L'avenir du secteur, longtemps dominé par les États-Unis et l'Europe, se joue désormais à macao et singapour.
Ils affichent une insolente santé. Dans une Europe du Sud exsangue, les jeux d'argent profitent du désarroi de la population. En Espagne, la Loterie de Noël, à laquelle plus de 70 % des adultes participent, a battu des records l'an passé avec 3,6 milliards d'euros de billets mis en vente. En Italie, les machines à sous de Bingo Re, à Rome, la plus grande salle de jeux en Europe, ne désemplissent pas. En dix ans, le marché des jeux de hasard a quintuplé dans le pays malgré la récession.
Le secteur ne connaît pas la crise. Ou, en tout cas, il semble en bénéficier allègrement. «C'est un marché anticyclique, qui résiste bien à la crise, explique Philippe Pestanes, associé au sein du cabinet Kurt Salmon. Les jeux d'argent et de hasard représentent une bulle d'espoir pour les gens en situation de doute et de crainte par rapport à l'avenir.»
Sur le Vieux Continent, en proie dans de nombreux pays à un chômage à deux chiffres et une croissance proche de zéro, le marché a progressé de 6 % l'an passé. Aux États-Unis, si Las Vegas peine à se relever de la crise, cela n'empêche pas les revenus des casinos de continuer à progresser (+ 1 % en 2010). Au niveau mondial, dans un marché dont le produit brut des jeux (PBJ) frôle désormais les 300 milliards de dollars, la croissance atteint quasiment 9 %…
Nouvel eldorado
Il faut dire que le centre de gravité s'est déplacé vers l'Asie, qui pourrait dépasser en 2012 l'Europe et les États-Unis. Les joueurs y sont plus dépensiers: la mise d'un Asiatique est six fois supérieure à celle d'un Américain. Ils préfèrent les jeux de table (roulette, black jack, jeux de dés…) aux machines à sous qui représentent moins de 4 % des recettes des casinos. Dans ce nouvel eldorado pour les jeux, macao - qui est le seul endroit en Chine à autoriser les jeux d'argent - reste le principal moteur de croissance du continent avec 35 casinos. L'ancienne colonie portugaise, qui est située à une heure de ferry de Hongkong, attire les riches Chinois des principales villes côtières. «Ils combinent souvent activités de jeux et d'achats, ce qui fait aussi de macao une destination naturelle de shopping de luxe», explique Yannig Gourmelon, consultant à Shanghaï chez Roland Berger.
Avec ses tours géantes, ses pagodes clignotantes et ses piscines suspendues, macao représente à lui seul la somme des revenus de Las Vegas et Atlantic City. Depuis 2006, il a détrôné Las Vegas comme capitale mondiale du jeu. Au moins jusqu'en 2013, la ville est assurée d'une croissance à deux chiffres de son marché, selon Ernst & Young.
Mais singapour, les Philippines et le Vietnam entendent bien, eux aussi, obtenir une part du gâteau. Depuis deux ans, ils se sont lancés dans la construction de complexes luxueux comprenant casinos, hôtels, restaurants, centres de conférences et magasins haut de gamme. À singapour, où les casinotiers bénéficient d'une des plus faibles taxations de la région (12 %, contre 40 % à macao), le malaisien Resorts World Sentosa et l'américain Marina Bay Sands (Las Vegas Sands Corp) sont les premiers méga-complexes à être sortis de terre, attirant une clientèle étrangère composée surtout d'Indonésiens, de Chinois et de Malaisiens. Au Vietnam, le premier verra le jour l'an prochain sous l'égide de MGM Mirage.
Si les casinos conservent leur hégémonie en Asie, les jeux en ligne progressent à grande vitesse, en particulier au Japon (où seuls les paris sportifs et les jeux en ligne sont autorisés) et en Corée du Sud. Là-bas, la croissance est dopée par les jeux sur smartphones (+ 15 % par an).
Homogénéiser les règles
Partout dans le monde, les jeux en ligne - qui permettent de jouer 24 heures sur 24, où que l'on soit - ont révolutionné le secteur. Leurs revenus ont triplé entre 2003 et 2011. Mais ils se sont essoufflés l'an passé. Pour la première fois, leur part de marché a reculé, passant de 9,1 % en 2010 à 8,6 % en 2011. Reste que la mutation vers le numérique engagée au début des années 2000 est bien là. Elle a apporté son lot de nouveaux joueurs, notamment parmi les jeunes. Même si cela reste très compliqué de mesurer le transfert du «réseau physique» vers les jeux en ligne. «La multiplication des tablettes et des smartphones a changé les habitudes de jeu en le facilitant et en accentuant la part de divertissement, explique Christian de Cailleux, président de wincomparator.com, acteur européen du jeu en ligne. On pronostique dorénavant sur un match tout en le faisant savoir à ses fans sur Facebook.» Entre 2003 et 2011, le chiffre d'affaires des jeux sur mobile a ainsi été multiplié par cinq pour atteindre aujourd'hui 10 % des revenus des jeux en ligne.
Mais tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne. Aux États-Unis, l'ouverture du marché des jeux en ligne n'est pas encore à l'ordre du jour, même si certains États à l'image du Nevada les ont légalisés. «L'industrie des jeux en ligne conserve un potentiel de croissance important compte tenu de la diversité des situations en matière de réglementation», déclare Philippe Pestanes.
En Europe, où la France a fait partie des derniers à ouvrir son marché, le chantier de l'harmonisation des jeux en ligne est désormais enclenché sous l'égide de Michel Barnier, commissaire européen chargé du Marché intérieur. Si l'enjeu consiste à homogénéiser les règles, il s'agit aussi de combattre l'illégalité. L'an passé, Bruxelles estimait que 85 % des sites Internet actifs en Europe ne possédaient pas de licence, opérant depuis Malte ou Gibraltar.
(source : lefigaro.fr/Keren Lentschner)