Mercredi 7 mars 2012 : Tobin or not Tobin ? : Gambling !
France : jeux de hasard et d’argent , impôt volontaire, lutte contre la pauvreté et le sous développement, taxe Tobin…
TOBIN OR NOT TOBIN ? : GAMBLING !
Pour une loterie mondiale caritative à 1 milliard d’euros (Première Partie)
1 milliard d’euros, ou son équivalent en dollar, yuan, yen, roupie, rouble, real, krona…(1) tel pourrait être le pactole d’une loterie mondiale destinée à éradiquer la pauvreté. Assurément cela attirera des centaines de millions de joueurs, voire beaucoup plus. Alors qu’on reparle de la Taxe Tobin - un impôt obligatoire négatif - l’installation d’une loterie mondiale caritative - un impôt volontaire positif - pourrait changer la face du monde en matière de lutte contre le sous-développement.
Par
Jean-Pierre G. Martignoni-Hutin ( sociologue)
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Tel un marronnier, la taxe Tobin est revenue sur le devant de la scène. Cette idée - émise en 1972 (2) par un Nobel d’Economie ( James Tobin,1918-2002), popularisée par Le Monde Diplomatique en 1997, kidnappée ensuite par les altermondialistes d’Attac en 1998 - n’a jamais fait recette. Certes le fait que la France soit porteuse du projet et que le Président de la République s’engage personnellement dans ce dossier doit être salué. Néanmoins ce projet de taxe sur les transactions financières risque d’accoucher d’une souris. De nombreux pays (notamment la Grande Bretagne) affichent leur hostilité à ce nouvel « impôt de bourse » mondialisé. Le soutien de l’Allemagne apparait pour le moins « mesuré » (3). Paris a beau vouloir donner « un grand coup d’accélérateur » (4) pour booster le calendrier, cela relève pour partie de l’incantation tant le principe d’une « taxe Tobin nationale » apparaît « utopique » à de nombreux observateurs avertis (5). Par ailleurs la Commission Européenne, qui a présenté le 28 septembre dernier une proposition de directive de taxe sur les transactions financières (TTF), entend rester zen sur le calendrier d’un dossier complexe.
Curieusement cet impôt apparaît désormais davantage comme une sanction visant à punir les marchés irrationnels et à freiner l’ardeur des spéculateurs qui « jouent » avec la réglementation financière, il est vrai d’un laxisme abyssal. Alors qu’au départ il affichait une volonté politique forte de récolter des fonds pour lutter contre la misère, la malnutrition… En outre « cette punitive taxe Tobin » n’est sans doute pas sans arrière-pensée électorale et peut être perçus comme un symptôme de la « taxopathologie aiguë des candidats à la présidentielle » qui, comme le précise Edouart Tétreau (HEC , Médiafin), « ont décidé de taxer tout ce qui bouge » ( 6)
Bien sûr cette taxe ( on parle de 0,1% sur les actions et obligations et de 0,001% sur les produits dérivés) va rapporter de l’argent mais beaucoup moins qu’attendu. 55 milliards d’euros par an selon José Manuel Barroso. Pas de quoi changer la face de « la misère monde ». Par ailleurs elle ne sera pas sans conséquences. Si « les risques de délocalisation reste difficile à mesurer » (7) les principales places financières mondiales (Londres, Shangai, Shenzhen, Hong Kong, Tokyo, Sydney (8) y échapperont et les spéculateurs de haut vol pourront toujours s’expatrier. Pour la place de Paris le doublement des frais de transaction entrainera « une moindre liquidité des titres français au profit des titres internationaux ».(9) Attention à l’effet boomerang. Olivier Guéant et Matthieu Schlesinger ( Université Paris Diderot & Sciences Po) rappellent dans le quotidien Les Echos un précèdent : « la Suède a adopté un prélèvement de ce type en I98O qui s’est traduit par une chute très importante des transactions financières, presque totales pour les produits dérivés, au profit de la City ». Et nos deux chercheurs de préciser : « Face à ce brillant résultat la social démocratie suédoise a fait machine arrière » (10)
Il faut dire que l’injonction apparaît pour le moins paradoxale. On veut réduire une activité (la spéculation) mais dans le même temps la taxer, c’est-à-dire en ponctionner une partie pour l’aide aux plus démunis. La logique aurait voulue le contraire : favoriser les transactions financières afin que cette TVA sociale mondialisée rapporte le plus possible pour aider les pauvres. Va comprendre Charles ! Sans doute une nouvelle démonstration que le pouvoir court souvent plusieurs lièvres à la fois, dans une vision systémique qui nuit à son efficacité. Sans doute une nouvelle preuve que ce même pouvoir cherche toujours à réformer le système à la marge tout en se donnant bonne conscience, procède par arbitrage pour défendre l’intérêt général, tout en oubliant que ces trop fameux arbitrages politiques finissent souvent par aboutir à des injonctions paradoxales, pour ne pas dire antinomiques.
