GAMBLING INTERNATIONAL : Le Québec vient d’installer une Chaire de recherche sur le jeu responsable
Recherches sur le jeu, jeu pathologique, Observatoire des jeux, Chaire de recherche sur le jeu responsable…quelques mots sur la situation en France et au Québec
Jean-Pierre G. Martignoni-Hutin (sociologue)
En France depuis quelques années la Française des jeux finance ses ennemis, les anti-jeu de la doxa du jeu pathologie maladie - notamment le centre du jeu excessif de Nantes (CRJE) dirigé par JL Vénisse et différentes associations- pour mieux les contrôler. Mais dans le même temps l’opérateur historique des loteries se lance dans une course effrénée à la croissance, jamais vue depuis sa création. La politique éthique mise en œuvre par Christophe Blanchard Dignac (PDG de la Française des jeux) a donc pour conséquence en réalité - sous couvert d’une lutte contre le jeu excessif et le jeu de mineur - de produire plus de jeu. Habile stratège - mais certains pourraient considérer cela comme de la duplicité - le patron de la FDJ a profité du débat sur le jeu pathologique, de l’inquiétude des pouvoirs publics en matière de santé publique, de la loi sur les jeux en ligne ( autorisés depuis mai 2010), non pour mettre la pédale douce en matière de développement mais au contraire pour accélérer fortement sa croissance par une incitation au jeu accrue. La duperie est totale. En final la politique jeu responsable mis en œuvre par la Française des jeux va produire du jeu excessif. Ubuesque. Les meilleures preuves de cette démonstration se situent dans les résultats de l’opérateur historique. En pleine crise économique il surperforme (+5,5 % en 2010) en dépassant pour la première fois la barre symbolique des 10 milliards. L’incitation au jeu est telle que la FDJ est même parfois – en fonction du calendrier politique - « gênée par son succès » comme l’a précisé le quotidien France-Soir. ( la barre des 10 milliards aurait été atteinte en 2009 et non en 2010)
Pour allumer des contre feux vis-à-vis de cet activisme commercial , la FDJ pousse le bouchon de plus en plus loin dans le domaine du jeu responsable. La société dirigée par Christophe Blanchard Dignac a l’audace - ils se croient tout permis et ils se permettent tout - de lancer en juin 2011 « une campagne nationale contre l’addiction au jeu » Au même moment comme par hasard, Jean Luc Vénisse financé à hauteur de 2 millions d’euros par la FDJ (le site du CRJE est très discret sur ce financement) associé aux addictologues M. Reynaud et A . Belkacem sortent un fascicule : « Du plaisir du jeu au jeu pathologique, 100 questions pour mieux gérer la maladie» Et Michel Reynaud d’affirmer dans France-Soir du 6 juin 2011, après sans doute plusieurs mois d’études de terrain et d’études comparatives ( !!), que « de tous les opérateurs la Française des jeux est celui qui en fait le plus pour le contrôle et la prévention du jeu excessif. » La boucle est bouclée. La collusion d’intérêts marche à fond pour les deux parties. Plus c’est gros, plus ça marche. En cherchant bien on apprend que ce livre est publié et distribué via un mécénat …de la Française des jeux. La plupart des médias n’ont pas repris ce détail.
