Mondorf-les-Bains ouvrait le seul et unique casino du pays en 1983. Trente ans plus tard, il est devenu une institution,de plus en plus menacée par les jeux en ligne… illégaux.
Propos recueillis par Geneviève Montaigu
Guido Berghmans, directeur du casino depuis janvier 2002, a suivi l'évolution de l'établissement depuis ses débuts. Aujourd'hui, il mise sur la diversification et l'excellence de tous les métiers que compte le casino. Tout en attendant les mesures législatives européennes susceptibles de le débarrasser d'une concurrence aussi effrénée que déloyale.
Le Casino 2000 fête ses 30 ans demain et les temps ne sont pas à la fête. Comment traversez-vous la crise?
Guido Berghmans : Nous disposons des chiffres pour 2012 qui annoncent une régression du chiffre d'affaires pour les casinos en Europe de 32 % en moyenne depuis 2007, ce qui est une catastrophe. Il y a eu la crise bien sûr, mais l'interdiction du tabac a joué aussi sur la fréquentation. Partout, les réglementations pour les casinos ont été renforcées et nous avons assisté à l'apparition massive des jeux sur internet qui sont une concurrence absolument déloyale. Deux associations représentent ces opérateurs de jeux en ligne en Europe qui sont majoritairement illégaux et elles avancent un chiffre d'affaires de 13 milliards d'euros par an. C'est énorme et je crois que personne ne se rend compte que ce chiffre représente le double de ce que l'ensemble des casinos européens réalise en un an.
Les casinos deviennent donc virtuels à l'heure où le gouvernement luxembourgeois songe, encore une fois, à la possibilité de créer un second établissement au Grand-Duché…
Si on avait proposé de tripler le nombre de casinos dans les pays européens je crois que personne n'aurait accepté cela, ni les politiciens, ni la population. Et si, en plus, on avait décidé que les deux tiers de ces établissements ne seraient pas soumis aux taxes ni à aucune réglementation et aucun contrôle, cela aurait été de la folie pure. C'est pourtant ce qui se passe aujourd'hui. Les jeux en ligne n'épargnent pas le Luxembourg.
Mais les luxembourgeois sont-ils de gros consommateurs de jeux en ligne pour autant? Dispose-t-on de chiffres pouvant étayer cette supposition?
J'avais pris une étude belge datant de quelques années dans laquelle on apprenait que les Belges perdaient chaque année des millions avec les jeux sur internet et si on ramenait ce chiffre à la population luxembourgeoise, cela nous donnait une dépense de 10 millions d'euros en un an avec les jeux en ligne, donc des jeux illégaux. Aujourd'hui, si l'on constate que le chiffre réalisé par ces jeux illégaux représente le double des casinos, alors on peut se poser des questions. Les pays d'Europe occidentale sont de grands consommateurs de jeux en ligne et on peut en déduire que les luxembourgeois jouent massivement sur ces sites. Cette somme de 13 milliards d'euros a une réalité. Et ce qui est incroyable, c'est que depuis 2009, nous avons des jugements de la Cour de justice de l'Union européenne qui disent que pour proposer des jeux en ligne il faut disposer d'une licence nationale.
Vous aviez déjà évoqué ce phénomène grandissant des jeux en ligne il y a deux ans et vous semblez regretter que rien ne se soit passé depuis…
Je sais que la Commission européenne travaille activement sur les jeux. Ils ont sorti un rapport qui livre les priorités d'action parmi lesquelles on trouve la collaboration entre les régulateurs mais je ne comprends pas pourquoi l'une de ces priorités n'est pas tout simplement de stopper le jeu illégal, d'autant qu'il est possible de le faire en légiférant comme l'a fait la Belgique qui a trouvé des moyens justes et corrects de stopper ces jeux dans le pays.
Le Lotto est pourtant réglementé en ligne…
Oui, le Lotto luxembourgeois, pas les autres, a une offre internet qui me plaît parce qu'elle est limitée et très légale. Vous ne pouvez pas jouer plus de 250 euros par semaine. Dans le temps c'était 100 euros et certains députés craignaient déjà une dépendance alors que l'on peut jouer pour de si petites sommes partout.
C'est à se demander d'où vient ce manque de volonté de légiférer sur ces jeux illégaux. Avez-vous une idée?
Je crois que les politiciens sont issus d'une génération qui ne se rend pas véritablement compte de ce qui se passe sur internet et une partie de la population ne s'en rend pas compte non plus d'ailleurs. J'ai le sentiment très personnel que Bruxelles veut profiter de ce marché immense et qu'ils ont une approche plutôt anglo-saxonne du sujet, donc très libérale. La Cour de justice de l'UE a souvent déclaré que proposer des jeux de hasard était considéré comme un service. Certes, depuis 2009, elle demande une licence nationale pour opérer. C'est un problème que le Luxembourg ne peut pas résoudre, il faut une approche européenne. Bruxelles a demandé à tous les pays de prévoir l'organisation de leur marché des jeux et la Commission n'est pas opposée à un monopole, sous condition que le traité soit respecté.
Si les luxembourgeois sont tellement joueurs, ne faudrait-il pas songer à ouvrir un second casino puisque l'idée a déjà trotté dans la tête de certains politiciens?
