Gambling  France
 Gain record de 160 millions  pour Euromillions : Décryptage
 
 UN TRES GROS GAGNANT …DES  MILLIONS DE PERDANTS 
 Jean-Pierre G. Martignoni-Hutin  (sociologue)
 Nous aurions pu intituler cet  article Un riche  ….des millions de pauvres,  tant il est vrai que le pactole décroché le 13 septembre par un  joueur du Calvados (1) peut être considéré comme scandaleux, voir  indécent. Peur d’apparaître une nouvelle fois comme un sociologue  provocateur du coté du Palais de Luxembourg (siège du Sénat) ou du  coté de la rue Leblanc (siège de l’Arjel), volonté   consensuelle de retourner sa veste… jamais du bon coté. D’autres  raisons plus prosaïques et plus rationnelles expliquent la sobriété  tautologique du titre de cette contribution.
 
  - 
     D’une part nous avons toujours  	refusé les analyses néomaxistes simplistes du gambling et du fait social  	qu’il représente -  	le jeu comme opium du peuple - résumé dans la formule latine Panem  	et circenses ( du  	pain et des jeux) (2). Ces analyses idéologiques, reprises par  	certains économistes à travers la théorie de la pauvreté ( plus  	on est pauvre plus on joue)  	sont pour partie réductrices. Si une corrélation existe entre le  	niveau de richesse et le fait de jouer aux jeux de hasard, elle  	reste à étudier de manière fine et ne constitue en aucune manière  	un rapport de causalité. Si le joueur joue toujours pour l’argent,  	il ne joue pas que pour l’argent. Si l’argent, la volonté de  	sortir de sa condition sociale, d’améliorer  	l’ordinaire sont les motivations premières des gamblers,  	une kyrielle d’autres raisons existent. Par ailleurs de multiples  	indicateurs et variables sociologiques rendent compte des raisons,  	des conditions et conditionnements, des représentations et  	croyances, qui expliquent pourquoi  	ça joue,  	pourquoi certains jouent et d’autres pas. Si l’analyse  	néo-marxiste stricto  	sensu est  	fallacieuse nous verrons néanmoins en fin d’article que les jeux  	( et notamment ici les jeux d’argent et la politique des jeux)  	donnent certainement à voir sur notre société , ses inégalités,  	son fonctionnement. Une sociologie  	critique du gambling est nécessaire sans forcément qu’elle soit progressiste ou a  	visée idéologique. 
 