Autre contradiction : le timing. Cette taxe arrive au plus mauvais moment. En pleine euphorie boursière, en pleine « glorieuse » économique, on aurait presque pu comprendre cet effort de solidarité consistant à fiscaliser encore davantage ceux qui « travaillent » avec l’argent des autres, « font de l’argent » avec de simples clics, programmes des robots pour effectuer du trading à haute fréquence (THF) (11). Mais de nombreuses bourses sont au plus bas (notamment le CAC 40) et les actionnaires - notamment les petits porteurs – trinquent depuis des mois. Grosses fortunes et spéculateurs ne sont pas épargnés et certains ont subi des pertes colossales, même si bien évidemment d’autres continuent de « faire de l’argent », profitant des écarts de cours monstrueux qui se produisent lors de krachs boursiers. Néanmoins, dans un contexte global de crise et de récession de nombreux observateurs voient d’un très mauvais œil l’instauration d’un nouvel impôt de bourse, qui viendrait s’ajouter à ceux déjà existants.
Face à autant d’adversité il n’est pas étonnant que la trop fameuse taxe sur les transactions financières réserve « quelques surprises » (12) et que Paris ait décidé d’officialiser récemment sa taxe « a minima » (13) La France vise désormais 1,1 milliard d’euros de recettes annuelles. Même si « le clan des pro-taxe semble s’élargir » au moins au niveau européen (14), la somme totale récoltée dans le meilleur des cas (50 milliards d’euros) ne sera jamais à la hauteur des enjeux que représente une « lutte fanatique » pour en finir avec la misère mondiale, si tant est que ce pactole y soit consacré. Comme le précise Anne Chryvialle dans le Figaro : « L’Etat pourrait être tenter de l’utiliser au renflouement des finances publiques. » (15)
De multiples éléments soulignent donc que cette taxe moralisatrice ne règlera rien en matière de pauvreté, sera difficile à mettre en œuvre et cela pour la simple raison que ses fondamentaux sont erronés. La Taxe nommée « Tobin » (au grand dam de son « propriétaire » qui a refusé que l’ultra gauche instrumentalise idéologiquement son concept) constitue « un impôt obligatoire négatif » qui sera mal perçu, rapportera peu et pèsera sur les échanges économiques et financiers. Seul « une arme de construction massive » - un impôt volontaire facultatif à haut rendement » se situant dans une autre sphère - peut fournir de manière récurrente les fonds babylonniens nécessaires à « la lutte finale contre la pauvreté ». Cette autre sphère, c’est l’industrie des jeux de hasard et d’argent (gambling). Cette arme, c’est une loterie mondiale caritative.
Les populations détestent les impôts et autres taxes mais adorent jouer et cela depuis la nuit des temps. C’est curieux mais c’est comme ça. Sociologue spécialisé dans le gambling nous observons ces pratiques depuis des années sans que notre curiosité intellectuelle s’en trouve émoussée. La constance ludique force le respect, au-dela de toute morale et de toute rationalité. Face à la pusillanimité des gouvernants mondiaux et des organismes internationaux à éradiquer la misère, exploitons pour la bonne cause cette quête ludique toujours inachevée. Vis à vis de la fiscalité, l’impot ludique possède l’énorme avantage de permettre à ceux qui veulent y échapper de le faire facilement. Il leur suffit de ne pas jouer. La loterie mondiale aura donc bonne presse. Tout le monde y sera favorable, y compris ceux qui n’y participeront pas.
Par ailleurs les populations ont depuis des lustres fait preuve d’altruisme et de solidarité, montrant souvent le chemin de la générosité aux Etats et aux gouvernants. Elles participeront massivement et volontairement à cette loterie solidaire pour joindre l’utile à l’agréable. Il est même probable que ce jeu mondial va créer des millions de nouveaux joueurs, qui seront tout heureux d’engager 1 euro, 10 euros…pour éradiquer misère et sous développement, tout en espérant gagner le pactole à 1 milliard ou les milliers de gains intermédiaires.
Bien entendu les loteries nationales et l’ensemble des opérateurs ludiques seront sollicités en premier chef pour organiser le maillage – en dur et virtuel – nécessaire à l’installation d’une telle loterie. Le click à 1 euro connaitra un succès mondial permanent sur le web. Internet va multiplier à l’infini la puissance de frappe de cette loterie mondiale dans sa version 2.O. Certes certaines loteries nationales participent déjà à l’aide au développement. La loterie néerlandaise a versé 1,35 millions d’euros au HCR (Haut commissariat aux réfugiés ) en 2011 pour un total de 13,8 millions depuis 2002 (16). Mais on ne voit pas en fonction de quelle logique ces opérateurs de jeux dans le cadre de leur RSE refuseraient de participer, en organisant la logistique et l’architecture numérique nécessaire à une telle loterie. D’autant que ce jeu international ne phagocyterait en rien les différents produits commercialisés par les opérateurs ludiques nationaux.