Je sais que le gouvernement réfléchit à cette question. Il y a eu une demande très médiatisée à une époque pour le château d'Urspelt dans le Nord et on sait qu'un opérateur belge était intéressé. Nous ne sommes pas contre si l'on respecte tout ce que l'on a fait ici. On vient d'investir 36 millions d'euros et on continue avec la rénovation du hall d'entrée. On mise sur notre longévité et l'offre que nous développons est appréciable. Nous touchons la population jusqu'à Mersch et il ne faudrait pas que le gouvernement accepte deux casinos dans la même zone car cela n'aurait pas de sens. Ce que l'un gagnera, l'autre le perdra et l' État n'en profitera pas car nous avons un système de taxation par tranche. Si la concurrence est assez éloignée de nous, pourquoi pas. Il ne faut pas oublier que quelques années après l'ouverture du casino de Mondorf-les-Bains, nos voisins d'Amnéville ont ouvert le leur en Moselle et nos voisins allemands ont fait de même deux ans plus tard avec le casino Schloss Berg qui est très proche de nous (NDLR : en Sarre). Ce dernier s'est d'ailleurs implanté pour la clientèle luxembourgeoise et on peut déjà le considérer comme le second casino du pays car j'estime que la majorité de ses recettes viennent des luxembourgeois!
Vous avez beaucoup investi, comme vous l'avez rappelé, et notamment dans la réalisation du Chapito, votre nouvelle salle de spectacle. Un investissement en pleine crise…
Oui, nous nous développons en tant qu'exploitant d'une salle de spectacle et nous avons des idées plein la tête. Nous avons de la chance d'avoir des actionnaires qui ont continué à investir en dépit de la crise et ils sont très généreux, il faut le souligner. Nos actionnaires sont majoritairement allemands mais nous avons aussi des luxembourgeois. Quand nous avons connu ce terrible braquage, ils ont immédiatement pris des nouvelles des employés et certains ont demandé s'ils pouvaient aider d'une manière ou d'une autre. L'actionnaire principal, Werner Wilhelm Wicker, est un entrepreneur à l'ancienne, plein d'idées et plein d'énergie malgré son âge.
Votre politique de développement est-elle payante? Quel chiffre d'affaires réalisez-vous aujourd'hui?
On se maintient entre 45 et 50 millions depuis 5 ans. On reste plutôt stables. Le bénéfice reste à un haut niveau, mais les index tombent et nous donnons des augmentations aux personnels qui s'engagent beaucoup dans le casino, ce qui est une politique salariale très correcte. Mais je le redis, à chaque tranche indiciaire, tous nos fournisseurs augmentent leurs prix pour compenser l'indexation.
Vous souvenez-vous du regard que la population portait sur le projet du casino de Mondorf-les-Bains à l'époque de sa création?
(sourire) Vous savez, encore aujourd'hui, quand je me retrouve à une réception, je perçois une différence quand je parle à des Français ou à des luxembourgeois, ces derniers étant plus distants avec moi. La moitié des gens pensent encore que si l'on touche à une machine à sous on devient dépendant. Mais les luxembourgeois viennent quand même. Il faut dire que la politique que nous avons menée n'allait pas dans le sens d'une exploitation à outrance. Nous faisons rarement de publicité pour les jeux, mais pour notre gastronomie, nos événements culturels. Le but à l'époque était de faire revivre le site de Mondorf-les-Bains. Les nouveaux thermes étaient prévus au même moment. Nous sommes des institutions touristiques et nous travaillons bien ensemble car nous poursuivons un même objectif. Aujourd'hui, l'offre à Mondorf est complète.
On ne peut pas nier qu'une dépendance au jeu existe…
Les Suisses ont fait des études très intéressantes sur la dépendance et elles concluent que si on ferme les casinos, la dépendance restera au même niveau. Je préfère que les gens qui peuvent développer un problème de dépendance viennent chez nous car nous disposons d'un programme qui n'existe pas chez les autres. Nous faisons beaucoup d'observation et si une personne a un comportement qui devient malsain, nous intervenons en discutant avec cette personne. Qui d'autre le fait? Personne. Le casino est dirigé de manière à ce que chaque collaborateur puisse être fier d'y travailler.
La loi antitabac, qui a entraîné une chute de fréquentation des salles partout en Europe, arrive au Luxembourg. Allez-vous continuer à proposer aux joueurs des salles pour les fumeurs?
Nous ne sommes pas contre une interdiction. Sans attendre le vote de la loi, nous allons déjà séparer une partie de la salle avec une grande baie vitrée. Je comprends ce que veulent les employés et les clients non fumeurs, c'est un problème de santé. Mais d'autres produits que nous consommons tous les jours ne sont pas plus sains, qui font aussi l'objet de rapports alarmistes, mais évidemment on ne peut pas tout interdire. Je lis tout sur ce sujet depuis 10 ans et ce qui gêne surtout les gens ce sont les odeurs, je le vois bien quand je lis les commentaires des internautes sur les articles qui traitent du sujet. En ce qui nous concerne, nous sommes préparés.
(source : lequotidien.lu/Geneviève Montaigu)