Comme le Centre du jeu excessif de Nantes a beaucoup d’argent, il faut bien qu’il le dépense. Il a lancé un enquête pour passer les « joueurs compulsifs à la loupe « . Marc Valleur ( directeur du centre Marmottan) membre de l’Observatoire des jeux, participe à cette étude financée par la FDJ. Curieusement le CRJE semblent avoir du mal a recruté des joueurs compulsifs alors qu’ils affirment par ailleurs (dans une belle fourchette scientifique qui ressemble à un râteau) qu’il y aurait entre « 600 OOO et 1,8 million de joueurs pathologiques ! » Nous aurons l’occasion de revenir sur cette étude qui se déroule sur 5 ans. Mais en attendant nous invitons les lecteurs du Québec à prendre connaissance des conditions méthodologiques fixées par le CRJE de Nantes : « Le CRJE recherche des joueurs à Paris et Colombes. Les conditions : avoir entre 18 et 65 ans, jouer au moins une fois par an, avoir joué l’année écoulée et … (la ça devient cocasse NDLR) « avoir l’impression de perdre le contrôle sur la pratique du jeu » Comme il n’est pas certain que ce protocole très scientifique attire les joueurs le CRJE ajoute : « La participation a l’étude est indemnisée »
On le voit malgré certaines avancées, la France est tombée – comme nous l’avions annoncé il y a quelques années - dans ce que nous avons nommé le « syndrome québécois, c’est à dire le « syndrome Ladouceur/Loto Québec ». La différence c’est qu’il nous semble que le Québec a su sortir progressivement de ce système, avec comme point d’orgue dernièrement l’installation d’une Chaire de recherche sur le jeu responsable qui sera gérée par le FQRSC. C’est une avancée considérable. Pour avoir été plusieurs fois – gracieusement – « expert externe » pour le compte du FQRSC nous pensons que cet organisme à toutes les qualités requises pour superviser des recherches scientifiques indépendantes sur le gambling à condition qu’il ne soit pas dominé par la doxa du jeu pathologie maladie et que cette doxa ne mange pas à tous les râteliers. Pour rester sur le chemin de crête de la neutralité scientifique, c’est l’ensemble des causes et conséquences du gambling qu’il faut analyser et pas seulement la question du jeu problématique, qualifié un peu vite de jeu pathologique. Alors bien sur on peut s’interroger pour savoir – comme le fait Alain Dubois (Emjeu) dans le journal Le Devoir (1) - qui finance cette chaire ? L’essentiel nous semble t il c’est que cette chaire soit pluridisciplinaire et indépendante scientifiquement. En France nous sommes loin du compte. Certes un Observatoire des jeux a été laborieusement installé il y a quelques mois, après des années d’attente mais il est dominé par la doxa du jeu pathologique maladie et quelques associations. Il ressemble plus à une Commission qu’à un Observatoire scientifique à la hauteur de ses multiples missions. Souhaitons que la France, sans copier le modèle de la nouvelle France, sache s’en inspirer pour éviter justement les errements qu’a connu le Québec pendant des années à cause du syndrome Ladouceur/Loto Québec, qui en final aura surtout profité à Robert Ladouceur et à la doxa du jeu pathologie maladie dans son ensemble. Nous avons ici un désaccord avec l’ami Alain Dubois ( que nous respectons par ailleurs car il est ouvert au dialogue et accepte le débat sans censure) Nous pensons qu’une véritable politique des jeux responsable, réaliste et pérenne , doit défendre l’intérêt général, abandonner l’idéologie du care chère à la doxa du jeu pathologie maladie et aux anti – jeux. Une telle politique - qui ne signifie pas auto-régulation - ne saurait se faire contre l’industrie des jeux et les opérateurs car un tel procès ne pourrait à terme, que réactiver l’idée de prohibition.
© JP G. Martignoni-Hutin, Lyon, France, 183. Le devoir –Québec - Canada. Septembre 2011
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Alain Dubois, Jeux d’argent et de hasard, Une chaire ou un Observatoire des jeux ? ( Le Devoir.com , 26 septembre 2011)
Pour info le texte d’Alain Dubois paru dans le journal du Québec Le Devoir , 26 septembre 2011
Jeux d'argent et de hasard - Une chaire ou un observatoire des jeux?
Mise sur toi! financera une chaire de recherche sur le jeu responsable qui sera gérée par le Fonds de recherche du Québec société et culture (FQRSC). L'objectif de la chaire serait de produire des connaissances pour prévenir les comportements à risque et ainsi développer des comportements responsables en ce qui a trait aux jeux d'argent et de hasard. Si le FQRSC est responsable de l'appel de propositions, les fonds proviendront exclusivement de Mise sur toi!, un organisme financé exclusivement par Loto-Québec. Que penser de cette annonce?