Bien entendu les multiples organismes internationaux ( ONU, Banque Mondiale, BIRD, FMI, OCDE, Unesco,OIT, FAO, OMS…) seront sollicités pour réunir les décideurs politiques, mettre en place les comités d’experts, évaluer les besoins, assurer les contrôles et la transparence. La également on peut supposer que les « grands de ce monde » dont certains veulent instaurer une taxe Tobin, auront à cœur de se réunir pour mettre en place politiquement cette loterie mondiale caritative.
Naturellement, comme pour la guerre, l’argent est le nerf d’un tel projet, et c’est bien d’une guerre dont il sagit : en finir avec la faim, la misère, le problème de l’eau, les drames humanitaires, écologiques, la paupérisation, y compris désormais dans les pays développés. Bien que pacifique elle exige un engagement fanatique. Cette contribution est donc aussi un appel. Pour initier un tel projet il faut donc en amont beaucoup d’argent. La également nous pensons que l’altruisme affiché par de nombreuses personnalités richichismes ( de Billes Gates à Warren Buffet pour n’en citer que deux), en passant par la générosité de certains milliardaires ( aux ETUN, au Mexique, en Chine, en Russie et dans différentes pays arabes) permettront de réunir les fonds préalables nécessaires pour lancer le projet. Taxer à nouveaux les riches pour lutter contre la pauvreté, les riches répliqueront : « on a déjà donné et on remplit depuis des lustres ce tonneau des Danaïdes ». Les inviter à construire volontairement les fondations qui permettront la mise en place d’une loterie mondiale caritative, ils répondront : yes we can ( oui nous le pouvons).
Il y a quelque années, en marge de notre activité ethnosociologique sur le gambling et les jeux de hasard et d’argent (JHA) nous avions déjà lancé le projet d’une telle loterie. L’idée n’était pas « d’aider » ponctuellement les pays pauvres mais d’erradiquer le sous développement et l’ensemble des drames que connaît la planète de manière récurrente, en créant « un impôt volontaire au plutonium » qui produit plus d’argent qu’il n’en consomme et cela de manière pérenne. Cette proposition avait reçu un accueil médiatique non négligeable.(17) Plusieurs mois plus tard Christophe Blanchard Dignac ( PDG de la Française des jeux) reprenait le concept avec quelques autres loteries nationales. Nous avons trouvé le procèdé curieux. Certes nous n’avons pas le monopole du cœur mais nous pensons que le produit de la FDJ et de ses consoeurs n’a ni l’ambition, ni la finalité d’une loterie mondiale caritative. Par ailleurs un aussi beau projet « ne saurait rapporter de l’argent» à des opérateurs ludiques qui ont déjà suffisamment de jeux attractifs pour exploiter la « poule aux œufs d’or » ( par exemple Euromillions). Il doit donc être chapeauté par un organisme transnational indépendant à but non lucratif. Malgré ou à cause de la crise, nous pensons que le débat actuel sur la taxe Tobin et celui – éternel – sur « l’aide au développement » (18 ) doit être l’occasion de mettre sur les rails cette loterie mondiale philanthropique.
En final l’idée n’a rien de révolutionnaire. L’histoire des loteries indique que leur institutionnalisation comportait déjà une fonction caritative. Il s’agissait moins de faire jouer les gens pour les exploiter, que de combler les caisses de l’Etat sans lever de nouveaux impôts, de lutter contre les calamités agricoles, de restaurer les églises, d’aider les indigents ou les grands blessés de guerre, de financer de grandes infrastructures... Notre initiative ne fait que reprendre ce concept en le globalisant et en le mondialisant. Selon Philippe Kourilsky ( Président de Facts initiative*) « deux milliards d’être humains sur les sept que compte la planète vivent dans la misère » (19) Pour faire cesser « cet immense scandale », il faut une solution radicale et pérenne qui sorte des sentiers battus il faut un engagement que tout le monde peut s’approprier.
Jean-Pierre G. Martignoni-Hutin ( sociologue) Lyon (France)
Contact : jean-pierre.martignoni@univ-lyon2.fr
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Dans une prochaine contribution nous définirons :
les conditions ludiques qui permettront – outre le pactole à 1 milliard – de rendre cette loterie très attractive ( taux de redistribution, lots en cash et en nature)
dans quelle mesure les grands groupes internationaux et nationaux pourront y participer ( sponsoring, partenariat exclusif, lots en produits…). Car comme le précise Jean Claude Berthélemy ( Paris I Panthéon Sorbonne) « on ne peut imaginer une stratégie efficace de lutte contre la pauvreté en l’absence d’une contribution des entreprises « (20)
les manières de résoudre « l’éternel débat de l’aide au développement «(18) sans tomber dans l’assistanat et afin de ne pas construire une nouvelle usine à gaz.
