Un père et son fils, habitués du milieu du jeu, sont accusés d'avoir battu à mort l'ex-numéro un français pour encaisser à sa place un chèque de 400 000 francs.
L'un est assis dans le box des accusés, l'autre comparaît libre. Devant la cour d'assises de l'Essonne, à Evry, vendredi 7 novembre, Joseph et Frank Liany, père et fils, ne s'adressent pas un regard. Avec sa fine moustache grisonnante, son visage empâté, son œil froid et blasé, le chef de famille de 54 ans a des airs de petit escroc qui a connu des jours meilleurs.
Il est accusé du meurtre de Gilles Andruet, fantasque et talentueux champion d'échecs de 37 ans, dévoré par la passion du jeu et criblé de dettes.
Dans la nuit du 21 au 22 août 1995, ce flambeur en rupture de ban - fils du pilote automobile Jean-Claude Andruet, présent à l'audience - a été battu à mort puis jeté dans une rivière, pour un chèque de 400 000 francs que ses meurtriers voulaient encaisser à sa place. Joseph Liany, qui se présente comme commerçant au chômage, a toujours nié sa participation au crime et il continue de le faire, avec assurance. "Je ne peux pas donner d'explications pour un crime que je n'ai pas commis, je n'y étais pas", a-t-il affirmé à la cour.
Sa mise en cause résulte notamment des aveux de son fils. D'après l'accusation, Frank Liany, de son côté, n'a pas directement participé au meurtre. Costume sombre et fines lunettes de cadre supérieur en devenir, ce jeune homme de 32 ans est poursuivi pour recel de fonds provenant d'un crime. Il a permis à Gilles Andruet d'ouvrir un compte pour déposer son chèque, alors que le joueur d'échecs était sous le coup d'un interdit bancaire, et il a encaissé l'argent à sa place, juste après sa mort. Il encourt la même peine que son père - 30 ans de réclusion. Deux autres individus auraient participé au meurtre. Mais l'un s'est suicidé un an après les faits et l'autre, Sacha Rhoul, neveu de Joseph Liany, est en fuite à l'étranger.
Au moment où il pensait "se refaire", Gilles Andruet est tombé entre les griffes de cette petite bande, qui frayait dans le milieu du jeu. Maître international à 24 ans, champion de France en 1988, ce jeune homme brillant et désinvolte avait glissé du monde des échecs à celui des casinos, attiré par l'argent facile et les émotions fortes. Il s'était brouillé avec son père, lassé de recevoir des amendes récoltées par son fils au volant d'un véhicule emprunté à l'entreprise familiale. Un mois avant sa mort, financièrement aux abois, il avait essayé de renouer avec lui.
PERTES FARAMInEUSES
Passant du black jack à la roulette et au backgammon, Gilles Andruet alternait les gains épisodiques et les pertes faramineuses. Il devait notamment 200 000 francs au casino d'Enghien. Le champion d'échecs était interdit de table dans de nombreux établissements, après avoir fait sauter la banque grâce à une martingale faisant appel à ses dons de matheux hors normes. Les derniers mois, le jeune homme était hébergé chez des amis et était devenu consommateur d'héroïne. Début août 1995, Gilles Andruet crut voir son salut dans un chèque de 400 000 francs, correspondant à sa part dans la vente d'un pavillon familial. Mais, pour cause d'interdit bancaire, le joueur se trouvait dans l'impossibilité de déposer son chèque pour l'encaisser.
Flairant le bon coup, Joseph Liany, que le joueur d'échecs avait connu au casino d'Enghien, lui proposait alors une aide intéressée. Sollicité par son père, Frank Liany - grâce à ses relations - permettait à Gilles Andruet d'obtenir l'ouverture d'un compte dans une banque d'affaires marocaine à Paris, accompagnée d'une procuration à son nom. Le même jour, le 10 août, le fils du champion automobile, accompagné des Liany, déposait son chèque et obtenait une avance de 50 000 francs sur la somme totale, qu'il perdait d'ailleurs aussitôt au casino.
A son grand dam, il ne pouvait toucher le reste de l'argent avant le 22 août. Selon l'accusation, la petite bande, composée de Joseph Liany, son fils, son neveu et l'homme de main de ce dernier, aurait employé ce délai de douze jours à essayer de convaincre Gilles Andruet de se montrer généreux à leur égard. A l'approche du 22 août, leurs efforts de persuasion auraient tourné au tabassage - sans doute à coups de batte de base-ball - puis à l'élimination du "pigeon" récalcitrant.
Le 22 août au matin, le corps de Gilles Andruet était retrouvé sur la berge de l'Yvette, aux abords de Saulx-les-Chartreux (Essonne). Il était enveloppé dans une alèse tachée de sang. C'est seulement six ans plus tard, en avril 2001, qu'une expertise génétique, demandée par un nouveau juge d'instruction, identifiera l'ADn de Joseph Liany sur l'alèse, qui provenait de son domicile. Les déclarations de son fils permettront alors de recueillir le témoignage d'un individu mettant en cause son père et le neveu de ce dernier dans le meurtre.
Devant la cour d'assises, Joseph Liany affirme qu'il n'est "pas impliqué dans cette affaire", en évoquant la "haine viscérale" que lui voue son fils et le "complot" dont il est victime. Après le crime, il avait déménagé pour le sud de la France et arrêté de fréquenter les casinos. La cour d'assises a jusqu'au 14 novembre pour tenter de faire la part des mensonges et des contradictions familiales dans le meurtre de Gilles Andruet.
(source : lemo
nde.fr/Frédéric Chambo
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