Tout d'abord, la notion même de jeu responsable comporte un parti pris important puisqu'elle fait uniquement porter la responsabilité des problèmes de jeu sur l'individu: comportements à risques; failles dans le processus cognitif, faiblesses génétiques; dérèglements neurochimiques, etc. Jamais (ou marginalement) les tenants du jeu responsable ne s'intéressent aux facteurs culturels, sociaux, environnementaux; aux impacts de la promotion et de la grande accessibilité des jeux d'argent et de hasard; jamais ils n'analysent la dangerosité des jeux, leurs conceptions (programmation et utilisation des failles dans le fonctionnement du cerveau).
Contrairement à la notion de «jeu sécuritaire», qui englobe l'ensemble des aspects reliés aux développements des problèmes de jeu, la notion de jeu responsable est limitée et unilatérale. L'industrie du jeu, on le comprendra, préfère cibler les comportements à risque des joueurs au lieu de regarder ce qu'elle pourrait faire pour limiter les problèmes de dépendance qui touchent près de 3,5 % des adeptes de leurs jeux et 20 % des joueurs de jeux électroniques (peu importe la fréquence de jeu: 1 ou 100 fois/an). Depuis longtemps au Québec, on refuse les commandites et subventions provenant de l'industrie du tabac, y compris dans les universités. Pourquoi en serait-il autrement pour l'industrie du jeu? Les problèmes éthiques que ces industries soulèvent ne sont-ils pas de même nature?
En attendant que l'on impose à Loto-Québec des mesures équivalentes à celles des cigarettiers, il serait souhaitable que les chercheurs et les universités adoptent le même code d'éthique et que, par conséquent, ils s'abstiennent de recevoir toute subvention provenant, directement ou indirectement, de l'industrie du jeu.
La main qui nous nourrit
Cette annonce témoigne aussi de la trop grande place qu'a prise l'industrie étatique du jeu au Québec, un presque État dans l'État... Loto-Québec commandite au Québec à peu près tous les festivals et activités culturelles. Elle remet directement ou par l'intermédiaire de l'organisme Mise sur toi, qu'elle a créé et finance, des centaines de milliers de dollars à des centres de traitement pour joueurs compulsifs, à plusieurs dizaines d'organismes communautaires, des universités, etc.
Loto-Québec cultive l'art de la dépendance aux subventions qu'elle distribue si généreusement et qui, comble de l'ironie, provient en bonne partie des joueurs compulsifs...
Il est urgent de revoir le mandat de Loto-Québec, une société d'État qui devrait n'être qu'un simple gestionnaire de l'industrie étatique du jeu. Elle devrait revenir à son mandat premier: gérer le jeu dans l'ordre et la mesure... Pour ce faire, il serait souhaitable que l'ensemble des subventions qu'elle distribue soit remis aux ministères concernés (Culture, Santé et Services sociaux, Éducation, etc.) afin que ceux-ci les distribuent eux-mêmes, et ce, en fonction de leurs propres priorités. Ce n'est pas à Loto-Québec de définir les politiques culturelles, communautaires et sociales du Québec, mais au gouvernement.
À quand un observatoire?
Il est plus que temps que l'on mette en place au Québec, un observatoire des jeux d'argent. Celui-ci devrait être indépendant et relever directement de l'Assemblée nationale. Il serait composé principalement d'intervenants publics, de chercheurs de la santé publique et d'universitaires (sans aucun lien avec Loto-Québec et les organismes qu'elle subventionne).
Cet observatoire québécois des jeux d'argent serait responsable de financer et coordonner l'ensemble des efforts de prévention, d'étude, de recherche et de proposer des mesures concrètes visant à réduire la dangerosité des jeux de hasard et d'argent au sein de la population.
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Alain Dubois, travailleur psychosocial et porte-parole de la Coalition EmJEU