Chance de gagner à Euromillions, affaire Riblet, aléatoire prépondérant, financement et instrumentalisation du jeu pathologie maladie, incitation au jeu accrue…
LA FRANCAISE DES JEUX SE CROIT TOUT PERMIS...ET ELLE SE PERMET TOUT
Jean-Pierre G. Martignoni-Hutin (sociologue)
La récente affaire d’Euro Millions, qui voit une joueuse (Laure Meilheureux) déposer plainte contre la Française des jeux (FDJ) auprès de la Commission Européenne, dévoile beaucoup du vrai visage de l’opérateur historique. Si le journal le Parisien se fourvoie, quand il précise que « les chances de gagner ne sont pas les mêmes selon les pays », on peut s’interroger pour savoir pourquoi la FDJ limite le nombre de combinaisons possibles en jeu multiples à 378 (pour 756 euros) alors qu’un joueur espagnol peut jouer 2520 combinaisons à Euro Millions en une seule fois ( pour 5040 euros). La FDJ souhaite t elle protéger les joueurs comme elle l’affirme : « nous souhaitons compliquer la vie du joueur excessif pour ne pas encourager les abus qui peuvent conduire à des addictions » ou instrumentalise t elle la question du jeu pathologie maladie pour éliminer les gros joueurs - ou les regroupements de joueurs - qui voudraient jouer gros jeu ? On peut sérieusement s’interroger.
Certes, certains seront choqués d’apprendre que des Français engagent autant d’argent dans Euro Millions. Mais après tout c’est leur choix. Arrêtons de tout moraliser dans une politique du care hypocrite et envahissante. Les Français ont plus besoin de millions que de conseils (sic) Par ailleurs, à qui la faute ? Les discours des pompiers pyromanes, ça commence à bien faire. Les pactoles de plus en plus faramineux d’Euro Millions attisent les convoitises des Français et des Européens qui peuvent percevoir ces jeux comme une forme de placement, certes à très haut risque, mais une forme de placement tout de même. Comme ils pensent - ont-ils complètement tort ? - qu’on ne prête qu’aux riches, ils expérimentent cette maxime dans la sphère ludique. Les logiques internes à la praxis ludique indiquent que ça n’a rien d’absurde et nous savons de quoi nous parlons…Mais naturellement on peut gagner Euromillions en jouant une seule grille à 2 euros.
À ceux qui voudraient jouer comme les Espagnols, la FDJ – cynique - indique « qu’ils peuvent toujours cocher 1260 grilles simples à 2 euros » ! Totalement absurde, car bien entendu strictement impossible à réaliser matériellement. L’opérateur se moque donc de sa clientèle. Il y a bien inégalité d’accès au jeu selon le pays où l’on habite. De fait, la FDJ empêche sa clientèle de jouer gros jeu à Euro millions alors que les Espagnols nous l’avons vu, mais aussi dans une moindre mesure les Belges (1260 combinaisons possibles pour 2520 euros) et les Portugais ( 756 combinaisons possibles pour 1512 euros) peuvent le faire. C’est très curieux. Visiblement l’opérateur Français n’aime pas les gros joueurs ou les joueurs qui se regroupent pour jouer… forcément plus gros que s’ils jouaient individuellement. Bizarre. Si c’est par soucis de protéger le joueur, et si cela fait partie d’une politique de jeu responsable, que diable la Française des jeux ne l’a t elle pas annoncé avant, haut et fort ! Pourquoi ce silence radio. C’est la suspicion légitime d’une joueuse qui a dévoilé l’affaire, une fois de plus ( voir ci-après l’affaire Riblet/aléatoire prépondérant/jeux de grattage) A suivre car en l’absence d’autorité de régulation pour les jeux en dur, en attendant qu’un véritable observatoire scientifique des jeux se mettent au travail pour informer le Comite Consultatif présidé par F. Trucy, la vigilance est de mise. L’absence historique de transparence de la FDJ, son double langage, sa main mise sur les médias et les agences de presse ( voir ci-après) autorise une suspicion légitime.
Cette histoire rappelle l’affaire des jeux de grattage (dévoilée par un joueur qui jouait lui aussi gros jeu, Robert Riblet) ou l’on voyait la FDJ inventer un concept - totalement inconnu en probabilité – d’aléatoire prépondérant, pour contrôler la distribution des gros gains de manière homogène sur tout le territoire. Bref la FDJ manipulait avec un grand machiavélisme le hasard et continue certainement à le faire en toute impunité. Elle cherche visiblement à contrôler aussi la manière de jouer des joueurs. L’ensemble indique que l’opérateur historique plus que jamais se croit tout permis et se permet tout.
Sa politique en matière de jeu responsable est particulièrement représentative de cette omnipuissance. La Française des jeux finance ses ennemis, les anti-jeu de la doxa du jeu pathologie maladie - notamment le centre du jeu excessif de Nantes dirigé par JL Vénisse - pour mieux les contrôler, mais dans le même temps se lance dans une course effrénée à la croissance, jamais vue depuis sa création. La politique éthique mise en œuvre par Christophe Blanchard Dignac (PDG de la Française des jeux) a pour conséquence en réalité - sous couvert d’une lutte contre le jeu excessif et le jeu de mineur - de produire plus de jeu. Habile stratège - mais certains pourraient considérer cela comme de la duplicité - le patron de la FDJ a profité du débat sur le jeu pathologique, de l’inquiétude des pouvoirs publics en matière de santé publique, de la loi sur les jeux en ligne, non pour mettre la pédale douce en matière de développement mais au contraire pour accélérer très fortement sa croissance par une incitation au jeu accrue. La politique jeu responsable mis en œuvre par la Française des jeux, va donc produire en final du jeu excessif… Les meilleures preuves de cette démonstration se situent dans les résultats de l’opérateur. En pleine crise économique il surperforme (+5,5 % en 2010) en dépassant pour la première fois la barre symbolique des 10 milliards. L’incitation au jeu est tel que la FDJ a pu – en fonction du calendrier politique - être « gênée par son succès » comme l’a précisé France-Soir et c’est en effet dans l’ordre des possibles.
