 8e rang national, avec un produit brut des jeux (la différence entre mises et gains) de 53,9 millions d'euros. Jean Kiffer estime l'excédent d'exploitation à 15 millions d'euros. Par le seul biais de la redevance sur les jeux, la moitié de cette somme finit déjà dans la caisse municipale. «Mais 15 millions, c'est colossal ! Avec ça, je crée des dizaines d'emplois», rêve le maire. Avant d'en créer, il pourrait bien en supprimer. Le groupe Tranchant est en effet censé vider les lieux le 1er juillet (en vertu de la décision de résiliation de la concession du conseil municipal), avec ou sans régie municipale pour lui succéder. Le casinotier ne l'entend pas ainsi. Il rappelle la fermeture de 1995 et accuse le maire de jouer avec l'emploi des 150 salariés du casino : «Kiffer amuse la galerie avec sa connerie de régie qui ne verra jamais le jour. Son caprice, c'est de faire disparaître Tranchant. Peu importent les conséquences pour les employés.» Le maire rétorque que, s'il devait y avoir des licenciements, ce ne serait «pas de [son] fait». Il assure que «Tranchant, c'est déjà de l'histoire ancienne» et trace des plans. Un : «Je réinvestis tout sur place.» Deux : «Je fais payer un droit d'entrée symbolique pour contrôler qui rentre au casino.» Trois : «J'engage des psychologues pour s'occuper de ceux que le jeu rend malades.» Au final, selon lui, si son projet de régie aboutit, cela signifiera «clarté, transparence et moralisation» dans l'univers des casinos. «Je jette un pavé dans la mare, dit-il, mais il faut tout de même être capable de faire des révolutions culturelles dans ce pays !»
1)www.georges-tranchant.com et www.jean-kiffer.com
(ce dernier est fermé pendant
les élections cantonales).
(source : liberatio
n.fr/Thomas CALI
nO
n)