Avec ses 35 casinos et ses dizaines de millions de visiteurs, l'ancienne colonie portugaise a détrôné Las Vegas.
À Macao, la démesure n'a jamais fait peur et semble même être un gage de bon goût, si l'on peut dire. Sur la «Cotai Strip», une bande de terre gagnée sur la mer au nom faisant référence à la Las Vegas Strip, la dernière réalisation du groupe Sands vient d'être inaugurée en avril.Trois tours à la hardiesse architecturale relative, un petit hôtel de charme de 5800 chambres, 20 restaurants et 100 boutiques de luxe. Et, bien sûr, deux casinos supplémentaires, pour une cité qui en compte déjà quelque 35.
Cotai Central est un projet à 4,4 milliards de dollars. La brochure a beau vanter la «fusion entre 500 ans de présence portugaise et 5000 ans d'histoire chinoise», on a du mal à trouver quelques miettes culturelles, même en soulevant les tapis verts. Cotai Strip est la nouvelle terre fertile du jeu à Macao. Les deux grands rivaux de Sands, Wynn et Galaxy, y font aussi pousser de faramineux projets. Si Cotai Central a un thème «himalayen», Sands avait déjà ouvert en 2007 l'incroyable Venetian, où l'on se promène en gondole sous un ciel d'un bleu aussi éternel que douteux, dans une atmosphère de piscine municipale. Autour de 170.000 m2 de surface de casino, alignant 550 tables de jeu et près de 2000 machines, rien ne manque. Ni le palais des Doges, ni la place Saint-Marc.
On cherchera pourtant vainement l'élégance italienne au sein des cohortes de visiteurs chinois du continent, qui déambulent et jouent en baskets, jean et survêtement. Ambiance plutôt Camping que Casino Royale. Mais les gondoliers poussent la chansonnette, qui se perd dans les méandres des boutiques Omega ou Louis Vuitton.
Macao, l'an dernier, pesait quatre fois Las Vegas. Seule terre chinoise où le jeu est autorisé, l'ancienne colonie portugaise repousserait presque la folle ville américaine derrière les frontières du banal. L'an dernier, ce bout de terre aux 460.000 habitants a reçu 28 millions de visiteurs. Après un sérieux coup de mou en 2008 et 2009, la fièvre de l'argent s'est emparée de plus belle de la cité. La croissance s'est affolée, bondissant de 70 % en 2010, et de 42 % encore en 2011. Les casinos ont amassé quelque 33 milliards de dollars l'année dernière, et le pactole devrait monter à 40 milliards cette année.
À l'époque, on prédisait que Macao dépasserait dans les cinq ans les revenus cumulés de Las Vegas et d'Atlantic City. L'essor est d'autant plus fou que le marché du jeu n'a été ouvert qu'en 2001. En 1962, Stanley Ho, le «roi des casinos» , avait obtenu le monopole des tables de jeu, et ce statut avait été renouvelé pour quinze ans en 1986.
Seulement voilà, depuis quelque temps, Macao est de nouveau gagné par le blues. La croissance de l'économie des casinos prend les mauvais vents de l'économie mondiale en pleine face. Elle devrait ralentir, entre 10 % et 15 % ces mois-ci, et l'année 2013 pourrait être encore plus grise. Au contexte financier s'ajoute une plus grande prudence des «gros» joueurs chinois, qui représentaient 70 % des revenus.
Se battre pour son image
Ces «joueurs VIP» ont été sévèrement rappelés à plus de retenue par Pékin, soucieux de lutter contre le luxe tapageur et la corruption. En 2008, les autorités chinoises ont mis des restrictions sur les visas. L'idée était notamment de limiter le nombre d'officiels et d'hommes d'affaires chinois allant dépenser sur les tables de black-jack de l'argent acquis parfois de manière douteuse de l'autre côté de la frontière. «Nos clients viennent pour plus de la moitié de Chine continentale, explique Tiffany Chan, du groupe SJM, qui possède le Grand Lisboa, les deux autres gros contingents venant de Hongkong et de Taïwan.»
Les déboires de la Bourse de Shanghaï et le mauvais temps sur l'immobilier freinent aussi les ardeurs des flambeurs chinois. «Le coup de frein sur l'immobilier en Chine a des répercussions importantes, explique un diplomate étranger basé à Hongkong, car c'est surtout avec ces biens en garantie que l'on prête aux gros joueurs.» L'économie du jeu repose ici à plus de 70 % sur des agents qui font crédit aux joueurs et s'occupent ensuite du recouvrement des dettes en Chine continentale. Il y a environ 200 de ces sociétés dûment enregistrées à Macao, appelées aussi «VIP room operators». Leur intervention permet notamment de contourner la limite des 5000 dollars imposée à la frontière aux visiteurs chinois.
Pour compenser la baisse d'ardeur des VIP, Macao mise sur le tourisme de masse. Li Xianling, venu de la province sudiste du Fujian, fait partie de ces gros bataillons de la nouvelle classe moyenne. «Nous sommes venus avec une trentaine d'amis de mon unité de travail, confie-t-il, je dépenserai peut-être 6000 yuans (670 euros) dans les machines, mais pas plus. Je veux aussi acheter une montre pour ma fille.»
Le maître mot ici, depuis quelques années, c'est la «diversification». «Notre stratégie est celle du “resort intégré”, qui permet de faire de Macao une grande destination mondiale pour le tourisme d'affaires et de loisirs», explique Lily Cheng, cadre du Venetian. Le group Sands tient à préciser que 30 % des clients de ses hôtels à Macao sont «des familles avec enfants ou des hommes d'affaires assistant à des réunions professionnelles, des conventions ou expositions».
La ville héberge le salon asiatique de la coiffure, un salon chinois sur la santé et fort naturellement la grande exposition sur l'industrie du jeu en Asie. On monte aussi ici des «mégaspectacles», comme le plus grand show aquatique au monde, The House of Dancing Water, créé l'an dernier par la compagnie Dragone. Ou encore IceWorld, une version tropicalisée du fameux festival des glaces de Harbin. Après tout, les Américains avaient dû faire assaut de séduisantes «revues», pour attirer dans le désert du Nevada les fans de Frank Sinatra ou d'Elvis Presley.
L'accent est aussi mis sur le commerce du luxe. L'an dernier, les ventes au détail avaient augmenté de 35 %, l'absence de taxes faisant chavirer les portefeuilles. Mais, pour l'heure, les taxes sur les casinos assurent toujours 85 % des revenus de la région administrative spéciale (SAR) de Macao. Malgré cette montée en gamme, Macao doit encore se battre pour son image. La «diversification» des loisirs, cela reste aussi les «filles», à côté des dollars. La prostitution est légale à Macao, sans y être forcément morale. Ces jours-ci, une polémique fait rage aux États-Unis, action en justice à l'appui, entre le patron de Sands, Sheldon Adelson, et l'un de ses anciens bras droit à Macao, Steven Jacobs. Ce dernier, après avoir été remercié, accuse le milliardaire du jeu - par ailleurs grand sponsor du Parti républicain - d'avoir couvert une «stratégie de la prostitution» pour augmenter la fréquentation dans ses établissements.
Le crime organisé, parfois aussi, se risque de nouveau à la lumière. Il y a quelques mois, le principal actionnaire d'Amax Holdings, l'une des grosses sociétés finançant le jeu, a été sauvagement attaqué à coups de marteaux alors qu'il dînait dans un grand hôtel-casino. Un épisode qui rappelle les années où le sang coulait beaucoup entre les tables de jeu et dans les ruelles sombres.
(source : lefigaro.fr/Arnaud de La Grange)