Gambling France
NOTE DE CONJONCTURE
o année 2009 contrastée pour les trois opérateurs ludiques historiques : casinos, PMU, Française des jeux
o Après la discussion en séance publique les 23, 24 Février 2010, le Sénat obtient une nouvelle architecture du paysage ludique avec la création d’un Comite Consultatif des jeux (CCJ) et d’un Observatoire des jeux (ODJ)
o Jeu pathologique : psychologues et opérateurs de jeux en conflits d’intérêts (l’exemple de la Française Des Jeux)
o Dernière ligne droite pour « le projet de loi relatif à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne » qui sera débattu à l’Assemblée Nationale en deuxième lecture le 30 Mars 2010
Casinos : rien ne va plus = baisse structurelle et conjoncturelle
L’année 2009 a été très contrastée pour les trois opérateurs ludiques nationaux. Malgré le succès du « phénomène poker » (+16,91% ), les casinos prennent la crise économique de plein fouet, avec une baisse de 8,19% du Produit Brut des Jeux (PBJ). Cette crise a été qualifiée récemment par Sol Kerzner de « pire crise qu’ait connue le business » et les casinos américains n’échappent pas à cette récession (- 10,3% en deux ans ). Baisse du pouvoir d’achat et de « l’indice de confiance » des ménages, crainte sur l’avenir, chômage, précarité, coût du transport, les Français sortent moins et fréquentent moins les 197 casinos hexagonaux. Par ailleurs, les joueurs ne peuvent plus fumer devant les bandits manchots et les vidéos poker depuis janvier 1998. Cette mesure liberticide a eu des effets importants sur la fréquentation (-7,21%) et sur « la durée de présence » des joueurs dans les exploitations. Plus globalement le contrôle aux entrées (CAE) systématique à l’entrée des établissements, le tohu-bohu médiatique et gouvernemental autour de la doxa du jeu pathologie/maladie, ont pu apparaître comme une politique néo-prohibitionniste contradictoire qui a freiné « progressivement » l’ardeur des Français à fréquenter les casinos. Ces espaces symbolisent plus que les loteries et les courses, « l’enfer du jeu’ , « les drogués du jeu ». En outre, depuis l’arrivée de l’euro (qui a entraîné une forte inflation des machines à sous et une diminution du « temps de jeu ») un fort ressentiment perdure chez les joueurs qui ont moins dépensé dans les casinos en 2009 (la recette journalière moyenne a baissé de 8,23%).
Dans ce contexte, deux députés maires de villes de casinos (Etienne Blanc à Divonne et Daniel Fasquelle au Touquet) ont lancé le 16 février 2010 l’association des parlementaires et des élus des villes de casino (APEVICA) Une union sacrée pour faire face au déclin des recettes des exploitations qui peut s’accentuer avec la prochaine autorisation des jeux en ligne, ce qui a une conséquence directe sur les 182 villes concernées (elles ont reçu 445 millions des casinos en 2009)
PMU croissance molle : le toujours plus de jeux a t il atteint ses limites ?
En apparence, le Pari Mutuel Urbain s’en sort mieux que les casinos, avec une progression de 0,4 % de son volume d’affaire. Mais à périmètre constant la croissance du PMU aurait été négative. Ce n’est qu’en multipliant les courses et les nouvelles formules de jeu que l’institution hippique (désormais dirigée par Philippe Germont qui a succédé à Bertrand Bélinguier) reste dans le vert en 2009. Mais cette fuite en avant dans le « toujours plus de jeux », a peut-être atteint ses limites. Le quotidien de référence pour les paris hippiques - Paris Turf - fait souvent témoigner des parieurs qui ne s’y retrouvent plus face à une offre jugée pléthorique. Les turfistes n’ont plus le temps de « faire leur papier », trouvent que les courses ressemblent de plus en plus à une loterie . Si les paris en ligne du PMU se portent à merveille (+22% à 660 millions d’euros) l’institution des courses a sans doute mangé une partie de son pain blanc. Elle devra affronter dès 2OIO des sites comme Zeturf, quand ils auront obtenu une licence de l’Arjel., l’autorité de régulation des jeux en ligne dirigée par JF Vilotte. Dans ce contexte le PMU a décidé au risque de brouiller son image de diversifier son activité en se lançant dans la course des paris sportifs. Il a signé un accord avec le bookmaker irlandais Paddy Power, établi des partenariats avec RMC et TF1, lancé en février 2010 un site de pronostics sportifs gratuits sur le football et le rugby (« Pronospmu »)
La Française des jeux surperforme mais risque de subir des critiques à cause de son double langage.