  - 
     D’autre part nous pensons que le  	titre de cette contribution, malgré son aspect tautologique, donne  	à voir la politique des jeux menée par la Française des jeux  	notamment à travers Euromillions dont la France détient le record  	de gagnants de premier rang (65) suivi de l’Espagne (55) et pointe  	à la première place des ventes (21,9%) 
 ---------
 Rappelons tout d’abord que la FDJ  met en avant  depuis quelques années ( avec une accélération  depuis la loi sur les jeux en ligne) une politique de jeu responsable  -  hypocrite et paradoxale - que nous avons plusieurs fois dénoncée.  Elle finance et instrumentalise la doxa du jeu pathologie  maladie, notamment du coté du centre du jeu excessif (CRJE) de  Nantes. Le Conflit d’intérêts est patent, scandaleux.  La société  dirigée par Christophe Blanchard Dignac a  même eu l’audace de  lancer en juin 2011 « une campagne nationale contre l’addiction  au jeu » Au  même moment Jean Luc Vénisse financé à hauteur de 2 millions  d’euros par la FDJ  (le site du CRJE est très discret sur ce  financement)  associé aux addictologues M. Reynaud et A .  Belkacem sortent un fascicule : «  Du plaisir du jeu au  jeu pathologique, 100 questions pour mieux gérer la maladie» Et  Michel Reynaud d’affirmer dans France-Soir du 6 juin 2011, que «   de tous les opérateurs la Française des jeux est celui qui en fait  le plus pour le contrôle et la prévention du jeu excessif. ». En cherchant bien  on apprend que ce livre est publié et distribué via un mécénat  …de la Française des jeux. La plupart des médias n’ont pas  repris ce détail. Dans le même temps la Française des jeux mène  un activisme commercial forcené, une incitation au jeu accrue,  jamais vu chez l’opérateur historique dirigé par Christophe  Blanchard Dignac
 Mais c’est pas suffisant comme la  FDJ se croit tout permis, elle se permet tout. Il y a par exemple l’affaire Riblet/jeux de grattage ou  l’opérateur invente un concept totalement fallacieux en  probabilité d’aléatoire  prépondérant,  pour masquer le fait qu’elle manipule le hasard en toute impunité  pour des raisons commerciales. Plus récemment -  et ce sera le  centre de notre réflexion dans cet article et ce qui explique le  titre de cette contribution, il y  a eu un changement de règlement  d’Euromillions après celui du loto (3) . La probabilité de  trouver les 7 bons numéros est passée d’une chance sur 75  millions, à une chance sur 116 millions ! L’opérateur  historique n’a pas eu le culot de dire que c’était pour lutter  contre le jeu excessif qu’il changeait les règles. Il a insisté  sur le pactole qui augmentait. Et en effet comme on peut le constater  il augmente.
 La duplicité est totale, la FDJ  gagne à tout les coups et de quelle manière. Comme les chances de  gagner diminuent fortement,  le gros gain tombe moins souvent comme  chacun a pu le constater ces derniers mois et augmente sans cesse. La  super cagnotte d’euromillions n’était pas tombée depuis le 29  juillet. Cela permet à l’opérateur public de communiquer en  permanence sur ce pactole digne de Crésus. Les multiples communiqués  de la FDJ  sur Euromillions sont repris systématiquement par les  agences de presse, médias, télévisions. Agences de presse  notamment , presse régionale (qui reprend systématiquement pro domo  les dépêches d’agence) participent donc fortement au prosélytisme  ludique de la FDJ et en constitue même le fer de lance. Que seraient  les multiples communiqués de la FDJ sans les agences de presse ?  Ces messages sur les produits et résultats de la FDJ apparaissent  comme des messages naturels , informatifs et neutres alors que les  publicités (souvent nunuches et bébêtes de la FDJ :  devenez plus riche que riche)  peuvent lasser l’opinion. 
 Les pléthoriques communiqués de  presse de la FDJ constituent des vecteurs stratégiques de  l’expansionnisme commerciale de la FDJ car ils sont repris  systématiquement et avec complaisance par les agences de presse et  la presse régionale et nationale. L’ensemble du système  (parfaitement rodé ) crée gratuitement pour la FDJ un buzz  permanent qui lui permet par saturation de  contrôler peu ou prou le champ médiatique en permanence sur la  question du jeu.
 
 Les voix qui critiquent ou même  simplement interrogent et souhaitent débattre de la politique des  jeux de la FDJ sont inexistantes et quand – rarement -  elles  apparaissent ( par exemple sur internet) elles disparaissent dans le  flot informatif et propagandiste de la FDJ ou dans  l’obsolescence du net. Autre conséquence , comme les élus ( les gros gagnants) sont plus rares et toujours plus riches, la  presse les cherchent et les traquent. La FDJ, machiavélique la  aussi, diffuse les informations qu’elle possède ( région,  localité et bureau de validation..) ce qui entraine une nouvelle  médiatisation gratuite. Si le gagnant se fait ensuite connaître la  FDJ bénéficiera la aussi d’une très bonne publicité qui  constitue une incitation au jeu exceptionnelle.
 
 Alors ne soyons pas étonné qu’avec  une telle politique qui aboutit à des pactoles qui peuvent  apparaître indécents en période crise que des voix s’élèvent,  au sein meme de la majorité. Eric Straumann ( député UMP du haut  Rhin) a écrit à Christophe Blanchard Dignac (4) pour que les  gains  d’Euro millions soient plafonnés et mieux répartis. 
 
 Certes certains  pourraient  rétorquer à ce député du Haut Rhin : de  quoi je m’e mêle.   Il y a un Comité Consultatif du jeu et même un Observatoire des  jeux a même de travailler sur ces questions et de faire des  propositions. En attendant que ces deux organismes - tardivement mis  en place -  fonctionnent ce député s’exprime et la FDJ fait ce  qu’elle veut. Certes , certains pourraient reprocher à Eric  Straumann sa grande naïveté : écrire au PDG de la FDJ alors  que la politique stratégique de Christophe Blanchard Dignac est  parfaitement voulue, concertée, orchestrée par lui même. Mais nous  n’aurons pas  cette outrecuidance car «  la proposition  choc » du député n’a rien de moralisatrice. Elle donne à  voir sur la politique des jeux voulu par CB Dignac dont on a de plus   en plus de mal à penser qu’elle puisse se décider sans l’aval  de Bercy. Ceci dit c’est le grand mystère. La politique des jeux  de la FDJ se décide t elle à Boulogne ou à Bercy ? La  politique des jeux de la FDJ est elle en harmonie avec la politique  des jeux voulue par le gouvernement ? On peut s’interroger.
 