Notes :
Respectivement monnaie américaine, chinoise, japonaise, indienne, russe, brésilienne, suédoise. Le pactole à 1 milliard est bien entendu un chiffre symbolique destiné à frapper les esprits. Il devra le cas échéant être réévalué par un comité d’experts tout en étant très attractif. A titre d’indication le gambling a récolté en 2011 - simplement pour la France ! - 31,6 milliards d’euros. Le record des gains a été atteint par l’Euro Millions : 162 millions d’euros. Une loterie mondiale caritative pourrait glaner plusieurs centaines de milliards et être dotée d’un big win à 1 milliard.
« Tobin depuis 1972 » (France Info du 9 janvier 2012)
Catherine Chatignoux : « Taxe Tobin : Sarkozy reçoit un soutien mesuré de la chancelière Merkel» ( Les Echos,10 janvier 2012)
Catherine Chatignoux, Renaud Honoré : « Taxe sur les transactions financières : Paris veut un grand coup d’accélérateur» (Les Echos, 5 janvier 2012)
Jean Marc Vittori : « L’utopie d’une taxe Tobin nationale » ( Les Echos, 9 janvier 2012)
Eduard Tétreau : « La taxopathologie aiguë des candidats à la présidentielle » (Les Echos, 6 février 2012)
« Taxe sur les transactions financières : Le risque de délocalisation reste difficile à mesurer » ( Les Echos du 5 janvier 2012)
Confer l’infographie : « les plus importants centres financiers mondiaux « ( Les Echos du 5 janvier 2012)
Marina Alcaraz, Laurent Boisseau , « Taxe sur les transactions financières : les conséquences pour la place de Paris » ( Les Echos du 9 février 2012)
Olivier Guéant, Matthieu Schlesinger : « A ceux qui croient (encore) aux bienfaits de la taxe Tobin « ( Les Echos du 10 janvier 2012)
Marina Alcaraz : « Le trading à haute fréquence, une activité décriée dans le collimateur des autorités « ( Les Echos, 7 février 2012)
Marina Alcaraz , Lucie Robequain, Laurence Boisseau : « Taxe sur les transactions : les dernières surprises « ( Les Echos du 7 février 2012)
Anne Cheyvialle : « Paris officialise sa taxe financière a minima » ( Le Figaro du 7 février 2012)
Anne Bauer : « France, Allemagne, Espagne, Italie : le clan des pro-taxe s’élargit » (Les Echos, 9 février 2012)
Anne Cheyvialle, ibid
« La loterie nationale néerlandaise donne 1,35 millions d’euros au HCR « ( www.unhcr.fr du 10 février 2012)
“ Un sociologue propose une loterie mondiale contre la pauvreté ” : message A.F.P. , 11 février 2005) Entretien téléphonique avec Michel Deprost, journaliste au Progrès, « Solidarité : une loterie mondiale contre la pauvreté », Le Progrès 12 février 2005). “Une loterie mondiale pour lutter contre la pauvreté et le sous développement ” (« Une loterie mondiale contre la pauvreté ? “ Les dernières nouvelles Alsace 12 février 2005) Entretien avec Guillaume Cahour ( directe RMC info matin 17 février 2005 ,7H) participation au journal du soir de TLM de Stéphanie Loeb ( TLM 17 février 2005, I9 h) Entretien avec Olivier Madinier journaliste à ITV pour Canal + à propos de notre article : “ une loterie mondiale pour lutter contre la pauvreté et le sous développement”. Tribune dans le quotidien gratuit Métro à la demande de Xavier Thouvenot : “ Une loterie mondiale pour lutter contre la pauvreté : un jeu de hasard éthique “ (Métro n° 656, 21 février 2005)
David Ménascé (affilié HEC) : « Donner ou faire payer, l’éternel débat de l’aide au développement »(Le Monde du 6 mars 2012,3)
Philippe Kourilsky : « Evaluer la lutte contre la pauvreté « ( Le Monde économie du 6 mars 2012,1-2)
Jean Claude Berthélemy : «Deux visions divergentes du rôle des grandes entreprises : social business ou bottom of the pyramid (BOP)? un peu des deux « ( Le Monde économie du 6 mars 2012, p.3)
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* : La revue électronique Facts ( Field actions science) a organisé le 6 Mars 2012 à l’occasion d’un numéro spécial ( « Lutte contre la pauvreté entre don et marché » )une conférence à la Cité de l’architecture de Paris, en partenariat avec Le Monde Economie et Véolia Environnement. Confer ( Le Monde économie du 6 mars 2012, p : 1,2,3)