Premier bilan du numéro d'urgence mis en place pour aider les joueurs pathologiques lors de la légalisation des jeux en ligne.
La légalisation des jeux d'argent en ligne a-t-elle fait exploser les pathologies de l'addiction ? "La réponse n'est pas si simple, car bien souvent, l'addiction aux jeux précédait l'ouverture des paris en ligne", constate Karine Grouard, directrice adjointe d'Adalis, l'organisme qui traite les appels désespérés des joueurs excessifs au numéro d'urgence 09 74 75 13 13. Depuis le coup d'envoi - la Coupe du monde de football 2010 -, Adalis a reçu... 45 160 appels, soit 124 par jour en moyenne !
Un chiffre trompeur, car sur cette masse d'appels, seulement 2 600 concernaient réellement le jeu excessif. "Il y a eu une confusion au début. Les joueurs ont cru que le numéro qui s'affiche en gros sur les sites était une hotline de dépannage, explique la responsable d'Adalis. Les gens nous appelaient parce qu'ils ne retrouvaient plus traces de leur pari, etc." Les sites de jeux en rodage ont connu, en effet, des bugs informatiques nombreux dans les premiers temps et ne se sont pas empressés d'afficher de manière visible le numéro de leur hotline afin d'éviter le raz-de-marée des usagers...
Un étudiant dilapide ses deux prêts
Au standard d'Adalis, quatre à huit personnes se relaient selon les créneaux horaires. Ce service couvre, en fait, quatre problématiques différentes : Drogue info service (ouvert en décembre 1990), Écoute alcool et Écoute cannabis. L'addiction aux jeux s'est donc ajoutée à cette liste avec l'entrée en vigueur de la loi légalisant les jeux d'argent en ligne. Du coup, les permanents d'Adalis ont vu affluer aussi bien les joueurs pathologiques qui ont commencé en ligne (40 % des appels) que ceux qui jouaient auparavant (60 % des appels). En dur ou en ligne, les paris (sportifs ou hippiques) représentent près de la moitié des appels (47 %). Puis suivent le poker (15 % des appels), les jeux de casino (12 %), les loteries (8 %) et les jeux de grattage (8 %). Adalis recense aussi une envolée de l'addiction à l'usage d'internet (7 %).
Qui fait la démarche d'appeler pour demander de l'aide ? Dans 77 % des cas, il s'agit du joueur lui-même. Les proches représentent 19 % des appels. Au bout du fil, des histoires terrifiantes, comme celle de ce jeune homme de 22 ans qui a dilapidé ses deux prêts étudiants de 21 000 et 7 000 euros dans les paris footballistiques. "C'est son père qui nous a alertés, souligne Karine Grouard. Son fils était convaincu de si bien connaître le football qu'il ne pensait pas perdre." Les montants dépendent beaucoup des moyens du joueur. Certains peuvent perdre 4 000 euros par mois, d'autres sont sur la paille avec de très petites sommes. "Nous avons ainsi le cas d'une retraitée qui dépensait 20 euros par semaine au casino. Vu sa maigre retraite, pour elle, 20 euros, c'était une somme énorme, se souvient Karine Grouard. Elle jouait par ennui, comme souvent." Et pour un autre, ce sont 100 000 euros qui se sont envolés en six ans... Dans nombre de cas, les joueurs excessifs sont en rupture familiale. L'évocation d'un suicide n'est jamais très loin. Ou alors c'est la conjointe qui appelle Adalis pour savoir comment se protéger d'un mari qui vide le compte en banque commun.
Le joueur excessif se souvient plutôt de ses gains passés
Un profil type se dégage peu à peu. Le joueur excessif est un homme (74 %) de plus de 40 ans (48 %), bien que la pathologie ne soit pas négligeable chez les 20-30 ans (25 %) et les 30-40 ans (25 %). Les plus de 40 ans sont plus sensibles aux paris sportifs et hippiques et au casino. Le poker, lui, fait des ravages chez les jeunes.
Quand les joueurs appellent, leurs dettes sont déjà très importantes, et pourtant, ils sont toujours dans le déni, conservant l'espoir de se refaire... Certains continuent d'espérer qu'en mettant telle chemise ou telle cravate, la sorcière aux dents vertes finira par s'éloigner... "Les joueurs pathologiques ont du mal à parler. Les appels durent moins de 10 minutes en moyenne, précise Karine Grouard. Ils évoquent plus volontiers les sommes autrefois gagnées. Le problème du joueur, c'est qu'à un moment il a gagné et il s'accroche à ce souvenir. Pour certains, peu importe qu'ils gagnent ou qu'ils perdent. Certains sont accros au bruit des machines à sous dans les casinos." On cherche des sensations. Adalis a ainsi relevé le témoignage de cet homme qui disait ressentir davantage de choses lorsqu'il perdait...
(source : lepoint.fr/Emmanuel Berretta)