 Que donne à voir cette politique.  Une hiérarchie fortement inégalitaire. Un très gros gagnant d’un  coté – l’élu de la chance - des millions de perdants de  l’autre. Et plus le gagnant est gros, plus les perdants sont  nombreux, plus les gains intermédiaires sont réduits ( d’ou la  proposition du député visant à une meilleure répartition des  gains). Certes, c’est le principe des jeux de hasard. Les perdants  cotisent pour les gagnants et c’est comme ça que ça marche. Les  joueurs acceptent le principe générique de cet impôt  volontaire. Mais  de là à pervertir ce principe (préjudiciable à la quasi totalité  des joueurs sauf un ou deux gros gagnants) pour exploiter encore  davantage la Poule aux œufs d’or il y a un grand pas que la FDJ et  son PDG n’aurait pas du franchir, surtout quand on est un monopole  public qui soit disant défend l’intérêt général et promeut une  politique de jeu responsable voulue par Nicolas Sarkozy et mise en  musique par François Baroin.
 
 Sans tomber dans le syndrome anti  sarkoziste des «  amis du Fouquet’s, nous pensons également,  qu’on le veuille ou non , que ça plaise ou non,  que –  sociologiquement, politiquement -  cette politique des jeux voulue  par la FDJ, son contexte,  donne à voir sur notre société. Au  travaillez plus pour gagnez plus sarkozien on pourrait aisément substituer un  jouer plus pour gagner plus qui peut apparaître contradictoire ( politiquement, économiquement,  culturellement, moralement…)  à une opinion qui subit chômage,  précarité, petits boulots, paupérisation accrue.  Egalement au  niveau de l’argent, des revenus , des inégalités financières et  patrimoniales qui  gangrènent notre pays et sont loin d’assurer  une croissance qui serait si nécessaire en période de crise. Le  parallèle facile, apparaît néanmoins légitime. D’un coté un  gros gagnant à euromillions…des millions de perdants, d’un autre  coté quelques centaines de grosses fortunes auxquelles il faut  ajouter quelques milliers de hauts fonctionnaires, stars et fous du  roi ( sportifs, acteurs, comédiens, journalistes, écrivains,  présentateurs TV….) qui se partagent argent, notoriété et  privilège - à droite comme à gauche -  et de l’autre des  millions de Français qui vivent mal et s’apprêtent à payer une  trilogie fiscale ( impôt sur le revenu, foncier, taxe d’habitation)  qui  - comme les gros gains d’Euromillions -  ne cesse d’augmenter.  La revue Challenges  ne s’y est pas trompée. Elle a immédiatement  calculé que  le « Normand » qui vient de gagner à  Euromillions devenait la 247° fortune française. (5), loin derrière  Bernard Arnault (LVMH), Gérard Mulliez (Auchan), Liliane Bettencourt  (L’Oréal)….
 Plus que jamais, comme le pensait  Roger Caillois, le  jeu donne à voir sur notre société beaucoup plus que le jeu lui  même. Il est donc  grand temps que les Français soient remis au centre de la politique  Des Jeux et au centre de la politique tout court. – ils constituent  le premier parti de France -  afin que l’ensemble de ces politiques  profite au plus grand nombre et non simplement à quelques  privilégiés et gros gagnants.
 
 © Jean-Pierre G. Martignoni-Hutin,  Lyon, France, 177.  Septembre 2011
 
 
 
 (1) « Gain record à  l’Euromillions : 162 millions pour un joueur du Calvados «   ( Le Parisien.fr du 14-9-2011)
 (2) Cette expression est empruntée  au poète Juvénal qui regrettait que le peuple romain se soit à ce  point affaibli qu’il ne désirait plus que du pain et des jeux.  L’expression décrit également une méthode politique, basée sur  la démagogie et qui fait du peuple un rassemblement de sujets  ignorants ou incapables de penser par eux-mêmes qu’il suffirait de  nourrir et de divertir ( source Renzo Tozi , Dictionnaire des  sentences latines et grecques, Ed. Jérome Million 2010, 192-193)
 (3) En 2008 le Loto passe de 1,2  euros à 2 euros. Une augmentation de 67 % !  L’espérance-statistique de gagner évolue d’une chance sur I4  millions à une chance sur I9 millions.
 (4) « La proposition choc d’un  député UMP » ( Le Parisien.fr du 9-9-2011)
 (5) « Un Normand gagne à  l’Euromillions et devient la 247° fortune française «  (  Challenges.fr du 14-9-2011)