Contrastant avec les résultats du PMU et des casinos, la Française des jeux surperforme « malgré la crise » (+8,6%) avec un chiffre d’affaires de près de10 milliards d’euros en 2009 ( contre 6,5 milliards en 2000). Elle devient le deuxième loterie mondiale derrière Lottomatic (la loterie italienne). Mais l’opérateur historique dirigé par Christophe Blanchard Dignac (reconduit par les pouvoirs publics pour 5 ans au poste de PDG ) risque de subir des critiques à cause de son double langage. Face aux injonctions européennes, la FJD a mis en place très tardivement une politique de jeu responsable, notamment avec son slogan « Restez maître du jeu, fixez vos limites ». Mais dans le même temps, elle a fait bondir son volume d’affaire en multipliant les publicités dans tous les médias et sur tous les supports, en proposant une quarantaine de jeux de tirage, de grattage et de paris sportifs dans ses 37 600 points de vente... La contradiction se confirme quand on constate que le premier jeu de la FDJ c’est Rapido (disponible dans 10 OOO cafés) considéré comme le jeu le plus « addictogène» par les différents rapports parlementaires. Par ailleurs la FDJ a fortement augmenté son offre , avec de nouveaux jeux de tirage (Oxo, Bingo live sur Internet), un nouveau loto (+11,4 %) de nouveaux jeux de grattage onéreux : 5 euros pour « Cash » !, 3 euros pour « 2010 une année en or ». Les pactoles offerts ont explosé en 2009 : nouveau gros lot record de 100 Millions d’euros à Euro Millions gagné le 18 septembre, nouveau record également pour le Loto (19 millions d’euro gagnés le 2 Mai 2009). Dernière antinomie observée : en contradiction avec les propos d’Eric Woerth sur l’addiction , la Française des jeux a augmenté son Taux de Retour aux joueurs (TRJ) alors que le ministre du budget affirme qu’il y a un rapport de causalité entre le TRJ et l’addiction. Elle a par ailleurs annoncé son intention d’informatiser la totalité de son réseau pour fin 2013. Mais qu’aurait fait la Française des jeux si elle n’avait pas une politique de jeu responsable et raisonnable ? Le décalage entre cette politique éthique affichée et la réalité des chiffres (résultats, investissements, perspective de croissance) apparaît tellement grand qu’on peut s’interroger pour savoir si le double langage de la Française Des Jeux n’apparaît pas en réalité comme une stratégie de communication parfaitement orchestrée.
Jeu pathologique : la Française des jeux et les psychologues en conflits d’intérêts
Les jeux en ligne de la Française des jeux augmentent également de manière spectaculaire : + 61 %. Le nombre de joueurs internet de la FDJ est passé de 17573 en 2002 , 728 775 en 2008, 935 OOO en 2009. Ce qui fait dire à M. Blanchard Dignac : « nous sommes dans une bonne dynamique avant l’ouverture des paris en ligne « Mais la également la FDJ risque de subir des critiques . L’opérateur profite de l’absence de concurrence légale dans les jeux en ligne pour occuper une position monopolistique. Dans le même temps elle annonce qu’elle finance une étude sur « l’évaluation du caractère addictogène des jeux en ligne » à l’hôpital Bichat ! Cette recherche sera notamment réalisée en collaboration avec Robert Ladouceur, psychologue controversé au Québec et au Canada pour ses « rapports » avec l’industrie des jeux. Ces relations jettent un doute sur la fiabilité des études qui vont être réalisées et soulève la question du conflit d’intérêts. Ce financement et ces recherches risquent de susciter des interrogations et les résultats seront scrutés à la loupe. La Française des jeux finance déjà fortement le centre du jeu excessif du CHU de Nantes ce qui pose problème. Les sénateurs qui ont étudié dans le détail le projet de loi sur les jeux en ligne observent sur cet aspect du dossier: qu’ « une telle approche en dépit des louables intentions des opérateurs publics ne peut être que supplétive car elle est fondamentalement porteuse de conflits d’intérêt. Le dynamisme commercial dont témoigne le lancement de nouveaux jeux et l’attribution d’un bonus lors de la première inscription sur le site de paris en ligne n’est pas totalement absou par la démarche médiatisée de promotion du jeu responsable »
