Gambling France 
 
 Jeux en ligne :  trop de réglementation tue  la réglementation
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 Jean-Pierre G. Martignoni-Hutin (sociologue)
 
 
 Après les 21 propositions ( dont certaines  antinomiques)  du rapport Lamour/Filippetti et en attendant  celui –  le plus attendu - du Sénateur Trucy qui ne manquera d’en contenir  un grand nombre, l’arjel vient de publier  pas moins de 65  « recommandations » à l’adresse du gouvernement pour  qu’il modifie (améliore ?) la règlementation en matière de  jeux en ligne. Ca commence à faire beaucoup ! D’autant que le  lobby des jeux on line - l’AFJEL - n’a pas manqué dans son Livre Blanc d’en faire  également. 
 Certes nous avons souligné dans plusieurs  contributions - la France n’étant pas une République bananière -  que les débats, rapports sénatoriaux, parlementaires sont  indispensables pour aboutir à un consensus en matière de politique des jeux et afin de démentir le sous-titre  du I° opus de François Trucy ( l’Etat Croupier le parlement  croupion ?). Mais il est nécessaire de rappeler une évidence.  Dans le secteur du gambling comme dans d’autres secteurs -  trop de  réglementation peut tuer la réglementation et même tuer le secteur  censé être règlementé.
 Le problème c’est que le consensus obtenu en  2010  ne provenait pas de recherches (scientifiques) ni même  d’expertises (technocratiques) objectives mais était avant tout le  fruit « d’arbitrages » subjectifs souvent politiques  (aussi bien vis à vis de l’opposition, de l’opinion qu’au sein  même de la Majorité)  - véritables quadratures de cercle  improbables. Le concept « d’ouverture maitrisée »  illustre la symbolique sémantique de cette contradiction générique,  tant il est vrai que la loi sur les jeux en ligne a pu apparaître  légitimement, sous de nombreux aspects, comme une « fermeture  maitrisée ». Cette ambivalence frisait l’antinomie, d’ou  l’activisme actuel pour modifier la loi avant la clause de  revoyure.
 La fiscalité – un mal français ? -   constitue sans doute la principale pierre d’achoppement du dossier  qui,  dès le départ, a fragilisé artificiellement la loi sur les  jeux en ligne. Nonobstant les nombreuses contraintes techniques (  onéreuses et compliquées pour les opérateurs ) et alors que  personne ne savait si le gambling virtuel constituait un nouvel  eldorado ludique, on a vu la représentation nationale rivaliser pour  fiscaliser joyeusement ce nouveau secteur. La gauche  prohibitionniste, dans une belle contradiction démagogique dont elle  a le secret, faisant naturellement de la surenchère en la matière.  Noble volonté de l’esprit public de ne pas déshabiller Christophe  et Philippe ( respectivement Christophe Blanchard Dignac PDG de la  FDJ et Philippe Germond PDG du PMU) au profit de Stéphane ( Courbit)  ou de Nicolas (Béraud) tout en déjouant la rumeur complotiste anti  Nicolas (Sarkozy) des « amis du Fouquet’s ? Réflexe  ancestral d’un Etat Croupier soucieux avant tout de remplir les  caisses de Bercy quoi qu’il arrive et en oubliant la corrélation  du couplet croissance/fiscalité ?  Les raisons de ce  fiscalisme préventiste sont nombreuses et n’ont pas été avouées  franchement, outre le fait qu’il est toujours facile de se donner  bonne conscience en taxant un secteur de l’économie  du vice considéré comme une vache à  lait. Résultat des courses, à force de traire la vache par  anticipation et avant même que celle ci n’ait prouvé ses qualités  de bonne laitière, après un an d’exploitation des jeux en ligne,  cette boulimie fiscale a fait long feu. Toutes les recommandations  actuelles visent à revoir fortement à la baisse la fiscalité des  jeux en ligne. Pléthoriques, loin d’être homogènes, ces  propositions risquent d’entrainer de longs débats d’apothicaires,  outre le fait que certains ne manqueront pas d’accuser le  gouvernement d’avoir cédé au lobby des opérateurs.
 La situation en matière de TRJ (taux de retour  aux joueurs) est du même tonneau. Sans même s’interroger une fois   sur le fait qu’après tout, dans une économie libérale, il  n’aurait pas été absurde d’imaginer, d’expérimenter une  totale liberté en matière de TRJ qui aurait permis une véritable  concurrence, le développement du secteur, une lutte efficace contre  les sites illégaux…. un TRJ maximal parfaitement subjectif,  correspondant à l’idéologie d’une économie dirigiste, a été  imposé arbitrairement ( 85%). On a même vu à l’époque l’ex  Ministre du Budget ( E. Woerth)  - pas plus spécialiste du gambling  et de l’addiction qu’il ne l’était du prix d’un hippodrome  (sic) , instrumentaliser la question du jeu pathologie maladie pour  justifier ce TRJ particulièrement pingre. A l’époque nous avons  vivement condamné cette intrumentalisation, pourtant repris pro  domo par les responsables du dossier,  les médias et agences de presse , la doxa du jeu pathologie maladie et certains  opérateurs dont la FDJ. Pour redistribuer le moins possible aux  joueurs le consensus était unanime. Scandaleux. Seul le sénateur  Trucy ( c’est tout a son honneur car par ailleurs il est un chaud  partisan du jeu responsable et la protection des joueurs) a mis un  bémol à cette causalité improbable imposée par le soldat Woerth =   TRJ élevé égal forcément addiction et addiction élevée. Bercy  dans le même temps, mettant son véto pour empêcher les contrats de  recherches susceptibles d’informer les pouvoirs publics et l’arjel  sur cette question et sur d’autres. 
 Nous n’avons pris que ces deux exemples mais il  y en aurait de nombreux autres qui sont liés, par exemple  la base  sur laquelle  doivent être imposés les jeux en ligne.  Les  décideurs et régulateurs semblent aujourd’hui découvrir que  c’est naturellement le PBJ qu’il faut taxer et non le volume  d’affaire ( les mises}. Certes gouverner  c’est prévoir et on pourrait  facilement accuser les pouvoirs publics et les différents acteurs en  charge du dossier  d’être de très mauvais prospectivistes, de ne  pas savoir. Nous n’aurons pas la naïveté d’accuser le  gouvernement et les acteurs du champ d’incompétence. Ils savaient.  Les choix effectués proviennent des trop fameux arbitrages déjà  cités et non d’ignorances, même si l’absence de recherches, la  difficulté de mettre en place  en place le CCJ et l’observatoire  des jeux ( la curieuse tentative de déstabilisation de F. Trucy), le  fait que cet Observatoire ressemble pour l’instant plus à une  Commission dominée par la doxa du jeu pathologie maladie et des associations familiales, qu’à un  Observatoire scientifique des jeux, ont sans doute contribué à  aveugler les décideurs du champ, sur de nombreux aspects du dossier  (TRJ, fiscalité… ». De la même manière nous   n’aurons  pas l’outrecuidance d’accuser l’arjel qui ne fait qu’appliquer  avec zèle une régulation décidée par ailleurs. Nous poserons  simplement différentes questions qui nous paraissent  fondamentales, à l’ensemble des protagonistes du secteur  :
 
