Propos recueillis par Christophe Colinet
Dans “?La Banque a sauté ”, son premier livre, Patrick Partouche compare la crise financière à une partie de poker qui aurait mal tourné. Passionnant.
En décembre dernier, alors que certains comparaient l'économie mondiale à un casino, Patrick Partouche, le patron du groupe éponyme (un des leaders européens avec 6.000 employés, une quarantaine de casinos et 19 hôtels en Europe) avait poussé un coup de gueule dans Libération : « Si seulement l'économie mondiale était gérée aussi sérieusement qu'un casino?! »
C'était en fait l'ébauche d'un livre qu'il vient de publier, La Banque a sauté, où il rassemble les grands acteurs de l'économie mondiale autour d'une table de poker. Une sorte de thriller haletant et drôle, où l'on en apprend autant sur l'âme du casino que sur les rouages d'une haute finance capable de prêter 96 trillions d'euros à des joueurs parfois de très mauvais niveau.
Comment êtes-vous passé de patron de casino à auteur??
« Je n'ai jamais imaginé faire un bouquin. Mais à force d'entendre ces analystes utiliser à tort l'image du casino pour parler de la finance et de la bourse, ça m'a gonflé. Tous les banquiers du monde avaient l'air, curieusement, de mieux connaître mon métier que moi. En réalité, ils ne le connaissent pas. Mais moi, je connais très bien le leur. Alors un jour, c'était un vendredi, j'ai écrit un petit mail à un ami qui travaille dans ce monde de la finance (l'économiste Daniel Cohen). »
Que lui racontiez-vous??
« C'était une blague amicale. Je lui disais comment moi, patron de casino, je le voyais lui et ses copains de la finance, autour d'une partie de poker. Il m'a rappelé le lundi pour me confier que ma vanne l'avait empêché de dormir tout le week-end. Il a reconnu qu'il ne pouvait pas démonter mon argumentation. Ensuite, ce mail est devenu une chronique, que Daniel Cohen a fait publier dans Libération, puis j'ai reçu un appel de l'éditeur (Michel Lafon) qui voyait déjà cette histoire devenir un bouquin. Voilà comment cette vanne est devenue un livre. De patron de casino je suis passé jeune écriveur. »
Qu'est-ce qui vous choque le plus??
« Le salaire quB>'on vous verse chaque mois, existe. C'est de l'argent. Personne ne peut en contester la valeur. Mais une fois que vous l'avez déposé sur votre compte courant, vous avez échangé votre vrai argent contre des jetons qui entrent dans un circuit financier qui vous échappe. En fonction de ce que va faire la banque avec votre argent, vous en aurez un peu plus, un peu moins ou autant. Entre-temps, la banque aura regroupé votre argent dans une masse de jetons et joué avec. »
Ce livre est aussi une façon de défendre votre métier??
« Oui. On a oublié qu'il n'y a rien de plus humain que le jeu. Nous sommes fondamentalement tous joueurs. Le métier d'un patron de casino, c'est de faire en sorte que la partie continue. Et avec des règles beaucoup plus strictes que dans la finance. Si j'ai un caissier qui me vole cinq milliards, on ferme mon établissement et on me met en prison. Nous sommes responsables des turpitudes de tout le monde. Dans une grande banque, quand un salarié perd cinq milliards, ça ne change rien à la vie de son patron. On constate que l'argent manque et puis tout le monde s'embrasse, on va boire un coup et on reprend la partie le lendemain. Donc à moment donné, je me suis dit que si l'économie était gérée comme un casino, ça ne ferait pas de mal. »
Sauf qu'il n'y a pas de patron dans le casino mondial pour assainir la partie de poker financier…
« Effectivement, il n'y en a pas. La finance internationale n'est pas assujettie à un gouvernement mondial susceptible d'interdire un joueur ou de l'exclure comme peut le faire un patron de casino. Mais il n'en reste pas moins que vous avez autour de cette table des gens qui ont tous les moyens pour s'entendre sur le rythme de la partie, sur les participants, sur les montants. En l'absence de patron de casino, c'est aux joueurs de réguler la partie. Tous les joueurs. Comme quand on jouait au Monopoly entre gosses. C'est nous qui faisions la police du jeu?: nous faisions régner entre nous la loi. Les dix qui font l'économie mondiale disposent des moyens de changer les règles de la partie ou au moins de les adapter pour qu'elle redevienne raisonnable. »
« La Banque a sauté?! L'économie casino pour sortir de la crise », aux éditions Michel Lafon. 194 pages. 12?€
en savoir plus
> « Supposons, écrit Partick Partouche, que se déroule dans un coin du casino une importante partie de poker?; elle occupe, depuis toujours, les mêmes joueurs, les plus gros?; fascinante, elle a fait travailler des bataillons d'employés. Sans elle, le casino fermerait. »
> « Pourtant, poursuit-il, cette partie va s'arrêter dans les prochains jours, faute de jetons. Pourquoi?? Tous les jetons du casino sont en circulation sur cette table. Au début, les joueurs mettaient leur argent dans la caisse à chaque "?recave?" (possibilité d'acheter des jetons pour revenir à la table de jeux), puis ils ont pris l'habitude de recaver sans limite de montant et à crédit, et ce depuis si longtemps que l'on ne peut plus indiquer, avec précision, à quelle date la partie a dérapé. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y a plus de jetons, ni aux autres tables, ni en caisse centrale, et la contrepartie jeton-cash a explosé?: plus personne ne peut se faire payer. Dès lors, tous les joueurs sont dans l'incapacité de se recaver pour se "?refaire?", et ceux qui ont des jetons ne peuvent même plus se les faire rembourser?! »
> Patrick Partouche a une solution?: « Alors, pourquoi ne pas pratiquer, dès aujourd'hui, un immense abandon de créances planétaire, des dettes publiques et privées, dettes des États, mais aussi des ménages?? Les esprits chagrins me diront que c'est un cadeau aux mauvais payeurs?! Non?! Cela s'appelle un remerciement aux services rendus à la société de consommation, le juste retour dû au client, de bonne foi, lui qui n'a pas cessé de consommer et d'investir, pour sa santé, sa compétitivité, ses voyages, sa sécurité… »
(source : lanouvellerepublique.fr/Christophe Colinet)