Nouvel épisode dans la lutte fratricide que se livrent les familles du monde des casinos. Dès lundi, Accor et le groupe lucien Barrière devraient annoncer le rapprochement de leurs activités de casinos – hors Fermière de Cannes – au sein d'une même structure qui sera détenue à 51% par la famille Barrière, 34% par Accor et 15% par le fonds Colony Capital. Par cette opération, le deuxième et le troisième casinotiers français, alliés de longue date, dame désormais le pion à leur rival commun, la famille Partouche. Et reprennent ensemble la place de numéro un, là où en une trentaine d'années, Isidore Partouche, arrivé d'Algérie en 1962, avait réussi à s'arroger 28% de ce très juteux marché.
Cette incursion dans «leur» univers n'avait pas plu à la famille Barrière, propriétaire des casinos de Deauville, Enghien-les-Bains ou Biarritz et dont le fondateur François André –un temps croque-mort– avait fondé au lendemain de la guerre le cercle de jeux Haussman (toujours ouvert), avant de devenir directeur du casino de Deauville.
Avec ses règles, son ambiance et sa réputation parfois sulfureuse, cette industrie particulière, qui a crû de manière exponentielle ces dernières années, a aussi ses rivalités. A priori, tout oppose les Partouche, les Barrière et le groupe Accor qui ensemble contrôlent près de 60% du marché des casinos en France. Si Isidore Partouche a la réputation d'être un fonceur qui n'a pas froid aux yeux, les Barrière-Desseigne ont une image plus policée, liée en outre à la «jet-set» qui fréquente leurs hôtels de luxe. Accor, pour sa part est le groupe international avec ses techniques de management et sa surface financière.
Dans un rapport intitulé «L'Etat croupier, le Parlement croupion», le sénateur UMP du Var, François Trucy, stigmatise «la virulence de la compétition qui oppose les groupes entre eux, et plus particulièrement le groupe Barrière et Partouche». Et de rappeler notamment qu'«il ne faut pas sous-estimer les séquelles des manœuvres de débauchage quand tel ou tel casino voulait d'urgence compléter ses effectifs devant l'expansion des établissements».
Les rivalités entre les trois principaux clans n'ont fait que s'exacerber au cours de ces dernières années, notamment au travers de deux sagas boursières. A l'origine du premier affrontement: le rachat en 1996 par Isidore Partouche des 30,3% que détenait l'ex-Compagnie Générale des Eaux (devenu Vivendi) dans la Société Fermière du casino municipal de Cannes (SFCMC), contrôlée par Barrière.
Celle-ci détient l'hôtel Majestic, l'hôtel Gray d'Albion, le golf de Cannes-Mandelieu et le casino de la Croisette. Cette participation a été ramenée depuis à environ 15% après une augmentation de capital défensive de Barrière. Résultat, selon l'analyse de rivaux, Partouche est aujourd'hui «coincé» dans la SFCMC. Mais l'actionnaire minoritaire est bien turbulent: refus d'approuver les comptes en 1997, menace d'OPA en 1998...
Deuxième épisode emblématique de la guerre engagée entre les trois grands casinotiers: la bataille boursière qui a vu s'affronter Accor et Partouche pour le rachat du groupe Européenne de casinos. Isidore Partouche l'emportera en 2002 mais à un prix jugé surévalué, soit 318 millions d'euros. «Chez Accor, on garde un très mauvais souvenir de cette bagarre boursière», confie un bon connaisseur de ces groupes.
Le nouvel épisode entamé avec le mariage Barrière-Accor renforce la concurrence avec Partouche. «Puisque la Fermière de Cannes est exclue de l'accord, l'écart entre Partouche, qui a réalisé en France 693 millions de produit brut des jeux (PBJ), et ce nouvel ensemble Accor-Barrière n'est que de 20 millions d'euros..., souligne Hubert Benhamou, président du directoire de groupe Partouche, qui attend les chiffres 2004 pour juger. Par ailleurs, des enseignes de taille plus modeste, comme Moliflor et groupe Tranchant, sont en embuscade. La partie risque d'être serrée.
(source : lefigaro.fr/Aude Sérès)