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     L’industrie des jeux de hasard et d’argent  	est elle compatible avec la notion de jeu responsable, de lutte  	contre le jeu excessif ? En voulant courir deux ou trois  	lièvres à la fois, le gouvernement n’a t il pas joué un double  	jeu un peu hypocrite ( que la FDJ a  	poussé à l’extrème dans une belle duplicité, incitation au jeu  	accrue financement de la doxa du jeu pathologie maladie pour mieux  	la controler) qui l’oblige aujourd’hui à revoir sérieusement  	sa copie ? 
 
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     N’est il pas grand temps que les pouvoirs  	publics mettent sérieusement de la recherche  et de l’expertise  	dans leur politique des jeux afin de  que le CCJ puissent émettre  	des propositions au gouvernement  basées sur des faits objectifs et  	non des arbitrages subjectifs. Cette rupture permettra en outre de  	lutter contre les différents lobbys ( doxa du jeu pathologie, association,  	opérateur privés… et publics Française des jeux en tête !)  	qui confondent leur propres intérêts à l’intérêt général et  	afin de mettre en œuvre une politique des jeux nationale cohérente,  	ambitieuse, qui n’ait pas peur de  	son ombre, mais sache bien entendu  	étudier toutes les conséquences ( positives et négatives) du  	gambling en ligne et en dur et celles de la socialisation ludique  	contemporaine, avant de prendre des décisions ? 
 
 
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     Le dernier questionnement est sans doute le plus  	important : est ce véritablement le rôle de l’Etat et à  	fortiori le rôle du régulateur (cf les propositions de l’arjel) de vouloir réguler économiquement le  	marché des jeux dans une économie de marché,  	en jouant notamment sur la fiscalité, le TRJ… ? Est-ce le  	rôle de l’Etat et à fortiori celle du régulateur de rendre  	« plus attractifs les jeux en ligne », comme viennent de  	l’affirmer certains responsables,  ou celui des opérateurs ?  	N’est-il pas urgent que l’Etat redéfinisse les rôles, missions  	et compétences de chacun des acteurs du gambling, pour clarifier un  	dossier qui se complexifie sans cesse.
 
 
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 Avant d’aller plus loin tête baissée, nous  pensons nécessaire que les protagonistes et décideurs du secteur  s’interrogent  à nouveau fondamentalement sur ces différents  questionnements, ( déjà soulevées par les sociologues et les  économistes dans  certains colloques) (1) et publications (2) par  exemple à travers des Etats Généraux des jeux en dur et en ligne. Car en l’absence de débats de fond la  pléthore des propositions et recommandations pour amender la  réglementation sur les jeux en ligne apparaitront in fine forcément  comme des « injonctions contradictoires » inachevées,  susceptibles de mécontenter tout le monde et de ne rien régler sur  le long terme.
 
 © JP G. Martignoni-Hutin, Lyon, France, 176.   Septembre 2011
 
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     Martignoni, J.-P. (2010). » L’industrie  	des jeux de hasard et d’argent est-elle compatible avec les  	notions de jeu responsable et de développement durable? Intérêts,  	contradictions et enjeux. »(pp 226-232)  Sophie Massin :  	l’ethique dans l’industrie du jeu : quels enjeux et quelle  	crédibilité ?(213-226)In C. Dunand, M. Rihs-Middel, & O.  	Simon (Eds.), Prévenir le jeu  	excessif dans une société addictive : D’une approche  	bio-pscho-sociale à la définition d’une politique de santé  	publique, Genève : Éditions  	Médecine & Hygiène., 2010 
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     Martignoni, J-P (2011) , « De la  	révolution machines à sous  à la politique jeu responsable en  	passant par la légalisation des jeux en ligne : une sociologie  	du gambling contemporain », Pouvoirs n° 139, Les jeux  	d’argent, 51-64, Editions du Seuil ( à paraître  novembre 2011)