Certains observateurs soulignent plus globalement que l’opérateur historique (et donc indirectement l’Etat Français son actionnaire majoritaire ) ne pourra pas tenir longtemps cette position du « pompier pyromane » en matière de jeux d’argent », tout en essayant de contrôler entièrement l’information sur l’impact de son activité. Visiblement la Française des jeux n’a pas compris que les choses sont en train de changer
Une saine régulation, une politique des jeux cohérente doit s’appuyer sur la recherche et l’expertise indépendante
Le Sénat qui vient de rendre un rapport très fouillé sur le projet de loi sur les jeux en ligne a essayé de remettre un peu de cohérence dans « l’architecture » du dossier, à l’occasion de la séance publique de débats qui s’est déroulée au Palais du Luxembourg les 23 et 24 février 2010. Les Sénateurs ont booste le Comité Consultatif des Jeux (CCJ) et lui ont adjoint un observatoire des jeux. La représentation nationale a semble t il compris qu’une saine régulation, une politique des jeux cohérente doit s’appuyer sur la recherche et l’expertise, si elle ne veut pas être accusée (notamment par la Commission Européenne) d’être partisane ou sous la pression des opérateurs de jeux ou d’autres lobbies (et notamment le lobby de la doxa du jeu pathologie maladie)
Reste à savoir le rôle qui sera dévolu à cet observatoire des jeux, son indépendance, sa représentativité scientifique et surtout les moyens dont il disposera. Si c’est une coquille vide qui ne dispense que quelques conseils au collège du CCJ, il sera rapidement qualifié « d’observatoire croupion ». A l’heure ou l’on s’interroge sérieusement sur le rôle ambigu joué par certains experts dans d’autres dossiers sensibles (réchauffement climatique, grippe A H1N1) il convient que l’observatoire des jeux possède les moyens de ses ambitions, afin de permettre aux experts aux chercheurs spécialisés sur les jeux de hasard et d’argent (qui ne sont, et pour cause, très nombreux en France) de travailler en toute indépendance. Entre l’expert « conseiller du prince » et une république d’experts se substituant aux politiques, il y a un équilibre à trouver. Si l’Etat (toujours Croupier et c’est sans doute une partie du problème) a le courage de jouer franc jeu dans ce dossier, il sera gagnant au bout du compte et évitera bien des critiques, contentieux et polémiques ultérieures.
Une autorité de régulation unique du marché des jeux, un désengagement de l’Etat Croupier ?
Mais à terme il est clair qu’il faut désormais s’interroger pour savoir si une Politique Des Jeux peut véritablement défendre l’intérêt général tant qu’elle exploite directement l’économie du hasard. Un désengagement de l’Etat dans cette exploitation lui permettrait d’assurer pleinement ses fonctions régaliennes sans renoncer aux bénéfices fiscaux du gambling.
Quant à la régulation même si le Sénat à booster le Comite consultatif du jeu qui travaillerait en harmonie avec l’Arjel il convient qu’elle monte en puissance car elle va jouer un rôle central dans les années à venir. Comme pour les marchés financiers avec l’AMF dirigée par Jean Pierre Jouyet, il convient qu’elle soit confiée à une Autorité de Régulation Unique (l’Arjel concerne uniquement les jeux en ligne) adossé à un véritable observatoire scientifique des jeux (que nous appelons de nos vœux depuis 10 ans ) ou à une agence d’experts indépendants.
Dans tous les cas de figure (soit l’Etat reste Croupier, soit il se désengage de l’exploitation directe du gambling) la régulation doit être forte et à la hauteur des enjeux économiques, sociologiques, éthiques et désormais technologique que pose l’industrie des jeux. Car de la qualité de la régulation, de la scientificité de l’expertise sur les causes et conséquences du gambling dépendront la cohérence de cette politique qui ne peut être - sauf à construire une usine à gaz - qu’un équilibre entre liberté et responsabilité.
© Jean-Pierre G. martignoni
Sociologue
Université Lyon 2
Lyon (France)
Mars20IO