Pour allumer des contre feux vis-à-vis de cette incitation au jeu accrue, la FDJ pousse le bouchon de plus en plus loin dans le domaine du jeu responsable. La société dirigée par Christophe Blanchard Dignac a l’audace - ils se croient tout permis et ils se permettent tout - de lancer en juin 2011 « une campagne nationale contre l’addiction au jeu » Au même moment comme par hasard, Jean Luc Vénisse (CRJE, Nantes) financé à hauteur de 2 millions d’euros par la FDJ (mais il est vrai que le site du CRJE est très discret sur ce financement) associé aux addictologues M. Reynaud et A . Belkacem sortent un fascicule : « Du plaisir du jeu au jeu pathologique, 100 questions pour mieux gérer la maladie» Et Michel Reynaud d’affirmer dans France-Soir du 6 juin 2011, après sans doute plusieurs mois d’études de terrain ( !) et d’études comparatives ( !!), que « de tous les opérateurs la Française des jeux est celui qui en fait le plus pour le contrôle et la prévention du jeu excessif. » La boucle est bouclée. La collusion d’intérêts marche à fond pour les deux parties. Plus c’est gros, plus ça marche. En cherchant bien on apprend que ce livre est publié et distribué via un mécénat …de la Française des jeux. Mais bien entendu la plupart des médias n’ont pas repris ce détail.
Comme le Centre du jeu excessif de JL Vénisse a beaucoup d’argent, il faut bien qu’il le dépense. Il a lancé un enquête pour passer les « joueurs compulsifs à la loupe « . Marc Valleur, qui a été nommé à l’Observatoire des jeux, participe à cette étude financée par la FDJ. Curieusement nos deux complices semblent avoir du mal a recruté des joueurs compulsifs alors qu’ils affirment par ailleurs (dans une belle fourchette qui ressemble à un râteau) qu’il y aurait entre « 600 OOO et 1,8 million de joueurs pathologiques ! » Nous aurons l’occasion de revenir sur cette étude qui se déroule sur 5 ans ( !). Mais en attendant nous invitons le lecteur à prendre connaissance des conditions méthodologiques fixées par le CRJE : « Le CRJE recherche des joueurs à Paris et Colombes. Les conditions : avoir entre 18 et 65 ans, jouer au moins une fois par an, avoir joué l’année écoulée et … ( accrochez-vous la ça devient cocasse NDLR) avoir l’impression de perdre le contrôle sur la pratique du jeu » Comme il n’est pas certain que ce protocole très scientifique ( sic) attire les joueurs le CRJE ajoute : « La participation a l’étude est indemnisée »
Autres informations, qui montrent une nouvelle fois le vrai visage de la Française des jeux : l’inflation de ses produits et les chances de gagner. L’opérateur historique profite du lancement de nouvelles formules ou de nouveaux jeux, pour augmenter fortement ses prix et diminuer tout aussi fortement, l’espérance-statistique qui permet de décrocher la cagnotte. La FDJ se croit tout permis et elle se permet tout. Ainsi en 2008 le Loto passe de 1,2 euros à 2 euros - soit une augmentation de 67 % - et espérance-statistique évolue d’une chance sur I4 millions à une chance sur I9 millions. Pour le nouvel Euro Millions sorti en mai 2011, la FDJ fait encore plus fort. La probabilité de trouver les 7 bons numéros passe d’une chance sur 75 millions, à une chance sur 116 millions.
La politique mise en œuvre par la Française des jeux n’a donc rien à voir avec une politique des jeux raisonnable, modérée et qui respecte sa clientèle. Elle apparaît au contraire comme une politique anti-consumériste de rentabilité accrue, qui abuse de sa position dominante et de son monopole. Elle agit de plus en plus comme un Etat ludique dans l’Etat Croupier peu soucieuse en réalité de l’intérêt général et des Français qui jouent. Le PDG de la Française des jeux fait jouer - à une société qui ne lui appartient pas - un double jeu très dangereux , qui risque à terme d’énerver Nicolas Sarkozy. Cette duplicité risque également d’irriter Bruxelles et la Cour de justice Européenne. Certes certains pourront considérer que Christophe Blanchard Dignac – responsable mais pas coupable - n’est après tout qu’un grand commis de l’Etat qui fait très bien son travail et remplit avec zèle les caisses du Trésor Public. Reste à savoir de quelle marge de manœuvre il dispose et si cette liberté n’est pas trop grande justement. Reste à savoir si la politique des jeux de la France doit se décider à Bercy ou à Boulogne (siège de la FDJ). Reste à savoir si les excès de zèle du patron de la FDJ, sa politique expansionniste, sa boulimie et surtout sa duplicité, ne sont pas en contradiction en réalité avec la politique des jeux responsable affichée par le gouvernement depuis quelques années, et inaugurée par Nicolas Sarkozy avec les casinos quand il était Ministre de l’Intérieur.
© JP G. Martignoni-Hutin, Lyon, France, 174. Juillet 2011